« Partout, la culture » : une politique qui n’a pas les moyens de ses ambitions
17 juillet 2018
Le 12 juin dernier, le premier ministre Philippe Couillard et la ministre de la Culture et des Communications, Marie Montpetit, dévoilaient la nouvelle politique culturelle du Québec – « Partout, la culture » – et le « plan d’action gouvernemental en culture 2018-2023 » de 600,9M$ qui y est assorti. Loin de l’analyse exhaustive que méritent cette politique et les sommes allouées dans le plan d’action, voici un survol de certains enjeux-clés de ce dossier.
Posons d’abord l’incontournable : le chantier du renouvellement de la politique culturelle du Québec lancé en 2016 par Hélène David puis mené par Luc Fortin était essentiel[i]. Depuis « Notre culture Notre avenir » (1992), dire que le milieu culturel s’est transformé serait faible. Notons entre autres la professionnalisation de divers secteurs du milieu culturel, le souci accordé au patrimoine immatériel et les suites à donner à la Commission Vérité et réconciliation du Canada. Ajoutons à cela que nous sommes bien loin de cette époque où nous apprivoisions l’autoroute de l’information sur un des trois postes de la bibliothèque municipale branchés à un modem aux sons douteux ! Impossible de penser aux Netflix, Spotify et GAFA de ce monde alors que l’ère « Napster » n’était même pas encore arrivée ! Les questions d’accès, de diffusion, de droits d’auteur, de législations, de nécessaire présence dans l’univers virtuel, du développement des arts numériques et des stratégies de conservation sont depuis devenues centrales pour le milieu culturel.
Partout, « La Culture » prend acte de ces changements et les intègre à ses quatre grandes orientations[ii] en plus de prendre des « engagements particuliers à l’égard des autochtones ». Les enjeux liés à l’univers numérique et au déploiement de stratégies sur ces questions sont omniprésents. Cette nouvelle politique culturelle s’inscrit dans la continuité de celle de 1992, en y ajoutant avec intelligence d’autres dimensions de la culture, soit le loisir culturel pratiqué en amateur, l’aménagement du territoire et la conservation du patrimoine. On y inscrit encore le caractère distinctif du Québec en matière culturelle et on rappelle la nécessité de légiférer et de prévoir des réglementations pour ce secteur. Autre élément positif : on y réaffirme, suivant la Loi sur le ministère de la Culture et des Communications que « [l]a mise en œuvre de la politique […] sollicite […] l’appareil gouvernemental et appelle la participation active des ministères et organismes selon une approche transversale, collaborative et intégrée » (Plan d’action, p. 19). Les ministères et sociétés d’État responsables et partenaires de chacune des mesures proposées pour atteindre les objectifs de la politique sont d’ailleurs clairement identifiés dans le plan d’action.
La question centrale : y a-t-il adéquation entre l’état de la situation dans le milieu culturel, les objectifs de la politique, les mesures proposées et les sommes prévues au plan d’action ? Réponse : malheureusement pas.
Illustrons-le par l’exemple de l’enjeu criant des conditions socioéconomiques des personnes œuvrant dans le milieu culturel. Déjà inscrit dans la politique de 1992, réitéré dans Partout, la culture en y ajoutant (avec raison!) les travailleuses et travailleurs du milieu culturel (objectif 2.5), le problème est bien posé : précarité, cumul d’emplois, combinaison de plusieurs modes de rémunération, situation tributaire de la vitalité et des ressources financières, difficulté de perception des droits d’auteur, problèmes en lien avec le développement professionnel, la retraite, la santé et les périodes d’inactivité. L’identification des défis que cela pose est également clairement établie (p. 4) : reconnaissance et rétribution du travail artistique et culturel, maintien et acquisition des compétences, protection et rétention de la main-d’œuvre, pérennité des organisations et des entreprises du secteur culturel.
Malheureusement, plusieurs de ces problèmes disparaissent au moment de décrire l’objectif 2.5 de la politique (p. 28). Puis, la mesure conçue pour répondre à cet objectif (mesure 16, p. 9) oriente plutôt vers l’« amélioration de la connaissance des conditions socioéconomiques », l’« examen de moyens pour améliorer l’accès (…) à un régime de retraite, à des assurances, … ». Cinq millions de dollars sont accolés à cette mesure. Sur 5 ans. Alors que la mesure doit également s’attaquer à cinq autres actions dont deux en lien avec l’urgente question des agressions sexuelles et du harcèlement.
Cette politique présente malheureusement plusieurs autres lacunes. « L’apport croisé des secteurs culturels, éducatifs et sociaux », pourtant fondamental, soulève de nombreuses questions et inquiétudes entre les objectifs qui en découlent, les mesures identifiées et les sommes allouées. Surtout en ce moment où les annulations de sorties éducatives se font nombreuses pour l’année scolaire à venir à la suite de la directive du ministre Proulx.
Les questions de philanthropie, de mécénat, du bénévolat, de nouvelle gouvernance, des modèles d’affaires à repenser, des sommes allouées à l’innovation (et non à la simple continuité) et des « bonifications ponctuelles » pour assurer le fonctionnement du milieu culturel mériteraient, elles aussi, qu’on les étudie davantage.
Le chantier du renouvellement de la politique culturelle était essentiel. Tant le secteur culturel que le ministre Fortin et son entourage y ont accordé le temps, l’énergie et le sérieux nécessaires. Cette grande mobilisation et l’attente soutenue d’une nouvelle politique après 25 ans et de sommes nouvelles en culture auraient mérité une issue autre que celle du 12 juin dernier. Quatre jours plus tard, les travaux de l’Assemblée nationale étaient suspendus et leur reprise se fera en pleine campagne électorale.
« Partout, la culture » est globalement bien accueillie par le milieu culturel. Des sommes investies en culture seront toujours une excellente nouvelle pour le milieu, malgré leur insuffisance permanente. Actuellement, bien des enjeux sont toujours en suspens : nous ne savons pas si, outre les engagements financiers déjà inscrits au budget, cette politique et les mesures du plan d’action constitueront effectivement la nouvelle politique culturelle du Québec après le 1er octobre. Et nous assisterons d’ici là au triste bal des annonces à saveur électorale, bien que nombre de celles-ci répondent simplement à des besoins criants du milieu nommés dans la politique et inscrits au plan d’action.
[i] Oui, trois ministres de la Culture et des communications en trois ans.
[ii] Le rôle essentiel de la culture; l’affirmation du caractère francophone du Québec; L’accès, la participation et la contribution de tous à la culture; L’autonomie de la création et la liberté d’expression et d’information