On a les vieux qu’on peut
17 novembre 2011
Liberté 55. On travaille toute sa vie puis, quand on devient vieux (mais pas trop), on peut enfin profiter de la vie, découvrir le monde à bord d’un voilier, s’acheter un chalet sur le bord d’un lac tranquille, prendre des cours de tango, avoir 20 ans de nouveau, mais sans le stress de l’incertitude qui accompagne la jeunesse. Telle était la promesse qu’on a faite à plus d’une génération qui a voulu y croire.
Le discours a changé depuis quelques années. Plutôt que de promettre une liberté renouvelée une fois à la retraite, on parle maintenant du tsunami gris qui déferlera sur nos sociétés, détruisant toutes les structures publiques sur son passage. Jeunes d’aujourd’hui, votre avenir a été hypothéqué par les vieux de demain qui ont rêvé d’une société peut-être plus juste, mais bien trop coûteuse, finalement.
L’IRIS, flairant l’exagération, a organisé un colloque à la mi-octobre dernier pour aller au-delà du fatalisme sur le vieillissement de la population et confronter les statistiques à la réalité pour comprendre ce qui se passe. Plusieurs conférenciers et conférencières se sont succédé·e·s, chiffres à l’appui, pour donner un éclairage différent sur la croissance démographique, la prétendue explosion des coûts de santé à prévoir et l’apport des personnes âgées à la société. Le portrait final était fort différent de ce qu’on peut entendre de la part de certains experts alarmistes.
Vieux, pauvres et endettés
En parallèle au colloque, l’IRIS a également publié une note socio-économique sur la situation financière des aîné·e·s . Puisqu’il est souvent question de réformes du système de retraite (REER obligatoire, hausse des cotisations au RRQ, report de l’âge de retraite, etc.), nous voulions voir dans quelles conditions économiques vivaient les personnes âgées d’aujourd’hui pour identifier les meilleures pistes de solution.
À la lumière des chiffres de Statistique Canada, on peut voir que les personnes âgées d’aujourd’hui sont plus pauvres et plus endetté·e·s qu’avant. Alors qu’en 1993, seulement le quart des personnes âgées avaient des dettes, cette proportion s’est accrue dramatiquement pour se situer à 60% en 2010. Bien qu’il soit vrai qu’avoir des dettes n’équivaut pas à de la difficulté à les gérer, on voit également une augmentation importante du nombre de personnes de plus de 55 ans qui déclarent faillite. En 2010, elles ont essuyé 30% de toutes les faillites. Le nombre de ménages sous la mesure de faible revenu est également en hausse. Entre 1996 et 2008, leur pourcentage a presque triplé au Canada (passant de 4,6 à 12,3%) et plus que doublé au Québec (9,5 à 20,5%). C’est donc dire que plus d’une personne âgée sur cinq a des revenus inférieurs à la mesure de faible revenu. Les chiffres sont encore plus dramatiques pour les ménages ayant une femme comme principal soutien, où, en 2008, cette proportion dépasse le tiers (36%)!
Ces données sont malheureusement loin d’être surprenantes. La situation des personnes âgées reflète une tendance généralisée observable dans l’ensemble de la population. Depuis les trente dernières années, les salaires stagnent, laissant peu de marge pour l’épargne. La pression à l’endettement est grande, et de plus en plus de ménages ont recours au crédit pour des achats courants. À la retraite, la même dynamique se poursuit, mais avec des revenus moindres et souvent plus instables puisque certaines sources dépendent directement des fluctuations du marché.
Pistes de solution
Si le tsunami annoncé ne sera qu’une petite vague au final, la situation financière actuelle des personnes âgées est préoccupante et des réformes au système de retraite sont nécessaires. Les REER, présentés comme un moyen sûr et efficace de compléter ses revenus à la retraite, se révèlent être un outil financier qui profite d’avantage aux plus riches qui y cotisent en plus grand nombre et en montants largement plus élevés. De plus, les rendements sont peu intéressants et font reposer le risque entièrement sur les individus. Malgré tout cela, Claude Castonguay y voit la meilleure porte de sortie afin de garantir de bonnes retraites. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle n’implique aucune contribution de l’employeur… Pour lui, la question des retraites est un enjeu individuel.
Pourtant, le maintien d’une qualité de vie pour l’ensemble de la population, jeunes comme vieux, tient plus d’un enjeu collectif auquel tous et toutes doivent contribuer (y compris les employeurs). Il y a déjà 20 ans, la Suède a enclenché une vaste réforme de son système de retraites. Plutôt que de prendre la solution facile de régler les problèmes à la pièce, elle a mis en place une consultation publique sur plusieurs années avec l’ensemble de la population. Le résultat est un régime public avec cotisations mixtes (employé·e et employeur) qui permet de remplacer 60% du salaire.
Est-ce que c’est la solution pour le Québec? Le système public en Suède est composé, comme au Québec, d’un ensemble de piliers interdépendants qui rendent possible leur régime de retraite. Il faudrait donc étudier leur modèle avec plus d’attention, voir quelles sont les différences entre le marché du travail ici et là-bas, le niveau de vie général, etc.
Chose certaine, devant la situation de plus en plus difficile des aîné·e·s à la retraite, leur endettement croissant et l’augmentation des faillites dans cette tranche de population, il faut se sortir la tête du sable et trouver des outils collectifs efficaces pour assurer une retraite décente à tous et à toutes.
Cet article est paru dans le mensuel satirique Le Couac du mois d’octobre 2011.