Ne croyez pas aux slogans (économiques)
13 mars 2014
Le 27 février, je me suis retrouvée sur le plateau de l’émission de débat de MaTv, Open Télé, pour discuter fiscalité et services publics. On m’avait invitée avec sept autres personnes à répondre à une question : est-ce que les contribuables québécois en ont pour leur argent? Comme le format de l’émission rend difficile la possibilité d’aller au fond de sa pensée (1 heure, 8 invités, 1 animatrice et quelques incursions dans le merveilleux monde des réseaux sociaux) et que je n’ai souvent pas pu me prononcer même si j’essayais de mon mieux d’attirer l’attention de l’animatrice, j’utiliserai cet espace pour répliquer à certaines affirmations entendues durant les échanges.
Donner aux riches, c’est donner aux pauvres
Il existe une théorie économique qui prétend que, lorsque les revenus des plus riches augmentent, l’ensemble de la population en bénéficie puisque l’argent rejaillira sur elle lorsqu’il sera réinvesti dans l’économie. Comme dans une pyramide de verres, il suffit de verser le champagne tout en haut pour que l’alcool pétillant percole jusqu’en bas et que tout le monde puisse également s’enivrer.
Au Québec, le système d’imposition est relativement progressif et, par conséquent, plus on est riche et plus on paie une plus grande part d’impôt (techniquement en tout cas). Ce faisant, nous dit la droite, le « ruissèlement » ne peut avoir lieu comme il se doit puisqu’on ne laisse pas suffisamment d’argent en haut pour que la coupe déborde et viennent se déposer dans nos coupes à nous, en bas.
Sauf que ça ne se passe pas comme ça dans la vraie vie. Dans les dernières années, on a vu une augmentation de la richesse concentrée dans les mains des plus nantis alors que les salaires ont plutôt tendance à stagner ou à diminuer pour la majorité de la population. Ce n’est que par l’intervention de l’État que la situation des plus pauvres s’améliore, et encore. Les inégalités de marché creusent tellement l’écart que la redistribution ne fait qu’atténuer cette réalité.
Quant à elles, les entreprises privées dont on a réduit les impôts afin de stimuler la création d’emplois et l’investissement ont préféré accumuler des liquidités dans leurs coffres. Les verres ont beau déborder au sommet de la pyramide, le champagne ne coule pas!
Financer les services un puits de pétrole à la fois
Le Québec est riche en ressources naturelles. On a des forêts immenses, des rivières puissantes, un sous-sol rempli d’un ensemble de minéraux et potentiellement quelques gisements d’hydrocarbures. Si l’on est d’avis que le gouvernement manque d’argent pour boucler son budget, pourquoi ne pas profiter de l’or noir et devenir riche comme un émirat?
D’abord, parce qu’il y a cette chose qu’on appelle l’environnement, sujet à propos duquel personne n’aura parlé à Open Télé. Présentement, le Québec émet déjà plus de CO2 que ce que l’environnement peut soutenir si on veut éviter un emballement climatique à court terme. Déjà, des efforts importants de réduction d’émissions de gaz carbonique doivent être mise en place. S’il est vrai qu’on ne peut imaginer à court terme se libérer entièrement de notre dépendance au pétrole, il n’en reste pas que des mesures pour en réduire la consommation sont nécessaires dès maintenant. Il faut aussi réfléchir collectivement sur le type de pétrole que nous consommons. Le pétrole des sables bitumineux (que nous apportera le pipeline d’Enbridge) et le pétrole de schiste (que l’on compte exploiter à Anticosti) sont parmi les sources d’énergie les plus polluantes qui existent. L’effet de leur exploitation participera donc à exacerber la situation et aura des impacts environnementaux importants (et coûteux) qui dépasseront nos frontières et se répercuteront sur les générations futures.
Et même si on fait abstraction de la question environnementale, les montants qu’on nous fait miroiter sont plus que discutables. Selon certains, Anticosti n’est peut-être pas l’eldorado qu’on nous fait scintiller et ce, sans compter les effets qu’auraient l’extraction et le transport du pétrole sur l’écosystème délicat du St-Laurent.
Réformes impossibles : trop de syndicats
En dépit de toutes ces belles paroles, ultimement, le problème, ce sont les syndicats. En plus de coûter trop cher et d’avoir de trop bonnes conditions de travail, les employé·e·s syndiqués de l’État sont réfractaires aux changements et aux réformes. Sans oublier leur monstrueux régime de retraite qui saigne les différents gouvernements.
Ces préjugés ont la couenne dure (et ce n’est pas la première fois qu’on en parle). D’abord, rappelons que ces employé·e·s d’État ne sont pas une force de travail désincarnée ou abstraite. Il s’agit bien d’infirmiers, d’avocates, d’enseignants, de préposées à la SAAQ… Comme dans le secteur privé, ils obtiennent leur salaire et leurs avantages sociaux en échange de l’exécution d’un travail, puis dépensent cet argent et contribuent du même coup à l’activité d’une économie largement dépendante (ne l’oublions pas) de la consommation des ménages. Ensuite, si on compare avec la rémunération globale (donc salaire et avantages sociaux) du secteur public avec celle du privé, il y a encore un écart de près de 10% qui favorise le secteur privé. La différence est encore plus importante lorsqu’on compare les syndiqué·e·s des deux secteurs.
Quant aux régimes de retraite, ceux-ci ont été négociés entre l’employeur, c’est-à-dire l’État, et les employé·e·s. Il s’agit d’un engagement contractuel qui compense partiellement pour les salaires moins élevés que ceux offerts par le secteur privé. Bien souvent, on a d’ailleurs proposé aux syndiqué·e·s de bonifier les prestations à la retraite en échange d’une hausse moins importante du salaire. Si on veut changer les régimes de retraite pour économiser plus tard, il faudrait, en toute équité, bonifier des salaires aujourd’hui afin de maintenir une équité intergénérationnelle. Quant à la dette associée aux retraites, rappelons qu’une embellie récente des marchés financiers a amélioré d’un coup leur santé financière.
La santé engloutira le budget
Le secteur de la santé occupe 43% du budget du Québec et augmente légèrement année après année. Si rien n’est fait, le gouvernement du Québec deviendra bientôt un gigantesque ministère de la Santé.
Un portrait plus honnête commencerait d’abord par départager les coûts de la santé de ceux des services sociaux puisqu’il s’agit d’une particularité du Québec d’avoir ainsi un « Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ». Les diminutions ou compressions de dépenses de programmes dans les autres ministères ont également pour effet de donner une plus grande place à celles qui vont à la santé (il faut regarder le dénominateur et pas seulement le numérateur).
Ensuite, il faut voir qu’est-ce qui augmente si rapidement dans les coûts de la santé. Il y a les médicaments, bien sûr, qui connaissent une hausse de prix fulgurante, et le coût des médecins, également, qui connait actuellement une croissance importante. On s’aperçoit que ce sont dans les affectations budgétaires où il existe une dynamique de marché que les coûts sont les moins bien contrôlés. En somme, pour éviter l’explosion des coûts de la santé, le public est la solution et non pas le problème. Le plus bel exemple est sans doute les États-Unis, dont la faillite du modèle s’explique en grande partie par le recours au privé en santé.
Bref, voilà quatre thèmes qui ont été abordés à Open télé, mais sur lesquels je n’ai pu réagir malgré les arguments qui me démangeaient en plein tournage. Les mythes sur la gestion économique et fiscale du Québec sont tenaces, mais à force de les expliquer, peut-être saura-t-on élever enfin le débat. J’aurais aussi voulu aborder la question du « bon père de famille » qui doit gérer le budget du Québec, mais ce lieu commun est si dense qu’il faudra attendre une prochaine fois.