50 ans après la baie James : égratigner le mythe
18 avril 2023
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Durant la campagne électorale de l’automne dernier, François Legault a réanimé l’idée de construire de grands barrages au Québec, une annonce qui a étonné les leaders cris de la baie James. Le premier ministre a justifié cette idée en invoquant la nécessité d’effectuer un virage électrique en matière de transport. Déjà en 2016, alors qu’il était dans l’opposition, Legault promettait « une baie James du 21e siècle ».
C’est un thème récurrent de la politique québécoise. Pour se donner à peu de frais une image de bâtisseurs du Québec de demain, la classe politique fait appel à l’imaginaire du développement du nord en essayant de s’arroger une petite part du prestige du projet hydroélectrique de la baie James.
Il est vrai que les barrages hydroélectriques fournissent à la population québécoise une énergie abondante qui émet peu de GES comparativement aux combustibles fossiles. Il est vrai aussi que le projet de la baie James a contribué au développement économique du Québec, notamment en embauchant près de 185 000 personnes. Mais ce développement ne s’est pas fait sans heurts.
Il y a 50 ans, en mai 1973, les travaux de la première phase du projet hydroélectrique de la baie James débutaient. Profitons de cette commémoration pour réfléchir au bilan de l’énergie électrique au Québec. Dans ce billet, j’égratignerai le mythe de la baie James en rappelant que le projet a été conçu sans tenir compte des membres des Premières Nations qui vivaient sur place.
Des projets sans consultation
Des aîné·e·s cri·e·s de la baie James ont dû avoir une impression de déjà-vu lorsqu’ils et elles ont appris qu’une mine de lithium – un minerai destiné à la production de batteries électriques – allait être exploitée sur leur territoire. Le projet a été autorisé par le conseil de bande, mais il n’a pas fait l’objet de consultations préalables au sein de la communauté. Plusieurs craignent que la mine pollue les rivières et les lacs du territoire, un peu comme les réservoirs des barrages hydroélectriques ont entraîné une contamination au mercure des poissons. Cette mine s’annonce de plus comme la première d’un ensemble plus vaste, car le gouvernement du Québec et le Grand Conseil des Cris ont signé La Grande Alliance, un plan d’infrastructures qui vise à positionner le Québec « au centre du secteur minier global ». Or, le projet soulève la controverse : certains craignent ses répercussions environnementales et déplorent le manque de transparence et de consultation.
En avril 1971, le premier ministre Robert Bourassa n’avait même pas fait l’effort minimal d’informer les leaders cris lorsqu’il annonça le projet hydroélectrique de la baie James. Comme le souligne l’auteur Olivier Ducharme, un rapport publié en 1972 sur les impacts écologiques du projet mentionnait que l’exploitation des ressources naturelles de la baie James engendrerait un bouleversement des traditions qui mettrait en péril le mode de vie de la population autochtone de la région. Non seulement le gouvernement ne tint pas compte de ces objections, mais il tenta de les réfuter en minimisant l’importance du mode de vie traditionnel des Autochtones et en arguant que le projet leur permettrait d’entrer pleinement dans la modernité. Une citation du ministre des Ressources naturelles de l’époque montre bien comment le paternalisme et le colonialisme imprégnaient la pensée des membres du gouvernement : « Comme les ressources énergétiques du Nouveau-Québec seront prochainement exploitées sur une grande échelle, les Indiens et les Esquimaux qui vivent sur ce territoire doivent abandonner leur style de vie traditionnel et modifier leur culture pour s’adapter aux conditions de vie et aux valeurs industrielles du Sud. »
Surpris·e·s et choqué·e·s par le projet envahissant du gouvernement, des Cris, des Inuits et des membres d’autres Premières nations se mobilisèrent. L’Association des Indiens du Québec (AIQ) déposa une demande d’injonction pour que cessent les travaux. Celle-ci fut accordée par le juge Malouf le 15 novembre 1973, mais fut renversée par la Cour d’appel du Québec une semaine plus tard. Les travaux purent donc reprendre, mais les démarches judiciaires poussèrent le gouvernement du Québec à négocier avec les autochtones, ce qui mena à la signature en 1975 de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.
Cette entente reste à ce jour controversée. Bien qu’elle se soit accompagnée de compensations financières ainsi que de la reconnaissance d’une autonomie administrative et de certains droits, elle repose sur l’extinction des droits territoriaux des autochtones. De plus, la construction des barrages de la baie James a eu des conséquences environnementales et sociales qui peuvent difficilement être encapsulées dans un document juridique : perte de territoires de chasse et de pêche, déménagement de communautés, etc. Le projet hydroélectrique de la baie James est donc né du rapport foncièrement inégalitaire entre la nation québécoise et les nations autochtones habitant le territoire du Québec. Vouloir s’en inspirer aujourd’hui participe à reconduire l’approche colonialiste qui était au cœur de ce projet phare du Québec moderne.
3 comments
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Bien sûr, le projet de la Baie James a été conçu sans tenir compte des Autochtones. Les esprits étaient ailleurs. Entre autres, il fallait trouver une solution à la crise sociale qui a enflammé la deuxième moitié de la décennie des années 60. Quand le projet est annoncé en avril 1971, on est à quatre mois de ce qui en fut le point culminant, la Crise d’octobre de 1970. La solution économique servit à évacuer la solution politique revendiquée.
La grandeur d’une société se mesure au traitement des moins riches de ses membres.
Pour le moment, ce sont les principes britanniques qui priment: Vol, génocide, assimilation et esclavage.
“”Des aîné·e·s cri·e·s de la baie James ont dû…”
J’ai arrêté de lire à cet endroit précis.
Je suis Québécois de langue française. Et je veux lire en français.