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Mise à jour économique: entre effort minimum et électoralisme

26 novembre 2021

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11min


Le ministre des Finances, Éric Girard, présentait hier sa mise à jour économique et financière, un « mini-budget » qui comprend 10,7G$ de dépenses sur 5 ans. Bien que le gouvernement fasse des efforts évidents pour soutenir les personnes les plus touchées par la montée rapide de l’inflation, la CAQ revient rapidement à ses vieilles tactiques en vue de favoriser le secteur privé. Analyse.

Un déficit et une dette sous contrôle

Le déficit budgétaire a été révisé à 6,8G$ (après une contribution de 3,3G$ au Fonds des générations), soit loin derrière les 12,3G$ qui avaient été avancés lors du dépôt du budget en mars dernier. Ce déficit devrait diminuer graduellement pour se convertir en surplus (de 231M$) à partir de 2024-2025. Le retour à l’équilibre budgétaire est pour sa part prévu pour 2027-2028. La situation financière du gouvernement est donc nettement meilleure que ce que le ministre avait prévu au printemps, et ce malgré le contexte pandémique et ses répercussions sur l’économie.

Quant à la dette, elle représentera 44,3% du PIB en 2022, proche de son poids pré-pandémie. Le gouvernement, qui espère ramener cet indice déjà historiquement bas à 42,5% en 2026, explique comme d’habitude que sa réduction contribuera à l’enrichissement collectif, à répondre aux besoins futurs de la population, et même à la lutte contre les changements climatiques. Notons à cet effet que la mise à jour économique ne comporte aucune nouvelle mesure en environnement. Maintenir un niveau élevé de dépenses semble pourtant nécessaire tant pour assurer des services de qualité, pour rémunérer de manière adéquate le personnel des services publics, que pour faire la transition vers une économie faible en carbone. Autrement dit, la lutte contre les inégalités et la crise climatique ne peut être compatible avec un resserrement de la capacité d’intervention du gouvernement. Il apparaît ainsi plus responsable de s’attaquer à ces problèmes, quitte à voir temporairement gonfler le poids de la dette, que de les laisser prendre de l’ampleur et de devoir en assumer les coûts.

Des mesures pour combattre l’inflation

Alors que la CAQ prépare le terrain pour les élections qui auront lieu au courant de l’année prochaine, le ministre des Finances aime laisser entendre qu’il a « sorti le chéquier » pour venir en aide à la population québécoise en combattant les effets de l’inflation. Dans les faits, plusieurs des mesures ponctuelles prévues dans la mise à jour économique constituent un effort louable, mais non des mesures structurantes. 

Le tableau suivant présente l’impact financier des mesures les plus importantes pour contrer les effets de l’inflation sur les ménages.

Source : Le point sur la situation économique et financière du Québec,  automne 2021, p.C6.

La mesure la plus importante est l’instauration de la « prestation exceptionnelle pour le coût de la vie ». Cette mesure ponctuelle devrait permettre aux prestataires du crédit d’impôt remboursable pour la solidarité sociale, soit environ 3,3 millions de personnes, de recevoir une aide financière ponctuelle (400$ pour les couples, 275$ pour les personnes vivant seules ou 275$ pour celles vivant en colocation). Le principe de la mesure est intéressant, mais cette bonification représente une augmentation de 2,6 %, alors que la hausse de l’inflation annuelle en octobre 2021 était de plus du double, soit 5,3 %. Malgré cette prestation supplémentaire, le revenu des personnes visées va donc diminuer. De plus, on peut se questionner sur les raisons d’offrir une aide exceptionnelle alors que le gouvernement pourrait ajuster de manière permanente son crédit d’impôt à l’inflation (ce qu’il a d’ailleurs fait pour les tarifs d’hydroélectricité et qui affecte les dépenses de l’ensemble des Québécois·es).  

La deuxième mesure en importance consiste en une bonification du montant pour le soutien des aîné·e·s. Il s’agit d’une hausse du plafond de l’aide maximale versée aux personnes âgées de 70 ans et plus, qui passe de 209$ par année à 400$. Cette aide est nécessaire, car les personnes souffrant le plus de la hausse du prix du panier de consommation sont celles dont les revenus sont fixes et peu élevés, ce qui est le cas de beaucoup de personnes âgées. À cet égard, espérons que le gouvernement fédéral emboîte le pas plus tôt que tard. 

La troisième mesure prévue reconduit une bonification temporaire de l’aide financière aux études qui avait été mise en place dans la foulée de la pandémie. L’objectif de cette mesure était de faciliter l’accès aux études supérieures. Une fois de plus, bien qu’il faut saluer ce geste, il devient nécessaire de pérenniser ce type d’aide pour rendre accessible l’éducation au plus grand nombre. 

Enfin, le gouvernement annonce un financement de 304M$ pour soutenir les ménages québécois dans l’accès au logement sur le marché privé. Là encore, l’effort est louable, mais sachant que près de 83% des dépenses visant à construire des logements abordables seront réalisées à partir de 2024-2025, cette annonce ressemble plus à une promesse électorale qu’à une réelle mesure pour aider rapidement les Québécois·es à faire face à la hausse soutenue des prix des logements.

Soutenir les familles, ou les garderies privées?

Le gouvernement annonce par ailleurs 2,4G$ pour soutenir les familles, principalement par l’entremise de deux mesures: 1,1G$ est destiné à bonifier le crédit d’impôt remboursable pour les parents qui recourent aux garderies privées non subventionnées, et 1,2G$ doit servir à « compléter » le réseau des services de garde subventionnés.

Si cette annonce permettra certainement d’améliorer l’accès des enfants aux services de garde, ce qui est une bonne nouvelle pour les familles, plusieurs bémols doivent être soulevés. Tout d’abord, la création de 37 000 places subventionnées ne permettra pas de « compléter » le réseau puisqu’au moins 51 000 enfants sont en attente d’une place subventionnée.

De plus, près de la moitié du montant total annoncé pour le soutien aux familles représente en fait une subvention indirecte aux garderies privées non subventionnées. En effet, le 1,1G$ investi dans la bonification du crédit d’impôt remboursable pour les frais de garde sera en bout de ligne empoché par ces entreprises. Soulignons également que les sommes annoncées, qui s’échelonnent sur 5 ans, seront débloquées beaucoup plus rapidement pour les services de garde non subventionnés que pour les garderies subventionnées: alors que les premières recevront 41% des sommes promises cette année et l’année prochaine, seulement 22% des montants prévus pour la création des places subventionnées seront rendus disponibles durant la même période.

Les garderies privées non subventionnées auront donc tout le loisir de profiter de la bonification du crédit d’impôt pour consolider et améliorer leur offre de services et concurrencer les services de garde subventionnés avant que ceux-ci n’aient eu le temps de se développer à pleine capacité. Ceci est d’autant plus à craindre que l’intention affichée du gouvernement est d’éliminer l’écart entre les tarifs des garderies subventionnées et non subventionnées, y compris pour les ménages à revenus plus élevés. En fait, pour les familles avec un revenu familial inférieur à 70 000$, les garderies non subventionnées deviendront moins coûteuses que les garderies subventionnées.

Il faut également souligner l’aspect fortement régressif de cette réforme importante du crédit d’impôt. Le tableau suivant montre que ce sont les ménages les plus fortunés qui feront les gains les plus substantiels: alors que les familles avec un revenu de moins de 50 000 $ bénéficieront d’économies annuelles inférieures à 1 000$, les ménages ayant un revenu supérieur à 175 000$ feront des gains de 4 381$!

Source : Le point sur la situation économique et financière du Québec, automne 2021, p. E10.

Renforcer (temporairement) le système de santé

Dans une publication récente, l’IRIS a chiffré à 2,5G$ le manque à gagner qui persiste dans le réseau de la santé et des services sociaux à la suite du budget 2021-2022. À première vue, on peut donc se réjouir des 4,4G$ sur cinq ans annoncés dans la mise à jour économique pour « renforcer le système de santé ». Précisons que les montants prévus pour cette année totalisent 3,6G$. Est-ce à dire que le manque à gagner est résorbé et qu’on se retrouve enfin en bonne position pour amorcer une véritable reconstruction du réseau et une amélioration des services?

Malheureusement, quand on y regarde de plus près, on constate que la totalité des sommes annoncées sont destinées à des mesures temporaires visant à « vaincre la pandémie » et à réduire les listes d’attente en chirurgie. Ces mesures ponctuelles prennent fin respectivement en 2022-2023 et en 2023-2024. De plus, certaines d’entre elles, comme les primes non récurrentes de 12 000 à 18 000 $ visant à attirer et retenir les infirmières dans le réseau public, avaient déjà été annoncées.

Or, la pandémie a clairement démontré le besoin de mesures pérennes pour renforcer le réseau de manière permanente. Comment espère-t-on favoriser la rétention à long terme du personnel si les investissements destinés à améliorer les conditions de travail cessent d’ici deux ans? Comment peut-on penser qu’on opérera les réformes nécessaires dans les services aux aînés pour que plus jamais ne se reproduise le drame vécu dans les centres d’hébergement durant la première vague sans investir des sommes récurrentes? Et avec la crise climatique qui aura des conséquences majeures sur la santé, les besoins n’iront pas en diminuant.

Bien sûr, une mise à jour économique est rarement l’occasion d’annoncer de grandes politiques structurantes. Il n’en demeure pas moins que celle livrée hier par le gouvernement nous laisse essentiellement au même point qu’au lendemain du budget 2021-2022, soit avec un manque à gagner de 2,5G$ pour cette année.

Main-d’oeuvre et croissance: des mesures contradictoires

Le gouvernement annonce 3,4G$ de dépenses pour « contrer la rareté de la main-d’œuvre et pour stimuler la croissance économique ». De ce montant, 500M$ sont prévus pour aider les entreprises et 2,9G$ pour venir en aide aux travailleurs et les travailleuses L’approche du gouvernement comporte plusieurs lacunes.

Les mesures qui visent à améliorer les conditions de travail dans les services publics (santé, éducation, services éducatifs à la petite enfance) sont les bienvenues, mais le fait de miser sur des primes salariales temporaires ne peut que régler temporairement le problème. Quant aux primes qui visent à ramener des personnes retraitées au travail, leur efficacité ne peut qu’être limitée et, là encore, temporaire. Les personnes qui ont la capacité de retourner travailler ne pourront rester que quelques années supplémentaires sur le marché du travail.

Pour ce qui est des besoins du secteur privé, le gouvernement cible les secteurs du génie, des technologies de l’information et de la construction. Or, les besoins les plus grands se situent plutôt du côté de la restauration (serveurs, cuisiniers, etc.), du commerce de détail (vendeuses, garnisseurs de tablettes, caissières, etc.) et des industries (manutentionnaires, camionneurs, transformation alimentaire, etc.). Les emplois dans ces secteurs sont en majorité à bas salaires et demandent peu d’expérience et de formation. Les mesures gouvernementales ne permettront pas d’améliorer le recrutement et la rétention du personnel pour ces catégories d’emploi, envers lesquelles le premier ministre s’est de toute façon rarement montré intéressé.

Paradoxalement, le gouvernement souhaite aussi soutenir la croissance de l’économie et, à cet effet, met de l’avant des mesures visant à accroître la productivité et l’expansion des entreprises. Somme toute modestes, ces mesures risquent néanmoins de hausser les besoins en main-d’œuvre des entreprises, contrecarrant en partie les efforts pour remédier au manque de personnel dont se plaignent les employeurs. L’heure ne devrait pas tant être à la création d’emplois, mais bien à l’amélioration de la qualité des emplois.

Rattraper l’Ontario?

Le gouvernement souhaite d’ici 15 ans combler la différence de richesse avec l’Ontario, c’est-à-dire ramener à 10% l’écart entre le PIB par habitant de l’Ontario et celui du Québec (la différence est présentement de 12,9%). Le gouvernement mise pour ce faire sur la hausse de la productivité, l’élargissement du bassin de population active et la hausse du taux d’emploi.

Rappelons à ce sujet que l’écart de productivité entre l’Ontario et le Québec est dû à une différence dans le tissu industriel des deux provinces, notamment l’importance plus grande du secteur financier chez nos voisins, et non au manque de productivité des travailleurs et des travailleuses.

Notons aussi que le taux d’emploi au Québec, qui s’élevait à 76,0% en 2019 et à 72,6% en 2020 pour les personnes âgées de 15 à 64 ans, était au-dessus de la moyenne canadienne et ontarienne, mais aussi au-dessus de la moyenne du G7 qui était de 72,0% en 2019 et de 69,7% en 2020.

Enfin, ce que le gouvernement ne dit pas, c’est que l’économie ontarienne produit aussi plus d’inégalités. En 2019, le coefficient de Gini, un indicateur qui illustre la répartition des revenus au sein d’une population (0 = égalité parfaite, 1 = inégalité parfaite), était de 0,282 au Québec pour le revenu après impôt ajusté, mais de 0,306 en Ontario. En clair, l’Ontario ne peut être un modèle que si on accorde de l’attention qu’à un seul indicateur, le PIB, qui a été maintes fois critiqué en raison de ses importantes limites.

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1 comment

  1. Au lieu d’éliminer la spéculation, le gouvernement n’a rien trouvé de mieux que de l’engraisser.

    Aucune mesure n’existe pour éliminer l’inflation.

    Un revenu de 20,000 donne une facture de garderie de 650$… 3.25%… Ça serait 500$ à 2.5%
    Un revenu de 175,000 donne une facture de garderie de 4,381$… 2.5%… Ça serait 5,688$ à 3.25$

    On propose de renforcer “temporairement” le système de santé alors que l’on s’est acharné à le réduire en bouillie depuis au moins 1997. De plus, le vieillissement de la population a t-il été pris en compte?

    Si le revenu de citoyenneté, tel que proposé par Chartrand et Bernard avant 1990, avait été en place avant l’arrivée de cette pandémie, il n’y aurait eu de précarité pour pratiquement personne.

    Quand à la soit-disant dette, elle est carrément fictive. Pourquoi alors s’en soucier? Après tout, les banques privées ont le pouvoir de créer et d’utiliser l’argent-dette, n’est-ce pas? Personne n’ayant la capacité de créer quoi que ce soit, on en arrive la la conclusion logique que les banques ne prêtent rien parce qu’elles n’ont rien créé. De quel droit peuvent-elle charger un intérêt sur rien?

    CONCLUSION:
    Le “mini-budget” de Éric Girard est en fait un outil servant à maintenir le peuple dans la servitude, l’ignorance étant son principal outil de travail.

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