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Richesse, pauvreté et inégalités – Le Québec face au Canada

12 mai 2021

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10min


L’IRIS a développé en 2016 l’Indice panier[1] dans le but de lier la question de la réduction de la pauvreté économique à celle de la réduction des inégalités de revenu, à partir de la couverture des besoins de base. Dans la présente fiche, nous utilisons l’Indice panier comme révélateur de la richesse, de la pauvreté et des inégalités de revenu au Québec, en comparaison avec le reste du Canada de 2012 à 2017[2].

L’Indice panier s’appuie sur une mesure de faible revenu, la Mesure du panier de consommation (MPC), calculée par Statistique Canada. La MPC établit un panier de biens et de services[3] donnant accès à « un niveau de vie de base modeste au Canada »[4] en fonction de la taille d’un ménage et de la région où il vit. L’Indice panier mesure combien de fois le revenu d’un ménage lui permet de se procurer le panier de la MPC. Il est fondé sur l’idée que la MPC permet de savoir qui dans la société couvre ou non ses besoins de base et jusqu’à quel point. Cette information est une fondation solide à partir de laquelle mesurer les inégalités économiques entre le manque et l’abondance[5].

Depuis 2018, le Canada considère la MPC comme le « seuil officiel de la pauvreté »[6]. Le Québec a une autre approche à cet égard, considérant plutôt que la MPC permet de « suivre les situations de pauvreté sous l’angle de la couverture des besoins de base »[7]. Cette distinction est importante, car couvrir ses besoins de base ne signifie pas pour autant sortir de la pauvreté[8].

Mesurer la pauvreté et la richesse

L’actuel premier ministre du Québec, François Legault, a fait de la pauvreté relative du Québec face au reste du Canada un thème récurrent de ses interventions publiques. Son unité de mesure favorite pour établir cette différence est le PIB par personne, qu’il utilise comme indicateur de richesse.

Si on considère la dernière année de notre période d’étude, 2017, le PIB par personne s’élevait au Québec à 50 430 $ tandis que dans le reste du Canada, il était de 60 969 $[9], soit 17,3 % de plus[10].

On a souvent a montré les limites du recours au PIB comme mesure de la richesse, au Québec[11] comme à l’international[12]. Le PIB n’est pas fondé uniquement sur les revenus des personnes qui composent une population, mais sur l’activité économique générale, laquelle peut parfois détruire de la richesse plutôt que d’en créer. De plus, le PIB ne permet pas d’établir si les besoins d’une population sont couverts et il reflète mal les variations du coût de la vie.

On peut aussi mesurer un aspect concret de la richesse en évaluant le panier de biens et services que peuvent se procurer les ménages d’une population à partir de leur revenu disponible. Cette approche a des limites[13], mais elle a l’avantage de se fonder sur les revenus réels dont dispose la population. De plus, comme le panier de la MPC est établi en fonction de la taille et du lieu de résidence des ménages concernés, il permet de tenir compte des différences de coût de la vie. Au Québec, pour l’année 2017[14], les revenus des ménages du Québec leur ont donné accès en moyenne à l’équivalent de 2,23 paniers de consommation, évalués selon la MPC. Dans le reste du Canada, les revenus des ménages leur ont permis en moyenne de se procurer cette année-là l’équivalent de 2,39 paniers. Cette différence de richesse entre le Québec et le reste du Canada a été de 6,7 %, comparativement à la différence de 17,3 % calculée à partir du PIB par personne. L’écart diminue donc de moitié quand on se concentre sur les revenus réels des ménages et qu’on tient compte des différences interrégionales de coût de la vie. En n’évaluant que le 80 % des ménages situés au bas de la distribution des revenus (soit les 8 premiers déciles), l’écart entre le Québec et le reste du Canada n’est plus que de 3,9 %.

On peut ensuite se demander comment cette composante de la richesse se répartit entre les ménages. Le tableau 1 présente l’Indice panier des ménages du Québec et du reste du Canada selon leur décile de revenus après impôts[15]. On mesure ainsi le niveau moyen de biens et services en équivalents de panier de la MPC que le revenu de ces ménages leur a permis de se procurer pendant la période 2012-2017.

Le premier constat est, sans surprise, la similarité dans la répartition des revenus entre ces sociétés voisines. Tant au Québec que dans le reste du Canada, le premier décile a disposé en moyenne de la moitié de ce qu’il lui aurait fallu pour couvrir ses besoins au niveau de la MPC[16], tandis que le 2e décile a eu tout juste accès à ce niveau. On remarque par contre que, dans le reste du Canada, les ménages des cinq déciles les plus riches ont eu accès à plus de ressources qu’au Québec.

On peut aussi se servir de l’Indice panier pour mesurer des ratios interdéciles, c’est-à-dire la distance qui sépare les ménages les plus pauvres (1er décile), un décile intermédiaire (5e décile) et les ménages les plus riches (10e décile).

En moyenne sur cette période, les ménages les plus riches du Québec avaient bénéficié de 8,7 fois plus de ressources par rapport à la couverture de leurs besoins assimilables au panier de la MPC que les plus pauvres, tandis que pour le reste du Canada, ce ratio était de 11,3. De même, l’écart entre le décile le plus pauvre et le décile 5 et entre ce décile 5 et le décile le plus riche, était plus bas au Québec. Le Québec s’avère nettement plus égalitaire sur ce plan que le reste du Canada, malgré des revenus moins élevés.

Comme nous l’avons vu, ces différences de niveaux de vie entre le Québec et le reste du Canada sont dues à la fois à une différence de richesse et à une différence de distribution de cette richesse. Le graphique 2 permet de mettre l’accent sur ce deuxième aspect en distribuant entre les différents déciles le revenu disponible pour la MPC au Québec en 2017 de la même façon qu’il a été distribué dans le reste du Canada.

En maintenant le niveau de revenus global actuel du Québec, mais en le redistribuant selon le modèle du reste du Canada pour l’année 2017, on constate que les 8 premiers déciles auraient eu un Indice panier moindre, tandis que les deux déciles les plus riches auraient connu une hausse. Par exemple, le premier décile serait passé de 0,55 panier à 0,46 panier, tandis que le décile le plus riche serait passé de 4,9 paniers à 5,1 paniers. Cette redistribution aurait correspondu à un transfert de richesse de 3,2 G$ des 8 premiers déciles vers les deux plus riches.

Déficits et excédents à la MPC

De 2012 à 2017, la proportion des personnes situées sous le seuil de la MPC est passée de 11,8 % à 9 % de la population totale au Québec et de 12,7 % à 9,5 % de celle du Canada. Si cette diminution est une bonne nouvelle, à quel point les ménages situés sous le seuil sont-ils restés loin de l’atteindre ? À quel point les ménages situés au-dessus de la MPC dépassaient-ils ce seuil ? Le graphique 3 répond à ces questions.

Pour les ménages vivant sous le seuil de la MPC, la différence de couverture entre le Québec et le reste du Canada est mince. Les ménages aux revenus inférieurs à ce seuil ont connu un déficit moyen de 0,39 panier au Québec et de 0,40 panier dans le reste du Canada. Ce déficit à la MPC était concentré dans les déciles les plus pauvres[17], principalement dans le premier décile, lequel cumulait dans les deux cas le principal du déficit total.

La grande majorité de la population disposait de ressources supérieures à la couverture de ses besoins de base. La différence de cet excédent entre le Québec et le Canada était beaucoup plus marquée que dans le cas du déficit. Au Québec, ces ménages disposaient en moyenne de 1,31 panier de plus que le panier de la MPC, contre 1,61 panier de plus dans le reste du Canada, soit une différence de 0,27 panier ou de plus d’un quart de panier. Dans les deux cas, cet excédent était très inégalement réparti entre les ménages et principalement concentré dans les quatre déciles supérieurs. C’est là aussi que se trouvait le principal de la différence d’excédent entre le Québec et le reste du Canada.

En 2017, le déficit à la MPC de l’ensemble des ménages ne couvrant pas leurs besoins de base représentait 3,9 G$ au Québec et 15,1 G$ dans le reste du Canada. L’excédent total à la MPC représentait quant à lui 127,3 G$ au Québec et 508,6 G$ dans le reste du Canada. Si l’on divise ces totaux par l’ensemble de la population, la croissance de l’excédent de 2016 à 2017 en dollars constants (1017 $ au Québec et 1191 $ dans le reste du Canada) aurait permis de couvrir entièrement le déficit à la MPC, tant au Québec (472 $) que dans le reste du Canada (548 $) tout en laissant croître le niveau de vie des ménages concernés d’un excédent à la MPC évoluant plus rapidement que l’inflation.

Conclusion

Cette fiche a permis un regard comparatif nouveau entre le Québec et le reste du Canada sur des questions de richesse, de pauvreté et d’inégalités de revenus. L’Indice panier montre que si la population du Québec avait accès à moins de revenus que le reste du Canada, cette différence est moindre que celle obtenue avec le calcul du PIB par personne. De plus, si les revenus des ménages québécois étaient plus bas, ils étaient mieux répartis. Le Québec avait moins de ménages qui ne couvraient pas leurs besoins de base et les différences de revenus importantes étaient concentrées en haut de l’échelle sociale. Au Québec comme dans le reste du Canada, la croissance de l’excédent à la MPC entre 2016 et 2017 aurait permis de couvrir l’ensemble du déficit à la MPC en 2017 tout en laissant l’excédent à la MPC dépasser l’inflation, mais les choix de politiques publiques en ont décidé autrement.

Notes de fin de document

[1]       Simon Tremblay-Pepin et Vivian Labrie, Le déficit humain imposé aux plus pauvres, IRIS, Montréal, 2016.

[2]       Il s’agit des années pour lesquelles on dispose des Fichiers de micro-données à grande diffusion de l’Enquête canadienne sur le revenu.

[3]       Soit l’alimentation, les vêtements, le logement, le transport et d’autres nécessités. Certaines dépenses non discrétionnaires (cotisations à un régime de retraite ou à un syndicat, frais de garde, frais de santé non assurés par le réseau public, pensions alimentaires pour les enfants et autres frais) sont retranchées du revenu disponible servant à établir la MPC.

[4]       Samir Djidel, Burton Gustajtis, Andrew Heisz, Keith Lam et Sarah McDermott, Vers une mise à jour du panier de consommation, Statistique Canada, Ottawa, 6 décembre 2019, p. 3.

[5]       Mathieu Dufour, Vivian Labrie et Simon Tremblay-Pepin, Using the Market Basket Measure to Discuss Income Inequality from the Perspective of Basic Needs. Social Indicators Research, January 2021, doi.org/10.1007/s11205-020-02580-9.

[6]       Emploi et Développement social Canada, Une chance pour tous : la première stratégie canadienne de réduction de la pauvreté, Gouvernement du Canada, Ottawa, 2018, p. 11.

[7]       Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion, Prendre la mesure de la pauvreté, Québec, 2009, p. 31.

[8]       Eve-Lyne Couturier et Vivian Labrie, Qui a accès à un revenu viable au Québec ? IRIS, 2020.

[9]       Cette fiche s’en tient à comparer le Québec au reste du Canada. Une comparaison interprovinciale conduirait toutefois à des taux moindres ou plus élevés selon les provinces considérées.

[10]     Statistique Canada, Tableaux 36-10-0222-01 Produit intérieur brut, en termes de dépenses, provinciaux et territoriaux, annuel (en dollars enchaînés de 2012) et 051-0001 Estimations de la population au 1er juillet, par âge et sexe.

[11]      Renaud Gignac et Philippe Hurteau, Mesurer le progrès social, vers des alternatives au PIB, IRIS, Montréal, 2011 ; Pierre Fortin, « Comment se comparent le Québec et l’Ontario en niveau de vie », L’actualité, 25 juin 2014 ; Eve-Lyne Couturier, Mathieu Dufour, Productivité : Le Québec est-il en retard ?, IRIS, Montréal, 2014.

[12]      OCDE, Mesurer le bien-être et le progrès : recherche et études en cours, www.oecd.org/fr/statistiques/mesurer-bien-etre-et-progres.htm ; Coyle, Diane, « Repenser le PIB », Finances et développement, Fonds Monétaire International, Mars 2017, p.16-19.

[13]      Elle ne tient compte que de façon indirecte et partielle de la richesse que représente l’accès à des services publics de qualité, à des avoirs, à la nature ou à du temps libre, par exemple.

[14]      Tous les calculs effectués dans la présente fiche utilisent la base 2008 de la MPC.

[15]      Des parts équivalentes de 10 % des ménages, classées en ordre de revenu après impôt : le premier décile est le 10 % le plus pauvre, le dixième décile est le 10 % le plus riche

[16]      Tel que mentionné plus tôt, en disposant respectivement en moyenne de 1,09 et 1,06 panier, les ménages du deuxième décile n’étaient pas pour autant sortis de la pauvreté, même si un certain nombre couvraient leurs besoins de base.

[17]      Comme le revenu disponible pour la MPC ne comprend pas certaines dépenses figurant dans le revenu après impôt, certains ménages de déciles plus élevés peuvent connaître un déficit à la MPC.

Faits saillants

6,7 %

Écart de richesse entre le Québec et le Canada en panier

17,3 %

Écart de richesse entre le Québec et le Canada en PIB


  • L’Indice panier permet une autre approche de la richesse au Québec et montre que l’écart avec le reste du Canada est moins grand (6,7 %) que mesuré avec le PIB par habitant (17,3 %).
  • Les revenus au Québec sont mieux répartis que dans le reste du Canada. Si le Québec répartissait ses revenus de la même façon que les autres provinces, la majorité de la population transférerait 3,2 G$ aux 20 % les plus riches.
  • Au Québec, comme dans le reste du Canada, on pourrait combler les besoins de base de tout le monde sans demander d’importants sacrifices à la majorité qui les couvre déjà.

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