L’oléoduc Ligne 9B et le pétrole léger des sables bitumineux
19 Décembre 2013
Dans une capsule vidéo mise en ligne ce mardi, l’ancien chef du Parti vert du Québec et député péquiste Scott McKay tente de concilier son appui au projet de renversement du flux de l’oléoduc Ligne 9B d’Enbridge avec sa farouche opposition à la version antérieure du projet, qui comportait une extension jusqu’à Portland au Maine. Or, les motifs avancés par M. McKay pour justifier son appui et celui de son gouvernement au projet actuel d’oléoduc Ligne 9B qui apporterait au Québec le pétrole des sables bitumineux reposent sur des prémisses contestables.
D’abord, selon M. McKay, l’oléoduc ne transporterait que du pétrole léger (sauf “à peu près 5%” de pétrole lourd, avance-t-il). Ici, la distinction avancée par M. McKay entre « pétrole léger » et « pétrole lourd » est fallacieuse. En utilisant cette distinction, il souhaite probablement donner à penser que le « pétrole léger » serait moins polluant que le « pétrole lourd » – une stratégie qui rappelle celle des fabricants de cigarettes.
M. McKay est très certainement au courant que la production des sables bitumineux génère autant du pétrole lourd (bitume dilué ou « dilbit ») que du pétrole moyen-léger (pétrole brut synthétique ou « synthetic crude oil »). Or, ce pétrole moyen-léger, que nos raffineries sont en mesure de traiter, est l’un des plus polluants au monde. Il présente une intensité carbone de 123 kg éq. CO2 / baril, soit beaucoup plus que celui de l’Algérie, notre principale source d’approvisionnement (33 kg/baril) et que celui de la Norvège (5 kg/Baril), du Royaume-Uni (13 kg), du Mexique (35 kg) et de Terre-Neuve-et-Labrador (33 kg). Ces données sont disponibles dans notre note socio-économique de septembre dernier (voir le graphique 4 et la note 17).
Par ailleurs, comme nous le faisions remarquer dans cette lettre au Devoir, personne ne peut affirmer à l’avance que le pétrole qui transitera dans l’oléoduc Ligne 9B sera du pétrole moins sale comme le pétrole de schiste du gisement Bakken au Dakota du Nord. Enbridge, en tant que transporteur, aura la totale liberté de boucler son carnet de livraison selon ses raffineurs les plus offrants, qu’ils soient situés au Québec ou ailleurs dans le monde (via le port de Montréal).
Rappelons qu’en raison de la mise en veilleuse des projets Northern Gateway par la Colombie-Britannique et Keystone XL aux États-Unis, l’effet de goulot d’étranglement (« bottleneck effect ») que connaissent actuellement les sables bitumineux s’amplifie, ce qui accentue la pression pour exporter ce type de pétrole par le Québec. Tous les observateurs et observatrices reconnaissent cet important effet de goulot d’étranglement; selon le CIBC World Markets, même si chacun des projets d’oléoducs qui sont présentement sur la table étaient complétés, le pétrole des sables bitumineux sera encore à court de capacité de transport.
L’effet de goulot d’étranglement provoqué par le manque de débouchés pour le pétrole des sables bitumineux, qui maintient le prix du pétrole de l’Ouest (le WTI) sous le prix du marché global (le Brent), est probablement le mécanisme économique le plus efficace pour réduire les investissements dans de nouveaux projets, contenir l’expansion des sables bitumineux et en limiter les dégâts. Or, la fonction première du projet d’oléoduc Ligne 9B est précisément de remédier à cet effet de goulot d’étranglement. Cela fera augmenter la production des sables bitumineux de 12 %, entraînant des émissions additionnelles de GES qui correspondent à celles de deux nouvelles centrales au charbon.
Et même si une partie du pétrole de l’oléoduc Ligne 9B était du pétrole provenant de gisements tels celui de Bakken au Dakota du Nord, cela contribuerait de toute façon à encourager la production des sables bitumineux. Pourquoi? Parce que le réseau d’oléoducs nord-américain doit être considéré dans son ensemble, selon une perspective systémique. L’ouverture d’une nouvelle voie d’exportation du pétrole de l’Ouest permet aux distributeurs comme Enbridge de réassigner d’autres tronçons d’oléoduc au transport du pétrole issu des sables bitumineux.
Le réseau nord-américain d’oléoducs
Source : CAPP, Crude Oil Forecast, Markets & Transportation, 2013, p. 20.
En résumé, le renversement du flux de l’oléoduc Ligne 9B aura bel et bien pour effet d’exacerber significativement le problème d’émissions de GES, pour reprendre l’expression de Barack Obama, qui a adopté ce critère pour décider de l’acceptabilité de Keystone XL. Pour sa part, le gouvernement du Québec, en étroite collaboration avec l’Alberta, choisit de fermer les yeux sur la crise climatique imminente.
Nous aurions bien aimé parler de tout cela au député McKay ainsi qu’à ses collègues lors de la commission parlementaire chargée d’évaluer le projet, mais malgré nos demandes d’intervention répétées, nous en avons été exclus.
*** Pour aller plus loin :