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L’intelligence artificielle contribue à la gentrification des quartiers de Montréal

2 juillet 2021

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6min


Les politiques économiques favorisant l’essor de l’industrie du numérique contribuent à déterminer le type de citoyen·ne·s pouvant habiter la ville (1). Montréal veut être la prochaine Silicon Valley en devenant un centre mondial de l’intelligence artificielle (IA). Cependant, force est de constater que cette stratégie économique fait pression sur le parc immobilier de la métropole. Ce faisant, l’accueil dans certains quartiers des entrepreneurs, entrepreneuses, travailleurs et travailleuses de l’IA s’accompagne d’une délocalisation des autres citoyen·ne·s.

Deux jours avant le grand bal annuel du déménagement au Québec, le 1er juillet, le Regroupement des comités logements et associations de locataires du Québec (RCLALQ) a révélé les résultats de sa deuxième enquête menée à partir de 57 634 annonces de logements à louer publiées sur une période de trois mois sur le site web Kijiji. Leurs conclusions : à Montréal, le prix des logements de quatre pièces (4 et demi) a grimpé de 11% en un an et celui des plus grands logements, de 15%.

Au banc des accusés, la hausse spectaculaire du prix de vente des immeubles locatifs, le faible taux d’inoccupation des logements, le déficit d’information sur le prix des loyers et le manque de logements sociaux.

Moins souvent pointées du doigt, les politiques économiques doivent également être examinées, car elles définissent qui est désiré dans la ville et, par la bande, qui ne l’est pas.

Ceux qui sont désormais les bienvenus à Montréal, ceux devant qui toutes les portes des loyers les plus chers s’ouvrent, ce sont entre autres les acteurs liés à l’industrie du numérique et, tout récemment, ceux associés à l’intelligence artificielle (IA). Montréal prétend être la nouvelle « Silicon Valley », ce qui signifie de devenir un lieu favorable au succès commercial des entreprises du numérique. Mais cela signifie également de favoriser une gentrification accrue des quartiers. Être un pôle de l’IA signifie d’attirer les grands joueurs, les talents et les investissements financiers. Être un pôle de l’IA signifie qu’une poignée d’investisseurs et d’investisseuses averti·e·s, d’entrepreneurs et d’entrepreneuses bien placé·e·s et de salarié·e·s s’enrichiront.

À San Francisco, au cœur de la Silicon Valley, le succès des entreprises du numérique a bouleversé les habitant·e·s moins fortuné·e·s de la ville qui ont été évincé·e·s en masse de leurs logements, déclassé·e·s par les entrepreneurs, entrepreneuses et les employé·e·s des grandes firmes du web comme Google ou Facebook. Face à la flambée des prix, des activistes s’en étaient pris aux transports privés offerts par ces compagnies afin de mettre en évidence leur responsabilité dans la crise du logement.

Une telle situation pourrait se reproduire à Montréal. Déjà, les entreprises de l’intelligence artificielle sont en train de changer durablement la figure de deux quartiers, soit Parc-Extension et le Mile-ex. Les recherches du professeur de géographie Ted Rutland montrent que la proportion de logements locatifs du Mile-Ex (un quartier jusqu’à récemment nommé secteur Marconi-Alexandra situé à la frontière de Parc-Extension et du Mile-End) est passée de 100% en 1980 à 57% en 2015. Depuis, la course spéculative s’est encore accélérée avec la construction du campus MIL de l’Université de Montréal et celle de la cité de l’intelligence artificielle.

Cette « cité » est composée du complexe immobilier, le « Ô Mile-Ex », qui appartient à un fonds d’investissement immobilier de San Francisco et qui abrite entre autres les laboratoires d’intelligence artificielle du MILA, celui de la banque RBC (Borealis AI) et celui de la multinationale Thales. Juste à côté se trouve le nouveau bâtiment industriel qui loge les bureaux de Microsoft et ceux de l’entreprise IVADO Labs, qui appartient à la femme d’affaires Hélène Desmarais.

Autour de ces bâtiments, des voitures de luxe sont garées dans les rues tandis que des condos « de prestige » sont affichés sur les sites de vente et de location. Alors qu’il y a peu de temps, seuls des locataires résidaient dans ce petit quartier ouvrier, ce sont désormais de prospères propriétaires qui y sont majoritaires. Les bâtiments locatifs qui faisaient la marque du quartier sont « rachetés, détruits ou convertis en luxueux projets immobiliers » (Gélinas et al., 2021), forçant les ancien·ne·s habitant·e·s à se délocaliser pour laisser leur place aux nouveaux arrivants.

L’exemple du « succès » de l’industrie numérique à San Francisco montre qu’il y a lieu de s’inquiéter. Pourtant, la mairesse se réjouit de voir arriver ces nouveaux occupant·e·s. Il faut dire que, depuis plus de 20 ans, Montréal cherche à se démarquer dans le secteur du numérique pour se détacher de son passé industriel. La présence des grandes entreprises du secteur du numérique confirme que la métropole devient un pôle de l’IA. Et ce sont ceux qui y participent qui résideront dans la cité de l’IA, au détriment des locataires.

Il est primordial de se rappeler que ces exclu·e·s sont nombreux puisque l’industrie du numérique est fondée sur un modèle qui favorise la concentration des richesses. L’intelligence artificielle n’est pas qu’une technologie, elle est aussi une stratégie politique économique qui contribue à l’érosion du parc locatif au détriment des ménages moins nantis.

(1) Ce texte est directement inspiré d’un chapitre écrit par Joëlle Gélinas, Philippe de Grosbois et Myriam Lavoie-Moore dans le livre Montréal en Chantier publié chez Écosociété en 2021.

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