Les graphiques (6): l’année de départ
4 avril 2012
Je reprends ici ma série sur les graphiques. Dans ce billet j’aborde la question du choix de l’année de départ dans un graphique. Il s’agit d’un des éléments les plus importants pour bien apprécier la tendance de la variable qu’on veut illustrer. Les possibilités sont innombrables. Je me contenterai toutefois de montrer deux exemples pour dégager des principes de base.
Évolution du PIB par habitant
Pour les graphiques qui suivent, j’ai choisi d’utiliser les données du produit intérieur brut (PIB) en dollars enchainés de 2002, les seuls qui tiennent compte de l’évolution de l’inflation des différents composants du PIB (consommation, bien sûr, mais aussi importations, exportations et le reste).
Ce graphique, commençant en 1993 montre une croissance du PIB par habitant tout au long de la période illustrée, si ce n’est à partir de 2009. En fait, lorsqu’on veut montrer une tendance, on ne devrait jamais partir une série de données juste après une forte récession. Un des principes de base pour ce faire est de comparer des périodes d’un sommet à l’autre ou sur la plus longue période possible, comme on peut le voir sur les deux prochains graphiques.
Là, on voit clairement que la reprise fut très lente entre le début et le milieu des années 1990, le sommet de 1989 n’étant retrouvé qu’en 1994. La forte croissance de 1997 et 2000 a en fait permis de retrouver le niveau perdu durant la récession, comme le montre la ligne de tendance que j’ai tracée. On voit que la récession de 2008-2009 a rompu la tendance. Reviendrons-nous sur la ligne de tendance? Pas d’ici tôt, en tout cas!
Avec une série plus longue, on voit encore mieux la tendance de long terme d’un sommet à l’autre. Les périodes de récessions et de reprises se voient ainsi vraiment comme des périodes de sous-utilisation des capacités de production. Notons par ailleurs qu’on peut aussi visualiser la différence entre la récession du début des années 1980, en forme de V (avec une reprise rapide) et celle des années 1990 en forme de U (avec reprise lente).
Les dépenses gouvernementales et le PIB
Les exemples suivants peuvent paraître semblables aux précédents, mais ont des conséquences plus importantes. Je montrerai l’évolution de la part des dépenses gouvernementales hors immobilisations (dont le nom officiel est «Dépenses courantes nettes des administrations publiques en biens et services») sur le PIB (en dollars courants cette fois) à partir de trois années différentes.
Pour montrer les problèmes de finances publiques, on présente fréquemment l’évolution de la part des dépenses gouvernementales sur le PIB à partir de la fin des années 1990.
On obtient ainsi une croissance quasi linéaire qui semble montrer que les dépenses gouvernementales prennent toujours plus de place dans notre économie. On notera que la croissance fut la plus forte entre 2008 et 2009 en raison de la récession. Lors d’une récession, cette part augmente toujours beaucoup parce que les dépenses liées aux stabilisateurs automatiques (aide sociale, assurance-emploi, etc.) augmentent sans que le gouvernement n’ait besoin de prendre de décision. De même, les revenus baissant, le dénominateur (le PIB) diminue, ce qui ferait augmenter la part de dépenses même si elles étaient fixes.
Si on remonte plus loin, on verra que l’image que nous obtenons est bien différente. Commençons par un graphique basé sur le même principe que tantôt, soit que l’année de départ correspond au sommet du cycle précédent.
Au sommet (sommet est pris ici dans le sens de «sommet économique», pas de sommet de la courbe du graphique) précédent, la part des dépenses gouvernementales sur le PIB était même plus élevée (23,3 %) qu’au sommet le plus récent, soit en 2008 (22,7%). Cette part a augmenté en 2009 en raison de la récession et a même diminué dès 2010.
La hausse des dépenses publiques fut bien plus importante lors de la récession du début des années 1990 que lors de celle de 2008-2009, la part des dépenses gouvernementales sur le PIB augmentant de plus de trois points de pourcentage, avant de diminuer fortement (d’environ 5,7 points) à la fois en raison de la croissance du PIB (le dénominateur augmente), de la baisse de l’action des stabilisateurs automatiques et des compressions gouvernementales importantes de cette époque, compressions qui ont culminé avec le départ à la retraite anticipée de nombreux employés de l’État en 1997 et 1998 (surtout au niveau provincial, mais au fédéral aussi). Une partie de la hausse qui a suivi peut donc être attribuée à un certain «rattrapage», le nombre de départs à la retraite anticipée ayant été nettement plus élevé que prévu.
En résumé, on voit que la hausse depuis 1999 ne représente nullement la tendance de moyen terme. Au contraire, cette tendance semble même plutôt à la faible baisse quand on relie les sommets l’un à l’autre.
Si on remonte jusqu’en 1981, les données les plus anciennes du fichier que j’ai utilisé, on peut voir une hausse de la part des dépenses gouvernementales sur le PIB lors de la récession du début des années 1980, une baisse d’environ 4 points de pourcentage par la suite essentiellement due à la croissance. Cette période n’ayant pas vraiment connu de période de compressions gouvernementales (en tout cas, sans départs à la retraite massifs), cette baisse fut moindre que lors de la récession des années 1990.
Il est toutefois difficile de partir un trait à partir de la donnée de 1981, n’étant pas certain que cette année soit vraiment un sommet de cycle. Cela dit, la tendance de long terme apparaît certainement à la baisse, et non à la hausse comme le graphique partant de la fin des années 1990 semblait le montrer. Je terminerai cette analyse en mentionnant que les tendances de dépenses gouvernementales dépendent beaucoup des politiques gouvernementales et peuvent varier en fonction des politiques en cours et non en fonction des tendances de long terme.
Et alors…
Les graphiques de ces deux exemples montrent bien qu’on peut se faire présenter un portrait bien différent d’une tendance en changeant l’année de départ d’un graphique. Un graphique peut ainsi convaincre des gens qu’un phénomène momentané ou circonstanciel est une tendance durable.
Il n’est pas facile de déceler ce genre de choses, car il faut presque savoir ce qui s’est passé avant pour s’en apercevoir. Enfin, vous saurez toujours qu’il est préférable de ne jamais se fier complètement à la tendance illustrée par un graphique sur les dépenses gouvernementales lorsque l’année de départ se situe à la fin des années 1990…