Les éoliennes de la colère
19 mai 2018
La semaine dernière, la Vérificatrice générale du Québec a présenté son rapport annuel dans lequel un chapitre entier est consacré à Hydro-Québec. Les principales observations du rapport sont que le gouvernement a réussi à engranger 1,1 G$ en dividendes entre 2005 et 2017 à cause des prévisions erronées d’Hydro-Québec Distribution et que l’approvisionnement en électricité a couté 2,5 G$ de plus que nécessaire entre 2009 et 2016 (p. 3 et 4).
Pourtant, on a mis beaucoup d’accent sur les coûts des éoliennes qui auraient un important effet à la hausse sur les tarifs hydroélectriques au Québec. À écouter certains médias, l’ensemble des hausses hydroélectriques est dû à cette filière énergétique plutôt qu’aux décisions de la société d’État et du gouvernement. Regardons cela de plus près.
La petite histoire de l’éolienne
En 1997, alors que les réservoirs hydrauliques d’Hydro-Québec sont déficitaires depuis 6 ans, le gouvernement du Québec donne le mandat à la Régie de l’énergie d’explorer le potentiel des filières éoliennes qui commencent à prendre de l’ampleur sur la planète. Nous sommes donc dans une situation contraire à celle des surplus que l’on connaît aujourd’hui. Hydro-Québec, sous la direction d’André Caillé, préfère l’avenue contraire et propose de construire la centrale thermique alimentée au gaz du Suroît en 2001. Très impopulaire, le projet est finalement abandonné en 2004 pour ramener à l’avant-plan la possibilité d’exploiter l’éolien. Bref, le secteur éolien existe avant tout pour compenser des besoins qui étaient récurrents à l’époque et pour devenir une alternative à la très polluante centrale du Suroît. Notez que l’on estimait sa production de GES à 3 % de celle du Québec.
Malgré des recommandations de la Régie et de plusieurs experts, Hydro-Québec n’est pas chaude à l’idée de développer le secteur éolien, alors qu’il est pourtant prometteur. Elle s’inquiète du peu de rendement de cette technologie. Pourtant, le gouvernement permet à des entreprises privées, souvent étrangères, de soumissionner pour des projets éoliens. C’est plutôt paradoxal, car Hydro-Québec doit maintenant acheter l’énergie produite par ces entreprises privées, ce qui inclut évidemment une marge de profit pour les partenaires privés. À la place, elle aurait pu développer une expertise la plaçant parmi les leaders mondiaux dans ce dossier. De plus, bien que le privé paye des taxes, il reçoit des subventions et des crédits d’impôt, alors qu’Hydro-Québec redonne 75 % de ses « profits » au gouvernement. En ce sens, il s’agit d’une occasion manquée pour l’État québécois, puisqu’il laisse le champ libre aux différents promoteurs.
Pourquoi dit-on que l’éolien fait augmenter les tarifs d’électricité des Québécois·es ?
Au Québec, on distingue la production d’électricité en deux parties. La première, dite bloc patrimonial, regroupe l’énergie provenant d’équipements mis en service avant 1998. Cela comprend l’énergie qui est produite par les grands projets hydroélectriques et qui ont un coût de production estimé à 2,67 ¢/kWh. Historiquement, ce bloc permettait la vente d’électricité peu chère aux Québécois·es.
La seconde partie, nommée bloc postpatrimonial, provient d’équipements mis en service après 1998 dont font partie les éoliennes, le complexe de la Romaine et les minicentrales. Le prix moyen de production de ce bloc est d’environ 8,96 ¢/kWh.
Or, de 2003 à 2014, le gouvernement du Québec a adopté divers décrets qui ont mené à ce qu’Hydro–Québec favorise la vente aux Québécois·es de l’énergie postpatrimoniale en priorité sur l’énergie patrimoniale. L’objectif de cette démarche? Tenter d’augmenter la part de profits des exportations de l’énergie provenant du bloc patrimonial et profiter du marché québécois pour écouler l’énergie qui coûte plus cher à produire. Bref, cela équivaut à augmenter les tarifs de la clientèle captive et augmenter les profits des exportations.
Le graphique suivant provient du rapport de la Vérificatrice générale et montre les effets de cette stratégie sur l’énergie distribuée aux Québecois·es. On y voit les achats d’Hydro-Québec Distribution (la branche qui vous vend de l’électricité) à Hydro-Québec Production (qui produit ou achète en gros l’énergie pour la revendre) entre 2009 et 2016. On remarque que le volume d’énergie patrimoniale (donc la moins chère) inutilisée par le distributeur s’est amplifié au cours des dernières années.
Source : Québec, Rapport du vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2018-2019, chapitre 8, mai 2018, p. 41,
Cela signifie que vous et moi payons l’électricité plus chère que ce qui est disponible afin de favoriser la vente à l’extérieur, tout en assurant des profits aux compagnies privées de production privée (éolien, minicentrale, biomasse, etc.). Selon la Vérificatrice, cela équivaut à plus de 730 M$ pour 2016 et plus de 2,5 G$ de 2009 à 2016 (p. 43).
Considérant qu’environ 60 % de l’énergie postpatrimoniale provient de l’éolien, on peut dire que ce sont les contrats éoliens qui ont un effet sur les tarifs d’électricité que nous payons. On sait aussi que partout dans le monde, les nouvelles technologies dans le domaine éolien font diminuer les coûts de production éolienne. Ça veut donc dire que les contrats que nous avons signés à prix plutôt stable risquent d’augmenter la marge de profits des entreprises privées qui diminuent leurs coûts de production.
Il est cependant plus juste de considérer que ce sont les stratégies du gouvernement et d’Hydro-Québec de favoriser les exportations de l’énergie patrimoniale qui ont réellement un impact sur les tarifs. D’autre part, il est clair que le gouvernement et la société d’État ont manqué de clairvoyance dans ce dossier.