Les alternatives: regards sur l’empreinte écologique du milieu du livre
30 avril 2021
« À l’heure où les préoccupations environnementales prennent de plus en plus d’importance et où les schémas de production classiques sont questionnés de façon croissante, le livre écologique, responsable et solidaire existe-t-il ?». C’est à cette question que tente de répondre l’ouvrage collectif Les alternatives – Écologie, économie sociale et solidaire : l’avenir du livre ?.
Éloge des solutions imparfaites – Vers un livre écologiquement, économiquement et socialement plus vertueux : Étienne Galliand explique que les gens gravitant dans le monde du livre ont longtemps ignoré l’impact environnemental et social de leur industrie, même si cet impact se fait sentir dans toutes les étapes du cycle de vie du livre, de sa conception à son élimination ou son recyclage. Il présente d’ailleurs ces étapes, en mettant l’accent sur celles qui sont les plus dommageables pour l’environnement, puis des pistes de solution respectant aussi la responsabilité sociale des acteurs et actrices du livre.
PREMIÈRE PARTIE – PANORAMAS
De la forêt au livre papier – Pour un livre papier écologiquement exemplaire : Lisa King, Julien Tavernier et Daniel Vallauri présentent le portrait de la production de livres en France et la contribution du WWF France (Fonds mondial pour la nature) dans ce secteur. Elle et ils expliquent la responsabilité environnementale du livre papier en montrant les enjeux de chacune des étapes de la longue chaîne de production (de la forêt à la fin de vie du livre) et les meilleures façons de les résoudre. Ils analysent aussi plus en détail la situation du livre jeunesse imprimé en Asie et du livre scolaire, dont le format numérique qui n’est pas plus écologique, et font la promotion de l’application du concept d’économie circulaire dans ce secteur. À cet effet, on apprend notamment que « 15 % des livres produits restent invendus et sont pilonnés dans l’année, soit environ plus de 81 millions de livres par an » en raison de la surproduction, quoiqu’on lise dans deux autres textes que cette proportion serait de 25 %. Les auteur·e·s émettent enfin « 10 recommandations pour rendre la chaîne du livre écologiquement plus vertueuse ».
L’économie sociale et solidaire dans la chaîne du livre en France : Nicolas Wodarczak considère que l’économie sociale et solidaire (ESS) peut représenter une solution à la structure traditionnelle de l’économie du livre axée sur les profits et souvent responsable du manque de démocratisation et de conscience environnementale dans ce secteur. Si elle n’est actuellement qu’une toute petite joueuse dans ce secteur (5 % des entreprises), elle a un bon potentiel de croissance et peut influencer les comportements des autres entreprises, quoiqu’il arrive que des entreprises de l’ESS soient achetées ou transformées en entreprises à but lucratif. À suivre!
Penser un écosystème littéraire durable pour et à partir de la Caraïbe – De la nécessité d’une écologie décoloniale du livre : Laëtitia Saint-Loubert s’inquiète de la fragilité de la chaîne du livre caribéenne, marquée à la fois par l’emprise coloniale et par son manque d’adaptation « aux enjeux écologiques propres au contexte caribéen » (ouragans et autres catastrophes environnementales et sanitaires). Elle souligne toutefois quelques initiatives individuelles et collectives qui permettent d’espérer l’établissement d’un « écosystème littéraire plus fédérateur, équitable et pérenne ».
Les « Big 5 » – Producteurs d’outils, de normes et de certifications environnementales : Étienne Galliand examine le travail des cinq plus gros groupes éditoriaux des États-Unis « pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et pour limiter leurs déchets ». Il présente leurs plans pour atteindre cet objectif, mais ne dit rien de leurs résultats.
DEUXIÈME PARTIE – TÉMOIGNAGES
Privilégier le livre de création au livre « de reproduction » : Thomas Bout, directeur des Éditions Rue de l’échiquier, avait comme objectif en fondant cette maison d’édition de « sensibiliser un large public à des enjeux qui nous apparaissent fondamentaux » et de publier des livres différents de ceux qui le sont actuellement (le livre de reproduction du titre). Il décrit ensuite ses objectifs pour réduire l’empreinte écologique des livres qu’il publie.
Moins, mais mieux! : Angela Léry et Sarah Hamon, gérantes des Éditions La cabane bleue dans le domaine de la littérature jeunesse, ont des objectifs semblables et racontent les moyens qu’elles ont pris pour les atteindre.
Au tour du livre, maintenant! – La Maison des Pas perdus, une édition éco-responsable : C’est maintenant au tour de Marion Carvalho et de Charles Hédouin de présenter leurs solutions dans le domaine des livres illustrés.
L’édition écologique au quotidien : l’exemple d’Écosociété – Ou les défis d’une gestion horizontale et solidaire : L’éditeur David Murray exerce son métier dans le domaine des essais critiques et des guides pratiques depuis bientôt 30 ans. Il met l’accent dans ce texte sur le choix des livres publiés qui doivent être associés « aux grands courants sociaux qui combattent le productivisme » et viser à changer significativement nos sociétés, et sur l’organisation du travail autogérée chez Écosociété.
Les histoires détruisent-elles nos forêts? – Pour une écologie du livre : Corinne Fleury, fondatrice de l’Atelier des nomades, a doté cette maison d’édition d’une charte éco-responsable.
Le livre d’artiste, modèle de livre écologique et vecteur de lien social – Le projet Hôp édition, un cas appliqué : Sophie Mariani-Rousset et Pascale Lhomme-Rolot présentent de nombreuses initiatives dans le domaine du livre d’artiste en auto-édition, puis les efforts écologiques du projet Hôp édition du collectif Hôp hop hop dont les produits sont entre autres commercialisés sur Internet (comme ici).
Les cartoneras – Faire des livres avec du carton! : Alfredo Ruiz Chinchay est le directeur des maisons d’édition Amotape Libros et Viringo Cartonero. Cette dernière produit ses livres « en utilisant du carton récupéré et avec des feuilles photocopiées », initiative partagée par d’autres éditeurs (au moins 273 entre 2003 et 2017). Il explique que ces éditeurs « allient, dans leur démarche éditoriale, une dimension sociale, culturelle et écologique ».
De la Bibliothèque interculturelle au livre équitable – La grande aventure des coéditions solidaires : Laurence Hugues, directrice de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants, présente l’histoire et l’évolution des coéditions solidaires, surtout en Afrique. « Ces collections (ou ces ouvrages ponctuels) réunissent des collectifs d’éditeurs, qui publient ensemble un titre en mutualisant les dépenses et en participant au budget au prorata de leurs moyens ».
TROISIÈME PARTIE – LIBRAIRES, DIFFUSEUR-DISTRIBUTEUR ET IMPRIMEUR
À contretemps : Aurèle Letricot travaille à la librairie Le Tracteur Savant qui est située dans un village de 1800 personnes. Elle explique l’importance de cette institution dans ce milieu.
Le libraire est un funambule : Anaïs Massola, gérante de la librairie Le Rideau rouge à Paris, présente le rôle des libraires dans la société. Elle est aussi membre fondatrice de l’Association pour l’écologie du livre (APEL).
La librairie, commerce de proximité : Léa David travaille à la librairie Caractères libres qui est située dans un village d’un peu plus de 2000 personnes. Elle parle de son travail et de ses objectifs.
Serendip livres, un diffuseur-distributeur face à ses responsabilités : Romain Mollica a fondé Serendip livres (nom probablement tiré de sérendipité, que l’on découvre par hasard) avec un ami dans le but d’aider les nouvelles maisons d’édition à commercialiser leurs livres dans des librairies indépendantes.
Une imprimerie coopérative qui ne perd pas le Nord : Christian Garin, directeur général de l’imprimerie L’Artésienne, présente les valeurs de cette coopérative, son fonctionnement et sa démarche environnementale.
QUATRIÈME PARTIE – RÉFLEXIONS
Bibliodiversité et pluriversalisme – Pistes pour une écologie décoloniale du livre et de la lecture : Marin Schaffner, autre membre fondateur de l’Association pour l’écologie du livre (APEL), présente des alternatives écologiques et sociales au courant capitaliste, colonial et extractiviste dominant. Dans le domaine du livre, il s’est lancé avec l’APEL « dans un travail d’éco-fiction : tenter d’imaginer comment nous pourrions éditer, d’ici vingt ans, les livres de façon écologique », dont il nous présente des extraits.
ET ALORS…
Lire ou ne pas lire? Lire, mais avec réserves. Je conseille de le lire parce que j’en ai appris beaucoup dans un domaine que je connaissais peu. J’ai lu des livres sur l’impact environnemental de bien des domaines (vêtements, climatisation, élevage et autres), mais jamais sur le livre que je consomme pourtant comme un boulimique (mais presque seulement par des emprunts en bibliothèques). J’émets des réserves parce que ce livre est fortement axé sur la France (avec quelques mentions de la situation en Afrique et en Amérique), ce qui nous fait nous demander si la situation du livre décrite ici correspond à celle qui prévaut au Québec. Il y a bien un chapitre sur une maison d’édition québécoise, mais qui n’aborde pas cette question. On y trouve aussi beaucoup d’acronymes non expliqués et des citations en anglais non traduites. Avec autant de textes indépendants et d’auteur·e·s différent·e·s, il n’est pas étonnant de retrouver des propos souvent répétitifs. Par contre, le livre est en général instructif et agréable à lire, agrémenté de nombreuses illustrations (photos et dessins). J’ai aussi aimé qu’on y trouve de courtes biographies des auteur·e·s et que les notes soient en bas de page.