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Le retour à la normale n’est pas une option

17 mars 2020

  • Guillaume Hébert

Il est raisonnable de penser qu’il n’y aura pas de retour à la normale après cette crise. D’abord, parce que la crise sanitaire modifie déjà notre rapport à la communauté, aux services publics, aux gouvernements, aux chaînes d’approvisionnement, aux frontières et aux relations entre les nations. Ensuite, parce qu’avant même son déclenchement, nos systèmes politiques et économiques faisaient déjà l’objet d’un discrédit qui s’est durablement installé suite à la dernière crise – celle de 2008. Enfin, parce que l’inconséquence de nos représentants face à la crise climatique accentuait elle aussi le sentiment d’une cassure à venir.

Il est raisonnable de penser qu’il n’y aura pas de retour à la normale, et c’est tant mieux. Le monde précaire, atomisé, épuisant, stressant, discipliné, obsessif, xénophobe, écocide, aliénant, ingrat, cynique, angoissant, concurrentiel, productiviste et énergivore que nous avons construit dans les dernières décennies ne mérite pas qu’on y retourne.

Fidèle à son habitude, l’IRIS tâchera dans les prochains jours et les prochaines semaines de jeter sur les événements un éclairage compatible à ses valeurs fondatrices : la solidarité au cœur d’une économie comprise comme science sociale et un équilibre entre l’intérêt collectif et la liberté individuelle.

Bien entendu, la priorité actuelle de tous et toutes doit être de lutter contre la pandémie de la COVID-19. À cet égard, les métaphores qui évoquent des efforts de guerre ne sont pas exagérées.

En plus de l’impératif sanitaire, la principale urgence concerne l’incertitude qui plane sur les travailleurs et les travailleuses ainsi que les populations les plus vulnérables. Si de plus en plus de gens n’arrivent plus à combler leurs besoins de base en raison du ralentissement économique, cette crise sanitaire aura tôt fait de se transformer en une crise sociale sans précédent.

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Nous avançons en terrain inconnu et il est difficile pour quiconque de prédire ce que sera la suite des événements actuels. L’actuelle pandémie est un détonateur dans une économie mondiale qui était déjà marquée par de nombreux signes de ralentissements.

D’emblée, nous savons que les répercussions économiques et sociales de ce nouveau choc seront majeures. Selon certains, une généralisation de l’expérience italienne ou chinoise de propagation du virus et de fermeture des frontières, un scénario du reste fort probable, pourrait entraîner une chute du PIB de plus de 10% (au 2e trimestre, annualisé), ce qui est sans équivalent depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Le Canada, et plus encore le Québec, avaient été relativement épargnés par la crise de 2008. Or, le sauvetage des banques et des États au seuil de la faillite, puis les politiques d’austérité qui suivirent eurent l’effet d’un véritable traumatisme dans plusieurs régions du monde.

Le hic, c’est que les États ne s’étaient pas encore complètement remis de la crise précédente. Leur marge de manœuvre est restreinte par rapport à celles dont ils bénéficiaient pour supporter l’activité économique au déclenchement de la crise de 2008. À cet égard, le Québec et ses tonnes de surplus sont exceptionnels. Il n’en demeure pas moins que notre économie devrait néanmoins subir de plein fouet l’impact d’une crise économique majeure.

Lorsqu’une crise survient et que l’économie sombre en récession ou en dépression, un cercle vicieux fait chuter la valeur des actifs ou les revenus des entreprises, qui réduisent leurs investissements et licencient des employé·e·s, ce qui réduit plus avant la consommation, et donc vient nuire davantage à l’activité économique des entreprises, centrale dans une économie capitaliste. Dans un tel contexte, les banques perdent confiance vis-à-vis des emprunteurs et resserrent l’accès au crédit, l’État voit pour sa part fondre les recettes prélevées en taxes et impôts et les ménages – dans un contexte d’endettement élevé – risquent la faillite.

Le seul acteur capable de prendre l’initiative de la relance devient vite l’État. Il injecte des liquidités dans l’économie par des programmes spéciaux de dépenses (ex : hausser les prestations aux particuliers) ou d’investissements (ex : la construction d’infrastructures), ou encore par le biais de la politique monétaire (ex : baisser les taux d’intérêt afin de faciliter l’accès au crédit).

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Tout semble indiquer que les approches habituellement privilégiées en matière de stimulation économique seront peu efficaces dans le contexte actuel. Aux États-Unis, la baisse du taux directeur de la Réserve fédérale (à 0-0,25%) et l’injection des 700 milliards de dollars dans les derniers jours n’a pas empêché lundi les titres échangés en a bourse – un indicateur de la confiance envers les perspectives économiques – de plonger (-12,93% pour le Dow Jones, -11,98% pour le S&P 500. Au Canada aussi, les taux d’intérêt sont déjà à des niveaux très faibles (0,75%).

Par ailleurs, cette politique de « relance » semble de courte vue lorsqu’on l’analyse sous l’angle des multiples crises qui accablent notre société. Elle s’appuie sur l’a priori que si l’on injecte suffisamment d’argent, tout l’appareillage économique pourra repartir comme avant.

Or, la « maudite machine » est désuète.

Ainsi, il est peut-être temps de rompre avec l’approche qui se borne à créer un climat favorable à l’investissement de l’entreprise privée. Certes, des mesures d’aide aux petites et moyennes entreprises seront nécessaires dans les prochaines semaines. À plus long terme, l’État doit cependant songer à prendre en charge les secteurs clés de l’économie dans une perspective de démocratisation. L’économie néolibérale financiarisée a permis à une classe très restreinte d’individus d’accumuler des fortunes colossales, mais n’a pas servi l’intérêt collectif.

Tout est en place pour que les crises actuelles forcent un changement de cap dans la direction des grandes institutions de nos sociétés. Nous y reviendrons dans d’autres billets.

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