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Le néolibéralisme et l’éducation au Québec (3/3) Une société de savoirs peu éduquée

17 septembre 2015


Dans les deux billets de blogue précédents, nous avons vu en quoi le néolibéralisme affectait l’éducation au Québec par le désengagement de l’État et la reproduction des ségrégations sociales, favorisant la privatisation ainsi que les groupes déjà avantagés. Dans ce troisième billet de blogue nous verrons une dernière conséquence néfaste du néolibéralisme en éducation, soit la promotion de l’économie du savoir.

La promotion de l’économie du savoir

Comme on le sait, les politiques d’éducation depuis les années 80-90 sont orientées vers la croissance et le développement économiques. Le néolibéralisme est l’idéologie du capitalisme radical contemporain et sert à justifier la supériorité du marché sur la démocratie. Évidemment, cette obsession pour les profits économiques ne peut être que très dangereuse pour l’éducation et les savoirs qu’on y privilégie.

Dans l’économie du savoir, l’objectif premier de l’éducation est d’améliorer l’économie en alignant les savoirs et les compétences aux besoins du marché. Les savoirs doivent donc être rentables et posséder une utilité économique pour les entreprises. De ce fait, la formation tend à ressembler de plus en plus à la production d’une main-d’œuvre au service des profits des corporations (ce que l’on nomme aussi capital humain), en plus de dévaloriser la formation aux arts et aux humanités.

Au Québec, la suppression des cours universitaires qui ne rapportent pas assez économiquement (plus de 300 charges de cours en moins à l’UdeM, l’UQÀM, Laval et l’UQÀC pour l’année 2014-2015)[i] démontre bien cette éducation corporatiste. La plupart de ces cours « inutiles » se situent dans les domaines des langues, des arts, de la musique, de la philosophie et de la littérature. À cet effet le professeur à HEC, M. Omar Aktouf, mentionne : « Est-ce qu’aujourd’hui, un Socrate ou un Victor Hugo seraient employables? Non! Mais que serait l’humanité sans Socrate, sans Aristote, sans Verlaine, sans Victor Hugo, sans Rimbaud? Nous serions des animaux! Aujourd’hui, sous le prétexte que le marché n’en veut pas, on ne forme plus de poètes ou de gens en littérature. On ne forme que ce que l’industrie d’entreprise financière veut pour alimenter la machine à multiplier l’argent. »[ii]

Autrement dit, ces orientations antidémocratiques font de l’apprenant une source potentielle de revenus, proposant ainsi au système éducatif public d’investir dans le capital privé. Notons que, généralement, les entreprises et corporations sont loin de fonctionner en faveur du bien commun, du progrès de l’humanité ou de la protection de l’environnement. Un exemple frappant est celui de l’Université Concordia qui a récemment défendu l’amiante, allant à l’encontre des avis scientifiques. Comme par hasard, l’entreprise de M. Chadha qui est un grand donateur à l’école de gestion de Concordia, est aussi cliente de John Aylen Communications, l’auteur du rapport en question en faveur de l’amiante[iii]. N’est-ce pas aberrant que l’argent des contribuables soit au service des profits des entreprises, alors que celles-ci ne se soucient que rarement du bien-être de la collectivité?

En plus d’encourager l’économie du savoir et le capital humain, le néolibéralisme entraîne un transfert du coût de l’éducation de la société vers l’individu, prônant ainsi l’individualisme et la compétitivité. À plusieurs reprises, le gouvernement du Québec a imposé ou tenté d’imposer des augmentations démesurées et injustifiées des frais de scolarité, où l’on demande à l’individu d’assurer sa propre qualification et de développer lui-même son employabilité dans un secteur public qui est pourtant financé par la collectivité. Encore une fois, l’État se déresponsabilise au grand bonheur du secteur privé puisque le financement public de l’éducation postsecondaire permet au secteur privé de former une main d’œuvre en fonction des compétences recherchées pour son expansion.

Selon le professeur Henry A. Giroux[iv], directeur du Global TV Network Chair in English and Cultural Studies à McMaster University, les néolibéraux ne savent que trop bien comment cultiver la culture de l’humiliation envers tous ceux et celles qui osent contester le régime du pouvoir et des élites en place en dénigrant les mouvements de contestation et de révoltes. En ce sens, pourquoi les néolibéraux voudraient-ils promouvoir une réelle éducation, c’est-à-dire une éducation qui nous permet d’être empathiques, critiques et engagé∙e∙s? Il est temps de réfléchir sur le monde dans lequel nous vivons, de le remettre en question et d’en proposer une meilleure version.


Anne-Marie Duclos est enseignante aux niveaux préscolaire et primaire; doctorante à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, option psychopédagogie; animatrice et formatrice en philosophie pour enfants ainsi que superviseure de stage au Centre de formation initiale des maîtres de l’UdeM.

Références


[i] http://iris-recherche.s3.amazonaws.com/uploads/publication/file/Austerite2014-2015_31-mars-2015.pdf

[ii] Chomsky, N., & Brouillette, R. (2008). L’encerclement : la démocratie dans les rets du néolibéralisme: Saint-Paulin, Québec : Films du Passeur : Montréal : Amoniak Films Distributions.

[iii] http://www.journaldemontreal.com/2015/07/25/concordia-defend-lamiante

[iv] Giroux, H. (2012). Education and the crisis of public values : challenging the assault on teachers, students, & public education. New York : Peter Lang.

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