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Le gouvernement Legault s’apprête-t-il à nationaliser les résidences privées pour personnes âgées?

24 avril 2020

  • Anne Plourde

Dans un billet récent, nous proposions un plan de nationalisation des résidences pour personnes âgées. Face à l’hécatombe dans les CHSLD privés non conventionnés (ils représentent 9,6% de tous les CHSLD, mais 17% de ceux qui sont sur la « liste rouge » des établissements comptant le plus de cas de COVID-19), le gouvernement Legault envisage maintenant d’en « prendre le contrôle », voire de nationaliser l’ensemble des CHSLD privés (conventionnés ou non). Portrait des différentes options envisagées.

Transformations des CHSLD privés en CHSLD privés conventionnés

La première option envisagée par le gouvernement est de transformer les CHLSD privés non conventionnés en CHSLD privés conventionnés (pour la différence entre ces deux types d’établissements, voir ici). Ce serait une bonne nouvelle pour les travailleuses de ces centres, qui auraient désormais un salaire équivalent au secteur public. Ce serait aussi une bonne nouvelle pour les résident·e·s (et leur famille), qui n’auraient plus à débourser jusqu’à 10 000 $ par mois pour avoir accès à ces services essentiels. Les tarifs chargés dans les CHSLD publics et privés conventionnés s’appliqueraient, soit un montant entre 0 et 1 946 $ par mois, selon les revenus de la personne hébergée. Cette transformation permettrait enfin un meilleur contrôle de la qualité des services par le ministère puisqu’il interviendrait alors dans la gestion des établissements, ce qui n’est pas le cas dans un CHSLD privé non conventionné.

Cependant :

1) Il ne s’agirait pas d’une nationalisation. En devenant des CHSLD conventionnés, les CHSLD concernés resteraient des établissements privés à but lucratif, mais ils seraient désormais entièrement financés par des fonds publics. Autrement dit, comme pour les autres CHSLD privés conventionnés, ces résidences bénéficieraient d’un financement public garanti et leurs propriétaires pourraient empocher une partie de ces fonds sous forme de profits sans aucune prise de risque. D’ailleurs, « la majorité des propriétaires de CHSLD privés sont favorables à cette idée et l’Association des établissements de longue durée privés du Québec se prépare déjà à se saborder pour que ses membres rejoignent l’Association des établissements privés conventionnés. »

2) Cette décision est envisagée dans un contexte où, faute de places dans les CHSLD publics, le secteur public achetait déjà la grande majorité des places dans ces CHSLD privés non conventionnés, sans que ceux-ci soient soumis aux mêmes conditions que les CHSLD privés conventionnés. En d’autres termes, même si en théorie ces CHSLD privés ne reçoivent aucun financement public (ce qu’on évoque pour justifier l’autonomie complète des propriétaires dans la gestion de « leurs » établissements), cette prétendue indépendance financière est pour l’essentiel une fiction. Depuis plusieurs années, une partie croissante de ces contrats étaient d’ailleurs attribués sans appel d’offre. Certaines dispositions de la Loi sur les services de santé et les services sociaux permettent en effet de procéder ainsi en cas d’urgence et pour éviter les bris de services. Il semble que l’urgence perdure depuis longtemps déjà sans qu’on ait cru bon d’augmenter le nombre de places en CHSLD publics. Au contraire, elles ont diminué de 4 000 entre 2003 et 2013.

3) Depuis au moins un an, les CHSLD privés non conventionnés réclament que les places achetées par le public soient financées au même tarif que dans les CHLSD publics (soit environ 238$ par jour).  En réaction à cette demande, la CAQ s’était d’ailleurs rapidement engagée à rétablir « l’équité » dans le financement entre le public et le privé. On se demande bien dans ce contexte quelle peut être la « plus-value » du privé : si les places y coûtent aussi cher qu’au public, pourquoi en laisser la gestion à des propriétaires privés dont le but premier est de faire du profit? La conversion des CHSLD privés en CHSLD conventionnés serait une manière de répondre à cette demande (ce qui explique aussi l’ouverture des propriétaires à une éventuelle annonce en ce sens).

La nationalisation de tous les CHSLD privés, conventionnés ou non

Une telle décision permettrait de retirer complètement au secteur privé à but lucratif le « marché » de l’hébergement et des soins de longue durée pour les personnes nécessitant les soins les plus lourds (plus de trois heures et demie de soins par jour), qui sont aussi les plus vulnérables.

Cependant, les CHSLD privés ne représentent qu’une très petite minorité des centres d’hébergement privés pour personnes âgées : il y a au Québec 40 CHSLD non conventionnés et 59 CHSLD conventionnés, contre près de 2 000 résidences privées pour aîné·e·s (RPA), dans lesquelles le public achète aussi des milliers de places. Une véritable démarchandisation de l’hébergement et des soins de longue durée devrait nécessairement inclure ce type d’établissement.

De plus, la nationalisation à elle seule n’est pas suffisante pour atténuer les graves problèmes qui affectent présentement (et depuis bien avant l’arrivée de la COVID-19) l’ensemble du secteur de l’hébergement pour les personnes âgées. En effet, le public connaît lui aussi des ratées importantes, provoquées par l’insuffisance des ressources qui y sont investies, mais aussi par la gestion centralisée et déconnectée du terrain qui résulte des dernières réformes. Comme nous le recommandions dans notre précédent billet, il est donc nécessaire d’aller plus loin que la nationalisation et de remettre la gestion de ces établissements entre les mains des travailleuses, des travailleurs, des résident·e·s et leur famille. En somme, nationalisation et démocratisation sont les deux volets essentiels d’une réforme incontournable.

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