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L’assurance qualité au cégep (2 de 2) : quelle conception de l’éducation?

9 octobre 2013


Dans la première partie de ce texte, nous avons montré que le processus d’assurance qualité actuellement en cours d’implantation dans les cégeps du Québec repose sur une conception gestionnaire de la qualité qui a (paradoxalement) très peu à voir avec l’enseignement. Dans cette deuxième partie, nous verrons en quoi ce processus d’assurance qualité s’inscrit directement dans une perspective de marchandisation et de technocratisation de l’éducation. Voilà en effet le second constat auquel nous mène la lecture du document de la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial (CEEC) : Évaluation de l’efficacité des systèmes d’assurance qualité des collèges. Orientations et cadre de référence.

À première vue, on pourrait croire que l’assurance qualité, telle que mise de l’avant par la CEEC, ne promeut pas une vision spécifique de l’éducation, dans la mesure où les cégeps jouissent d’une autonomie considérable dans l’élaboration de leur système d’assurance qualité. On l’a vu, chaque cégep définit lui-même ses objectifs, sa mission et les mécanismes par lesquels il va les réaliser. Puisque la CEEC comprend la qualité comme étant « la capacité pour un établissement d’atteindre ses objectifs et de réaliser sa mission », on pourrait ainsi penser qu’il appartient également à chaque cégep de définir la vision de l’éducation qui se retrouvera au cœur de sa mission.

Or, il ne faut pas oublier que l’efficacité des systèmes d’assurance qualité des cégeps sera évaluée par la CEEC, sur la base de « critères convenus et prédéfinis » par elle. Lorsqu’on se penche sur les critères et sous-critères auxquels doivent répondre les mécanismes d’assurances qualité (en particulier ceux concernant la qualité des programmes et de l’évaluation des apprentissages), on constate que ce cadre établit par la CEEC contient une vision marchande de l’éducation et tend vers une dévaluation de la profession enseignante. Ce que dénonçait d’ailleurs l’étude de l’IRIS sur les mécanismes d’assurance qualité dans l’enseignement supérieur.

Qualité des programmes d’études ou valeur marchande?

Parmi les critères auxquels doivent répondre les mécanismes d’assurance qualité mis en place par les cégeps pour garantir la qualité de leurs programmes, on retrouve « la pertinence des programmes d’études ». Un programme est jugé pertinent si son contenu, ses objectifs et ses standards sont « en accord avec les attentes et les besoins du marché du travail ou des universités », « tiennent compte des attentes des étudiants » et « tiennent compte des attentes générales de la société ».

Les mécanismes d’assurance qualité liés à la qualité des programmes doivent également garantir « l’adéquation des ressources humaines, matérielles et financières aux besoins de formation ». Par là, la CEEC entend grosso modo que les cégeps doivent avoir des professeur.e.s compétents en nombre suffisant, disposer d’espaces et d’équipements adéquats, ainsi que des ressources financières nécessaires au bon fonctionnement des programmes.

« L’efficacité des programmes d’études » constitue également un critère pour juger de la qualité des programmes. Pour la CEEC, cette efficacité se mesure, entre autres, par de bonnes pratiques de recrutement et de sélection des étudiant.e.s, un taux de réussite des cours « comparable avec ce qui est observé dans les autres programmes d’études et dans les autres établissements » et par un taux de diplomation acceptable.

À la lumière de ces trois critères (sur un total de six), on voit que la qualité des programmes est principalement conçue en termes quantitatifs (taux de réussite, taux de diplomation, quantité de ressources, etc.) et marchands (stratégies de recrutement et de sélection des étudiant.e.s, utilisation de l’expression « ressources humaines » pour parler des professeur.e.s, arrimage des programmes aux besoins du marché, etc.). C’est notamment en ce sens que l’assurance qualité s’inscrit dans un processus de marchandisation de l’éducation, puisque l’enseignement collégial est avant tout vu comme un moyen de combler des besoins (ceux du marché, des universités et de la société) et que c’est de cette capacité à répondre à des exigences externes au milieu de l’éducation que l’enseignement collégial retire sa valeur.

Qualité de l’évaluation des apprentissages ou dévaluation de l’enseignement?

Les mécanismes visant à garantir la qualité de l’évaluation des apprentissages (donc des examens et travaux) sont quant à eux soumis à deux critères principaux. Ils doivent premièrement assurer « la justice de l’évaluation des apprentissages ». Une évaluation juste implique que « les étudiants sont informés sur les règles d’évaluation des apprentissages », que « l’évaluation est impartiale » et que « l’étudiant a accès à un droit de recours » (une procédure de révision de note par exemple).

Les mécanismes doivent aussi assurer « l’équité de l’évaluation des apprentissages ». Pour ce faire, l’évaluation doit être « en lien avec les contenus enseignés », être « équivalente dans le cas de cours donnés par plusieurs professeurs » et permettre « à chaque étudiant individuellement de démontrer qu’il a atteint les objectifs et les standards visés […] ».

Pour la CEEC, la qualité de l’évaluation des apprentissages repose donc principalement sur le cadre réglementaire dans lequel les évaluations s’inscrivent, ainsi que sur la forme qu’elles prennent. Le contenu de l’enseignement est presque entièrement détaché de la question de la qualité de l’évaluation des apprentissages.

La justice et l’équité des évaluations sont évidemment primordiales, on ne saurait affirmer le contraire. L’approche adoptée ici par la CEEC pose cependant problème, car elle subordonne en quelque sorte l’enseignement à l’évaluation. C’est-à-dire que l’évaluation n’est pas conçue comme un simple moyen utilisé par les professeur.e.s dans le cadre de leur pratique d’enseignement, mais comme ce qui oriente directement leur pratique. Autrement dit, c’est la forme et les objectifs des travaux et examens qui déterminent le contenu et les méthodes d’enseignement et non le contenu et les objectifs de l’enseignement qui déterminent la forme que prendront les travaux et examens. (Notons que cela n’est pas tout à fait nouveau, puisque c’est déjà un peu ce qu’entraîne l’approche par compétences actuellement en vigueur dans les cégeps.) La conception de l’équité retenue par la CEEC (en particulier sur la question de l’équivalence des évaluations dans le cas de cours donnés par plusieurs professeur.e.s) semble également nous mener vers une uniformisation des pratiques d’enseignement.

C’est pourquoi on voit dans le processus d’assurance qualité une forme de technocratisation de l’enseignement qui dévalue la profession enseignante.

Ce qui est donc particulièrement inquiétant avec le processus d’assurance qualité, c’est qu’il tend à instrumentaliser l’éducation. On ne pose plus la question du rôle que doit jouer l’éducation dans la société et ce qui, par conséquent, devrait être enseigné. On tend plutôt à mettre l’éducation directement au service des autres sphères de la société. De cette façon, on prive le milieu de l’éducation de son autonomie et, en particulier, on ne reconnaît plus aux professeur.e.s la compétence à penser et définir l’éducation.

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