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Lac-Mégantic : lettre ouverte au ministre des Transports du Canada

23 janvier 2018

  • BC
    Bruce Campbell

La semaine dernière, un jury a rendu un verdict de non-culpabilité dans le procès criminel de trois travailleurs de la compagnie MMA relativement à la tragédie de Lac-Mégantic. Compte tenu de la position qu’ils occupent dans l’entreprise – tout au bas de la pyramide – et de toutes les responsabilités qu’ils avaient cette nuit-là, c’était une décision juste.

Monsieur Garneau,

Les citoyens et citoyennes de Lac-Mégantic ont eu la dignité d’accepter ce verdict. Plusieurs étaient néanmoins d’avis que ce ne sont pas les bonnes personnes qui se sont retrouvées au banc des accusés.

Permettez-moi de vous suggérer une série de mesures que votre ministère devrait adopter pour respecter l’engagement que vous avez pris d’améliorer la sécurité ferroviaire pour les gens de Lac-Mégantic.

En tout premier lieu, vous devez sans attendre mettre de l’avant un contournement ferroviaire autour de la ville. Sur ce point, toute tergiversation serait incompréhensible.

Ensuite, je vous rappelle que les trains transportant des marchandises dangereuses sont toujours stationnés sur les rails qui descendent abruptement vers ce qui était autrefois le centre-ville de Lac-Mégantic. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la courbe reconstruite après l’accident est aujourd’hui plus serrée que ce qu’elle était lorsque le train a déraillé.

Ultimement, la catastrophe survenue à cet endroit est le fruit de l’échec du gouvernement fédéral à protéger ses citoyens contre les dangers du transport de pétrole par chemin de fer. La voie de contournement est une condition sine qua non pour que les gens de Lac-Mégantic se sentent à nouveau en sécurité et qu’ils puissent enfin reconstruire paisiblement leur communauté.

Je constate que le procès qui s’est tenu aura malheureusement détourné l’attention des véritables causes de la catastrophe. Le rapport du Bureau de la sécurité des transports n’a pas identifié tous les facteurs l’ayant causée. Beaucoup de questions demeurent sans réponse relativement aux décisions prises à Transports Canada et dans les ministères connexes, sur l’interférence politique et sur les actions de l’industrie.

Une enquête judiciaire indépendante est essentielle pour découvrir toute la vérité. Seule une telle démarche permettra de déterminer ce qui est arrivé, pourquoi c’est arrivé et qui en sont les responsables, y compris aux plus hauts niveaux politiques. L’échec de nos institutions doit absolument être compris et des changements réels doivent être apportés pour éviter qu’une telle catastrophe ne se reproduise.

Malgré quelques gestes positifs, Transports Canada demeure captif de l’industrie et manque de ressources pour assurer une surveillance efficace de la sécurité ferroviaire. Ce sont les entreprises qui établissent toujours les règles puisqu’elle parvienent à bloquer, diluer, retarder ou éliminer les règlements qui ont une incidence négative sur leurs coûts d’opération.

Le transport de pétrole par chemin de fer a diminué en 2015-2016 mais depuis, il augmente de nouveau. Et pour cause : la production de pétrole elle-même augmente et les goulots d’étranglement se font sentir. L’industrie pétrolière, par conséquent, ne veut pas d’obstacles règlementaires ou autres au transport ferroviaire.

Notons par ailleurs que le bitume dilué (dilbit) et le shale de Bakken sont des produits explosifs. Les compagnies pétrolières ne sont toujours pas forcées de neutraliser leurs composants volatils avant le transport. C’est inacceptable. Malgré l’élimination des anciens wagons DOT-111, les wagons-citernes actuels – à peine plus sécuritaires – ne seront pas entièrement remplacés avant 2025.

L’augmentation des fuites au cours des dernières années indique que des problèmes importants subsistent relativement à la sécurisation des trains. En somme, les entreprises ferroviaires ont toujours trop de libertés : elles ont encore le pouvoir de s’autoréguler et calculent elles-mêmes les risques sécuritaires par rapport aux coûts.

Le gouvernement fédéral a failli à son obligation de protéger la sécurité de ses citoyens et citoyennes. Alors que les gens de Lac-Mégantic luttent pour reconstruire leur ville et s’assurer qu’aucune autre communauté ne subissent la même souffrance qu’eux, le gouvernement n’a pas le droit de les décevoir. En tant que société, nous leur devons justice.

Ancien directeur exécutif du Centre canadien de politiques alternatives, Bruce Campbell a reçu une bourse de la Fondation du droit de l’Ontario pour son travail à Lac-Mégantic. Il a été professeur invité à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa en 2016. Il a écrit un livre sur la tragédie.

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