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La logique des entreprises capitalistes expliquée par François Morin

14 juillet 2020

  • Philippe Hurteau

Dans un livre édité en 2017 par nos ami·e·s de chez Lux, François Morin schématise quelques idées afin de nous aider à mieux comprendre les cycles de valorisation du capital, soit les moyens mobilisés par les entreprises pour tirer un profit de leurs activités. Loin de se limiter à une représentation abstraite de ces cycles, Morin propose de les approcher à partir des modes d’organisation des firmes capitalistes. L’objectif est ambitieux : comprendre le procès de valorisation mis à branle par différents types d’entreprises afin de mieux en saisir les modes opératoires. L’économie politique du XXIe siècle : de la valeur-capital à la valeur-travail, une lecture captivante dont je ne vais tenter de synthétiser qu’une petite partie.

A—M—A’

La formule a fait école. Depuis les travaux réalisés par Karl Marx au XIXe siècle pour théoriser la logique du capitalisme, la critique de ce système économique s’organise essentiellement autour d’elle. Qu’est-ce que la valorisation capitaliste? Réponse : simplement le mouvement de l’argent qui mobilise et coordonne l’acquisition et la production de marchandises dans le but de faire plus d’argent. À la fin du cycle, l’argent devient capital en s’appropriant le surplus de valeur introduit par le travail humain. Par exemple, c’est l’énergie dépensée dans son travail par un pâtissier qui donne aux délicieuses viennoiseries du coin de la rue leur valeur au sens capitaliste du terme et c’est cette dépense énergétique qui est de fait captée par les entreprises au détriment des personnes qui travaillent pour elles. S’en suit une relance de ce cycle dans un procès d’expansion sans fin.

Simple, classique

Aussi juste que cette formule puisse être, elle a le grand défaut de ne pas en dire long sur les étapes concrètes menant à la valorisation du capital. Elle a en outre le désavantage de présenter le capital sous une forme unifiée, ce qui empêche de capter certaines des tensions inhérentes à son expansion. Existe-t-il plusieurs formes de capital? Si oui, comment ces formes interagissent-elles et selon quels rapports hiérarchiques?

Les trois formes de la valeur-capital

Pour avancer dans ces questionnements, Morin décortique la valeur-capital selon les trois formes suivantes.

Capital-argent (A) : Le cycle du capital-argent s’amorce par l’achat de la force de travail (c’est-à-dire des travailleuses et travailleurs embauchés en échange d’un salaire) dans le but d’intégrer celle-ci à des moyens de production (soit en gros l’ensemble des biens nécessaires pour produire une marchandise ou offrir un service). Ce cycle est l’architecte même de la valorisation capitaliste, car il rend possible l’extraction de surtravail (soit une valeur au-delà de ce qu’il en coûte pour produire la marchandise en question). Se mêlent aux éléments du capital constant (l’achat de ces moyens) ceux du capital variable (les salaires versés). Pour aboutir à sa fin (A’), le capital-argent doit alors s’assujettir le capital-productif et le capital-marchandise. C’est alors que se réalise la valeur-capital.

Capital-productif (P) : Le cycle du capital productif met l’accent sur le renouvellement périodique de la production. Ce point insiste sur le fait que la production capitaliste n’est pas une pure valorisation désincarnée, mais toujours aussi un procès de reproduction (soit le processus de renouvellement des éléments participant à la valorisation). Si, d’un point de vue individuel, ce cycle peut être posé comme simple renouvellement des conditions menant à la vente de sa force de travail (ou celle d’autrui), la perspective des firmes est tout autre : elles visent une reproduction élargie, soit une expansion du domaine de la production. La reproduction du capital-productif n’est alors pas simple reconduction des conditions existantes de la production, mais bien la mise en place des conditions devant mener à la croissance de celle-ci. Aussi, si le capital-argent met en mouvement les éléments nécessaires à l’extraction du surtravail par les capitalistes, c’est lors de la valorisation du capital-productif que celle-ci a lieu.

Capital-marchandise (M) : Le capital mis en valeur est le point de départ du cycle du capital-marchandise. C’est du capital déjà gonflé par du surtravail qui est ici dirigé vers les marchés afin d’opérer l’écart entre la valeur d’un produit et son prix de vente. Ce capital est particulier en ce qu’il est essentiellement de nature contractuelle et dépend de son contexte d’inscription marchand : la valorisation du capital-marchandise se réalise au moment de la vente d’un produit et donc dépend de son prix à un moment donné. Nous avons là un embryon fort intéressant afin de comprendre la fluctuation des prix d’une marchandise et la déliaison de ce prix d’avec sa valeur de production.

Une fois inscrit dans une logique d’ensemble, nous aboutissons à ce schéma qui permet de penser le cycle intégré de la valeur-capital :  A—M—P—P’—M’—A’. Chacune de ces composantes a sa réalité organisationnelle propre et s’intègre dans des relations de propriété plus ou moins complexes, allant de la firme classique orientée vers la marchandisation d’un produit unique, la firme multibranche qui diversifie ses activités de production, la firme divisionnelle (holding financier) et la firme organisée en centres de profit (les conglomérats financiers).

La force de l’analyse avancée par Morin est de nous amener à décortiquer, du point de vue même des firmes, le mode d’organisation qui rend la valeur-capital possible. Quelle part d’une entreprise répond aux logiques de valorisation du capital-argent? Quelle est celle qui est plutôt orientée vers la valorisation du capital-marchandise ou encore du capital-productif? Ce travail permet de différencier ces cycles en partant des agents de la valeur-capital, que ceux-ci soient des entreprises petites ou grandes, locales ou transnationales.

Aussi, ce travail facilite la compréhension des assemblages institutionnels qui permettent la domination des impératifs du capital-argent sur les autres phases du cycle de valorisation. Ainsi, une entreprise organisée autour de la production d’un bien unique ne s’organisera pas de la même manière qu’une autre active dans la mise en marché de plusieurs produits. En décortiquant ainsi la valeur-capital, Morin raffine notre compréhension des dynamiques contemporaines du capitalisme et de ses organisations.

L’ambition finale de Morin est d’offrir une proposition de renversement de la domination de la valeur-capital par la valeur-travail, soit de trouver une manière de prioriser la mise en valeur du travail humain effectué dans une recherche d’utilité sur la seule recherche du profit. Tentative tout ce qu’il a de plus pertinente, mais qui, comme c’est malheureusement souvent le cas avec ce type de démonstration, est la partie la moins convaincante de son argumentaire. Mais cela ne devrait pas vous empêcher de goûter au plaisir intellectuel que procure cette lecture.

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