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La COVID-19: une crise environnementale

9 avril 2020

  • LH
    Laura Handal

Il est crucial de comprendre dès maintenant que l’actuelle crise sanitaire est le résultat direct de la crise environnementale en cours. Si tout ce que nous vivons actuellement n’est pas perçu comme un message criant de la nature pour nous indiquer les limites à ne plus franchir, nous foncerons tout droit – et encore plus vite que nous le craignions – vers le précipice.

Les bouleversements comme celui-ci ne feront que se multiplier et s’amplifier dans les années à venir. Si les innombrables signaux d’alarme déjà déclenchés par les changements climatiques n’ont pas été suffisants, celui-ci, qui a l’effet d’une explosion en plein visage, doit absolument le devenir. Le retour en arrière, en toute connaissance de cause, au business as usual, serait complètement irresponsable et suicidaire. Le changement drastique et instantané de notre rapport au monde vivant n’est donc pas un choix, mais une question de survie.

Quatre secteurs d’activité ou phénomènes aux effets socio-environnementaux destructeurs, tous des produits du système capitaliste, sont en cause : le modèle agro-industriel, la commercialisation de la faune sauvage, l’exploitation des ressources naturelles et les changements climatiques.

L’agro-industrie

Il est primordial pour éviter de futures pandémies de transformer fondamentalement notre système alimentaire. Les systèmes industriels d’élevage intensif de plusieurs pays, caractérisés par la forte densité des animaux entassés dans les fermes, ont été à l’origine de l’éclosion de nombreuses souches de grippes zoonotiques (aviaire, porcine, etc.). C’était notamment le cas de la grippe A-H1N1 ayant causé la pandémie de 2009. En 2018, une étude d’épidémiologie animale concluait que, depuis 1959, davantage de souches virulentes de grippe aviaire ont été générées par les industries de la volaille des États-Unis, de l’Australie et de l’Europe que par celle de la Chine.

Dans le cas du nouveau coronavirus, des petits producteurs chinois déplacés économiquement par le secteur agro-industriel se sont trouvé une niche dans l’élevage d’animaux sauvages vendus comme des aliments de luxe. L’agro-industrie a repoussé géographiquement ces paysans dans des zones plus éloignées et plus près des forêts et milieux naturels où se trouvent des espèces (comme les chauves-souris) porteuses des virus qui, par l’entremise des animaux en élevage, affectent les humains.

L’industrie agroalimentaire mondiale est donc, entre autres, à blâmer. Il est par conséquent impératif de changer nos systèmes de production alimentaire pour éviter de futures pandémies. Une désindustrialisation et une dés-intensification doivent être sérieusement envisagées dans ce secteur afin d’assurer sa soutenabilité écologique, sociale et épidémiologique.

Par ailleurs, il est également nécessaire de se pencher sur nos habitudes alimentaires à l’échelle planétaire. Il faudra réévaluer notre consommation de viande (spécialement dans les pays mieux nantis), ou du moins créer des incitatifs afin d’encourager l’achat de produits issus d’élevages plus soutenables. Et cela non seulement pour des raisons éthiques, mais surtout étant donné le coût réel, en termes de santé publique, de la consommation de viandes provenant de systèmes industriels.

À deux reprises récemment, le premier ministre François Legault a mentionné en point de presse qu’il envisageait une plus grande autonomie du Québec en matière de production alimentaire. Espérons toutefois que les nouvelles politiques, inspirées des effets de la crise actuelle, ne favoriseront pas uniquement davantage de variété et de volume dans la production régionale, ainsi que l’achat local. Il est crucial que les futurs plans visant ce secteur incluent également une dés-intensification de l’élevage et un système agricole à plus petite échelle. Un plus grand rôle pour les petits producteurs serait d’ailleurs primordial afin d’assurer une souveraineté alimentaire au sens large.

Prédation des milieux sauvages, déforestation et changements climatiques

La chasse illégale, la manipulation et la vente d’espèces sylvestres (souvent menacées d’extinction) dans des marchés de produits frais sont également à la source de la transmission de pathogènes vers les humains. Dans le cas de la COVID-19 particulièrement, le virus aurait été transmis d’une chauve-souris à un pangolin, puis à un être humain. Bien entendu, ce ne sont pas ces espèces comme telles qui constituent le problème.  C’est plutôt l’altération de leur habitat et les conditions de vie et d’hygiène dans lesquelles ces animaux sont vendus – attachés, enfermés et entassés vivants – dans les wet markets comme celui de Wuhan, où tout a commencé, qui est à l’origine des contaminations.

Cela dit, ce type de marché et le braconnage en général ne sont pas pratiques courantes qu’en Chine et dans le reste de l’Asie, mais dans plusieurs autres régions du globe. Le trafic d’espèces sauvages est une industrie mondiale dont la valeur se chiffre en milliards de dollars.

De plus, la dégradation et la destruction des habitats des espèces sauvages causées par la déforestation posent également de grands risques puisqu’elles rendent plus perméable l’interface humain/milieux sylvestres. Cet anéantissement des écosystèmes par la déforestation est le résultat de l’expansion des terres agricoles pour l’élevage de bétail, du développement minier et pétrolier et des grands projets immobiliers, principaux vecteurs de ce rapprochement entre populations animales et humaines. L’érosion des milieux naturels qu’engendrent ces industries a pour effet de multiplier les interactions entre humains et espèces sauvages porteuses de maladies.

Les phénomènes liés aux changements climatiques, d’ailleurs propulsés par ces mêmes activités industrielles, produisent un effet identique. Les feux de forêt et les hausses de température poussent les animaux à migrer vers des zones habitées à la recherche de nourriture.

Politiques environnementales à envisager

Des programmes de protection de la biodiversité et des habitats naturels devront absolument faire partie de la solution une fois la crise sanitaire atténuée. Il faudra que les pays qui permettent l’élevage et la vente d’espèces exotiques remettent en question la pertinence de ces activités au vu de leur impact sanitaire. De plus, davantage de ressources devront être investies dans le démantèlement des réseaux transnationaux de trafic de la faune sauvage. Surtout, il importera de trouver des activités de subsistance alternatives pour les personnes qui participent au commerce de ces animaux, ainsi que travailler à réduire la demande pour la faune sylvestre.

En plus des politiques de conservation de la nature, nos modes de production et de consommation doivent être complètement redessinés si l’on souhaite réduire notre dépendance envers des économies extractivistes et minimiser notre empreinte sur les milieux sauvages.

Enfin, la lutte aux changements climatiques n’a jamais été aussi importante. Le désinvestissement des combustibles fossiles et le développement d’alternatives économiques plus écologiques seraient les initiatives les plus sensées dans ce contexte, d’autant plus que les émissions polluantes augmentent l’incidence des maladies respiratoires. Pendant ce temps, à Ottawa, le gouvernement de Justin Trudeau prévoit dépenser des milliards de dollars dans le sauvetage des secteurs pétrolier et gazier canadiens plutôt que d’affecter ces ressources à un plan de transition post-extractiviste. Ce choix est pour le moins troublant compte tenu de l’urgence climatique.

Un changement de cap nécessaire

Selon le Programme de l’ONU pour l’environnement, 75 % des maladies émergentes sont des zoonoses (d’origine animale) et il n’y a jamais eu autant d’opportunités de transmission de pathogènes des animaux vers les humains.

Cette crise frappe l’humanité entière de plein fouet et simultanément, et a suscité des réactions immédiates de la part de différents États. Face à la COVID-19, partout dans le monde, des gouvernements ont débloqué des ressources colossales pour supporter les travailleurs, travailleuses et entreprises. Cette même envergure et cette même rapidité d’exécution sont requises pour réaliser un changement de cap radical dans nos politiques agricoles et environnementales, afin de s’attaquer au cœur du problème. Saurons-nous transformer intégralement notre relation avec l’environnement afin de nous sauver nous-mêmes?

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