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La bourse au carbone : une fausse bonne idée? (deuxième partie)

16 septembre 2014

  • Bertrand Schepper

Ce texte fait suite à un texte publié vendredi dernier que vous pouvez retrouver ici.

Je terminais mon dernier texte sur la bourse au carbone en indiquant que le SPEDE, type de bourse du carbone qui entrera en vigueur le 1er janvier 2015, risquait de ne pas remplir son mandat. La tonne d’équivalents de gaz carbonique aurait de fortes chances de se  transiger à prix modique, ce qui nuirait à la transformation du comportement des industries polluantes, les encourageant à acheter des droits de pollution à bas prix. Or cette situation n’est pas propre au Québec. La dévaluation du prix de la MT CO2e fait partie des réalités et des nombreux échecs la bourse au carbone. Ce second texte tentera d’en présenter quelques-uns.

Il existe deux questions de fond sur la bourse du carbone : est-ce concrètement réalisable et et est-ce souhaitable ? Tentons d’y répondre.

La finance et l’environnement

En principe la bourse du carbone fonctionne alors que l’économie va bien et que les objectifs deviennent de plus en plus contraignants, faisait diminuer les émissions de GES. Ainsi, l’effet de rareté des droits de pollution fait que les prix des émissions disponibles sur le marché connaissent une hausse considérable au point où il est plus rentable pour une entreprise d’investir dans la réduction de ses émissions que d’acheter des droits d’émission.

Or, lors d’une récession ou une crise économique, l’économie tourne au ralenti et bien des entreprises qui diminuent leur production et n’atteignent pas les quotas de pollution. Ce qui crée une hausse de l’offre et donc une baisse du prix d’une tonne de MT CO2. Deux choix s’offrent à eux alors ; 1- polluer plus que leurs quotas dans les années à venir ou 2- vendre sur le marché leurs droits d’émission. Cependant, en période de crise, les droits sont faciles à obtenir et ils se transigent à bas prix. Il devient alors financièrement préférable pour les corporations de continuer à polluer et d’acheter des permis sur la bourse au carbone que d’investir dans du nouveau matériel moins polluant.

Par exemple, les droits des émissions en Europe, seul réel marché d’envergure pour le moment,  se transigeaient à près de 35 euros la tonne de CO2 en janvier 2008; elles se transigeaient l’an dernier à moins de 5 euros.  À ce prix, il est plus rentable pour les entreprises de polluer que de changer leurs modes de production. En ce sens, pour le moment la bourse du carbone est un échec.

Le manque de participants

Par ailleurs, tant que le marché du carbone ne sera pas globalisé, les corporations peuvent avoir des installations là où les règles de la bourse du carbone ne s’appliquent pas. Ainsi, tant que la Chine et les États-Unis qui représentent plus de 40 % des émissions de GES ne participent pas à toute forme de bourse du carbone, celle-ci reste un vœu pieux. De plus, chaque juridiction fait des choix différents. Comme nous l’avons vu, bien qu’ils participent tous deux au SPEDE, le Québec et la Californie n’ont pas les mêmes objectifs. Ce qui à terme, crée un débalancement dans toute forme de bourse. Ajoutons que comme les pénalités encourues pour un non-respect de la règlementation ne sont pas standardisées, on peut craindre la création de juridictions-voyous qui deviendraient l’équivalent de paradis fiscaux de la pollution pour attirer des investisseurs.

Le marché n’est pas égalitaire

Bien que chaque industrie soit incitée à réduire ses émanations de GES, certains types d’industrie comme les raffineries et les distributeurs d’énergie ont une clientèle captive.  Ainsi, qu’elle soit efficace ou non, les coûts supplémentaires (achat de droits ou pénalités) liés à la bourse du carbone seront intégrés à leur comptabilité et simplement refilés au client. C’est l’effet des monopoles et oligopoles sur le marché du carbone. Ce qui ne règle en rien la situation.

Les critiques au plan des principes

Vous me direz peut-être qu’il s’agit de critiques importantes, mais qui sur le long terme  pourraient se résorber, et vous auriez probablement raison.  Une bourse du carbone sera nécessairement sujette à la spéculation, à l’irrationalité, à l’asymétrie d’information, à des fluctuations et des crashs boursiers comme toute forme de bourse. Or, l’environnement est trop une chose importante pour la laisser entre les mains irrationnelles des loups de Wall Street de ce monde qui ont une logique de profit sans égard pour l’environnement.

D’autre part, lorsqu’on commence à mesurer en termes monétaires des volumes métriques de pollution, l’on participe la lente transition vers la financiarisation de tout ce qui constitue la vie. Alors que la bourse de l’alimentation crée des crises alimentaires sans précédent, il ne reste qu’un pas avant que la tonne d’eau ou la tonne d’équivalents d’oxygène se transige au plus offrant sur les marchés boursiers.

La bourse carbone tente de régler au moyen d’un mécanisme financier un problème qui est avant tout de nature politique. Par exemple, il aurait été insensé de tenter de régler les crises des missiles nucléaires par des dispositifs de type boursier. Alors que la crise écologique s’annonce pour le moins tout aussi dangereuse que la menace nucléaire pour l’avenir du monde, ne devrait-on pas espérer que les hommes et femmes d’État s’intéressent à la régler par des avenues politiques plutôt que d’inventer des mécanismes qui ne permettent que d’enrichir la machinerie financière qui, de 1929 à 2008, n’a eu cesse de nous rappeler qu’elle a pour seul objectif la croissance maximale à court terme, ce qui fait qu’elle est marquée par des crises répétées, et qu’elle n’a aucun égard pour l’état de la biosphère?

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