L’autre personnalité de l’année 2018 selon l’IRIS
3 janvier 2019
La légendaire personnalité de l’année du magazine Times a été décernée aux journalistes assassinés ou emprisonnés en faisant leur travail, tandis que le Financial Times considérait que l’homme le plus important de 2018 était le controversé milliardaire Georges Soros. Pour notre part, il nous semblait opportun de renouer avec une tradition de l’IRIS et de nommer une personnalité ou un groupe de personne qui ont eu un impact sur la société, mais dont certains préféreraient oublier l’apport.
Cette année, cette distinction revient à Nicolas Hulot, ex-ministre français de la Transition écologique.
Rappelons que la démission de ce ministre, connu pour son militantisme écologique, a eu l’effet d’une bombe dans les médias francophones en août dernier. Il en a fait l’annonce en direct sur les ondes de France Inter au cours d’une entrevue où, faisant preuve d’une sincérité rarement entendue chez un politicien, il a dressé un constat d’échec à propos de son passage dans le gouvernement français.
« Je n’y crois plus », a-t-il admis simplement, en ajoutant par la suite : « Je ne comprends pas que nous assistions, les uns et les autres, à la gestation d’une tragédie bien annoncée dans une forme d’indifférence […]. On s’évertue à entretenir, voire à réanimer un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces désordres ».
Il s’appliquera tout au long de l’entrevue à montrer que le développement soutenu du néolibéralisme mènera inévitablement à une accentuation de la crise écologique en cours. En cherchant à préserver l’ordre économique dominant, on ne parviendra au mieux qu’à faire de « petits pas » insuffisants pour réduire notre empreinte écologique. Pour Hulot, il était donc devenu inutile de rester dans un gouvernement incapable de faire une place aux considérations d’ordre écologique.
Il semble que la quasi-totalité des gouvernements occidentaux se trouve dans la même impasse soulignée par l’ex-ministre français et sont aveugles à la contradiction opposant la nécessité de croissance du capitalisme aux limites naturelles de la planète.
C’est le cas au Québec, où l’environnement ne fait pas partie des priorités du gouvernement de François Legault. Les gouvernements libéraux précédents ont quant à eux bien tenté, par l’entremise d’un Fond vert déficient, de saupoudrer des subventions afin de soutenir la lutte contre les changements climatiques. Mais, faute d’objectifs tangibles, ce programme s’est transformé en véritable fiasco.
Au Canada, le premier ministre Justin Trudeau a nationalisé un pipeline, tandis que le chef conservateur et porte-parole de l’opposition officielle, Andrew Scheer, a déclaré sans rire que le pétrole des sables bitumineux était le plus propre de la planète, faisant fi des preuves scientifiques qui ont pourtant démontré tout le contraire. Sachant que les cibles de réduction des gaz à effet de serre ne seront pas atteintes en 2020, il faut ainsi se rendre à l’évidence : peu de choses démontrent que le Québec ou le Canada seront en mesure de contribuer à inverser la tendance climatique actuelle.
On pourrait voir dans la démission de Nicolas Hulot l’échec complet du combat écologiste. Voyant un militant engagé qui, suite à des années de travaux acharnés, devient ministre pour finalement démissionner après deux ans d’exercice, il est de fait tentant de conclure qu’il n’y a plus rien à faire.
Pour notre part, nous voyons plutôt dans ce geste la preuve de l’échec des néolibéraux à intégrer l’écologie dans leur idéologie. Face à ce constat, un changement majeur de la pensée économique, écologique et politique s’impose. C’est entre autres l’avis de François Delorme, professeur en économie de l’environnement et collaborateur au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, qui a montré que l’on ne pourrait éviter une crise écologique sans un changement radical de l’organisation économique de nos sociétés.
À ce propos, de nombreux citoyens et citoyennes se sont mobilisés sans attendre l’aide du gouvernement, et leurs mobilisations ont eu des effets positifs sur leur communauté. De plus, de nombreuses alternatives à la société de consommation semblent gagner en popularité, comme en font foi l’intérêt grandissant pour des idées comme la décroissance, le socialisme démocratique ou l’écologie comme combat populaire.
Entendons-nous, la crise climatique est loin d’être réglée et les alternatives présentées ne sont encore que théoriques ou embryonnaires. La démission de Nicolas Hulot montre toutefois que la voie empruntée jusqu’ici par les élites politiques mène systématiquement à des échecs. Il importe en ce sens de voir la lutte contre la crise climatique comme une nécessité, et non comme un simple slogan pour aller chercher quelques votes. En somme, la démission de l’ancien ministre français de la Transition écologique représente la fin de l’innocence dans le débat entre l’écologie et la croissance économique à tout prix.