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L’Argentine est de retour en première division

9 mai 2012

  • Guillaume Hébert

La semaine dernière, le Congrès argentin adoptait une loi concrétisant la « récupération de souveraineté » (nationalisation) sur l’entreprise pétrolifère Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF) par l’expropriation de 51% des parts détenues par la multinationale espagnole Repsol. Ancien fleuron de l’industrie argentine, YPF avait été privatisé dans les années 90 durant la présidence ultra-libérale de Carlos Menem.

L’actuelle présidente, Cristina Fernandez de Kirchner, a justifié la décision de son gouvernement en déclarant que la gestion privée de YPF était peu efficace et que la baisse de la production avait transformé l’Argentine en importatrice net de gaz et de pétrole en 2011.

La présidente argentine a pris tout le monde par surprise. L’Amérique latine a certainement entreprit un virage à gauche il y a dix ans, mais les nationalisations ne sont pas devenue monnaie courante pour autant, à l’exception peut-être du Venezuela et de la Bolivie. Le Brésil du Parti des travailleurs (PT), par exemple, s’est abstenu de faire front contre les investisseurs privés préférant assurer la « gouvernabilité » de cette « économie émergente » en se bornant à rediriger vers les classes défavorisées une partie des fruits des succès économiques.

En Argentine, il y eut certes bon nombre de récupérations d’usines et de petits commerces abandonnés au tournant des années 2000, un phénomène ayant reçu l’aval du gouvernement péroniste de Nestor Kirchner puis de son épouse Cristina qui lui a succédé, mais aucune nationalisation visant les intérêts économiques des puissances occidentales (mis à part peut-être celle de Aerolíneas Argentinas en 2008).

La récupération de YPF a suscité la colère du gouvernement espagnol, les inquiétudes de l’Union européenne et celles de la Maison blanche. Pour leur part, les Argentins se sont empressés de rappeler au président espagnol Mariano Rajoy qu’il avait lui-même clamé, alors qu’il était chef de l’opposition, qu’ « un pays qui livre son pétrole aux étrangers est un pays de cinquième (division) », faisant référence aux classements des équipes de foot. Dans l’univers footballistique, une équipe de cinquième division est habituellement une équipe amateur ou semi-amateur dont à peu près tout le monde ignore jusqu’à l’existence…

L’agence de notation Standard & Poor’s ne pouvait laisser passer cette occasion d’ajouter son grain de sel pour accentuer la pression sur le pays « délinquant » en lui accolant désormais une « perspective négative » (negative watch). Quant à Ramy Wurgaft, journaliste du journal El mundo, une analyse « fine » de la situation l’amène à conclure que la présidente Cristina Fernandez a tout simplement été « hypnotisée par le jeune et séduisant » vice-ministre de l’économie, Axel Kicillof, présenté comme le responsable de l’opération.

Il n’y eut pas que des critiques. L’Amérique latine s’est largement rangée derrière l’Argentine en saluant l’initiative (c’est le cas de l’Uruguay, l’Équateur, le Venezuela, le Paraguay, Cuba, etc.) ou en s’abstenant de la condamner (Brésil, Chili, Pérou, etc). Le Mexique, qui demeure l’un des derniers bastions de la droite dans la région et qui, de surcroît, est propriétaire de 10% de Repsol via sa société d’État Pemex, a quant à lui condamné la mesure argentine.

Des commentateurs européens ont également défendu la nationalisation de YPF. C’est le cas de Mark Weisbrot qui écrivait ce texte convainquant dans The Guardian où il détaille comment l’Europe serait d’une part bien malvenue de donner des leçons économiques à l’Argentine dans le contexte actuel, mais aussi que le pays sud-américain ne fait que rectifier l’une des erreurs commises durant les années 90 : privatiser l’industrie gazière et pétrolière. La rupture du moins partielle avec les politiques néolibérales ont remis l’économie argentine sur les rails ; la nationalisation de YPF s’inscrit dans cette logique.

La posture fragile dans laquelle se retrouve l’Espagne aujourd’hui – il s’agit de l’un des principaux États affecté par la crise de la dette souveraine et le pays entre maintenant en récession sous l’effet de plans d’austérité aussi agressifs que contre-productifs – a certainement contribué au timing de la nationalisation de YPF. Si c’est bel et bien le cas, cet épisode fait écho à l’histoire latino-américaine du XXe siècle. En effet, la crise économique des années et l’Après-guerre avait été l’occasion pour des pays comme l’Argentine de réduire le rapport de dépendance aux nations européennes affaiblies. Cette phase s’était abruptement interrompue en Amérique du Sud durant les années 60-70 lorsque des putschs militaires, souvent commandités par le Nord, vinrent écraser dans le sang les processus d’émancipation politique et économique.

Chose certaine, l’initiative de l’Argentine contribuera à ramener le mot « nationalisation » dans le champ lexical du possible. Voilà maintenant près d’une quinzaine d’année que l’Amérique latine nous est d’une aide précieuse à cet égard. La Bolivie célébrait d’ailleurs le 1er mai en annonçant à son tour de nouvelles nationalisations.

Le Québec et son modèle socio-économique distinct pourra-t-il s’en inspirer à son tour au moment de lancer un immense chantier dans le Nord ? Avoir un État qui joue un rôle de premier plan plutôt que de servir d’entremetteur entre les ressources naturelles et les multinationales extractivistes, serait raisonnable tant au point de vue socio-économique qu’environnemental.

D’autant plus qu’avec l’Impact de Montréal qui évolue depuis cette année en première division nord-américaine, il serait triste que l’État québécois suive le chemin inverse et qu’il soit rétrogradé aux rangs amateurs.

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