L’importance de l’infrastructure sociale pour faire face aux changements climatiques
17 septembre 2024
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L’été qui s’achève a été un des plus chauds jamais enregistrés. Il a aussi été marqué encore une fois par une série d’événements météorologiques funestes, dont les feux de forêt à Jasper et les inondations dans le sud du Québec. En réaction à ce dernier désastre, l’éditorialiste du Devoir et celle de La Presse ont à juste titre affirmé que les gouvernements et les municipalités devraient faire des efforts plus importants pour adapter les infrastructures urbaines à la crise climatique. Quand on parle d’infrastructures, on pense d’abord aux égouts, aux canalisations, aux routes, au réseau électrique et aux autres infrastructures matérielles, mais pour atténuer les effets des changements climatiques, il faudra aussi investir dans l’infrastructure sociale, c’est-à-dire les institutions (bibliothèques, centres communautaires, lieux publics, etc.) qui permettent de prendre soin des gens et de renforcer les communautés.
En 1995, la ville de Chicago a été frappée par une vague de chaleur sans précédent qui a tué plus de 700 personnes. Après la catastrophe, le sociologue Eric Klinenberg a voulu comprendre qui était décédé et quels étaient les facteurs en cause. Il n’a pas été surpris de constater que les quartiers les plus pauvres avaient des taux de mortalité plus élevés. On sait en effet que la chaleur extrême touche davantage les personnes les plus défavorisées et les plus vulnérables. Klinenberg s’est cependant rendu compte que certains quartiers populaires s’en sortaient mieux que d’autres quartiers plus riches.
Plus intrigant encore : il y avait deux quartiers voisins dont la situation démographique, sociale et économique était à première vue presque identique, mais l’un avait un taux de mortalité exceptionnellement élevé, tandis que l’autre avait un des taux les plus bas. En parcourant les quartiers de Chicago – et en procédant à une analyse systématique de données provenant d’entrevues, de statistiques et de cartes géographiques –, Klinenberg a constaté qu’une des clés permettant de comprendre la différence entre les deux quartiers était la qualité de l’infrastructure sociale. Dans les quartiers qui avaient été largement épargnés, on trouvait des centres communautaires et des bibliothèques, les rues étaient entretenues et animées et les résident·e·s avaient des occasions de se connaître et de socialiser dans l’espace public ou dans les commerces bien fréquentés du voisinage. Au contraire, dans les quartiers les plus affectés par la vague de chaleur, il y avait peu d’espaces publics, plusieurs bâtiments étaient abandonnés et les rues étaient souvent vides. Les habitant·e·s y étaient donc davantage isolé·e·s, un facteur de risque en temps de canicule.
Les lieux publics comme les centres communautaires, les parcs, les piscines publiques et les bibliothèques offrent des espaces pour se rafraîchir, bien sûr, mais ils offrent aussi des occasions de prendre des nouvelles les uns des autres, de voir qui manque à l’appel et qui a besoin d’aide. Les recherches de Klinenberg montrent le rôle crucial de ces institutions pour favoriser les interactions formelles et informelles entre voisin·e·s. L’analyse de Klinenberg rejoint celle de l’autrice Jane Jacobs, qui expliquait qu’il fallait « des yeux dans la rue » – c’est-à-dire des milieux de vie animés où les gens peuvent veiller sur leurs concitoyen·ne·s – pour accroître le sentiment de sécurité et de communauté en ville.
Les centres communautaires et les bibliothèques offrent aussi une diversité de services qui aident directement les personnes vulnérables. Au Québec, les bibliothèques prennent d’ailleurs de plus en plus au sérieux leur rôle social, notamment en embauchant des intervenantes sociales ou en formant leur personnel à soutenir des personnes en détresse.
Une étude publiée récemment par une équipe de recherche de l’INRS évaluait que chaque été au Québec, « les températures élevées sont associées à 470 décès, 225 hospitalisations, 36 000 visites à l’urgence, 7 200 transports en ambulance et 15 000 appels à Info-Santé ». Ces chiffres inquiétants sont malheureusement voués à augmenter au cours des prochaines décennies en raison de l’intensification des bouleversements climatiques. Les travaux de Klinenberg mettent en lumière deux idées fondamentales pour faire face à cet enjeu. D’une part, ils montrent que les décès attribués aux catastrophes dites naturelles ont des causes sociales et politiques. D’autre part, ils montrent qu’une infrastructure sociale forte peut réduire considérablement les risques et le nombre de victimes.
Bon article. Un bel exemple est les coopératives d habitation ou les gens se connaissent et tissent des liens entre eux…