Le billet vert: les riches contre la planète
22 janvier 2020
Dans un précédent billet, je soulignais que la lutte aux changements climatiques n’est pas une préoccupation uniformément répartie au sein de la société. Je m’étais concentré sur les écarts entre les hommes et les femmes, ceux-ci étant en moyenne plus réfractaires à l’écologisme que celles-là. J’ai également mentionné au passage d’autres facteurs qui font en sorte que les changements climatiques sont perçus différemment d’un individu à l’autre, notamment leur niveau de revenus. J’aimerais aujourd’hui insister sur ce point.
Il est maintenant bien établi que la plupart des pays qui émettent le moins de GES sont également ceux qui vont subir les premiers les effets des changements climatiques et avec le plus de force. Ces pays pour la plupart sous-développés économiquement n’ont pas les capacités institutionnelles et économiques pour se préparer et répondre adéquatement à la multiplication des événements climatiques extrêmes : inondations, sécheresses, ouragans, montée des eaux, canicules, feux de forêt, etc. Le drame qui se déroule en Australie est évidemment tragique, mais il confirme qu’un pays aussi riche a les moyens de surmonter cette crise, et même de s’enfoncer dans le business as usual. Les petits États insulaires et les pays les plus pauvres n’ont toutefois pas ce luxe et peuvent s’attendre au pire.
Face à cette situation, il est normal que les pays riches, qui ont historiquement émis le plus de GES dans leur course au développement, soient appelés à fournir un plus grand effort dans la lutte aux changements climatiques. Bien que les deux principaux pays émetteurs de GES aujourd’hui (États-Unis et Chine) ne s’entendent pas sur le sujet, ce principe d’effort ajusté à la responsabilité est reconnu et intégré aux processus de négociation des différents accords qui ont été signés au cours des 25 dernières années.
Il m’apparaît étrange que, bien que ce principe soit accepté depuis longtemps à l’échelle des États, il ne le soit pas à l’échelle des individus et des classes sociales. Il existe des disparités énormes entre la production de GES des individus selon leurs revenus. En effet, toutes les personnes qui vivent dans les pays riches n’ont pas un mode de vie incompatible avec la survie de la planète à long terme, de même que toutes les personnes qui vivent dans les pays pauvres ne sont pas exemptes de responsabilité. Tous les pays ont leurs élites et toutes les élites consomment plus que leur part de ressources.
Oxfam a évalué qu’à l’échelle du globe, les individus formant le 1% le plus riche (tous pays confondus) produisaient 30 fois plus de GES par personne que la moitié la moins riche de la planète, et environ 175 fois plus que les 10% les plus pauvres. En fait, à lui seul, ce 1% de privilégiés produit environ 18% de l’ensemble des GES de la planète. Ceci s’explique facilement : la production de GES est intimement liée au niveau de consommation des individus. Une personne qui a une grande sensibilité écologiste, mais un train de vie élevé produira nécessairement plus de GES qu’une personne défavorisée aux préoccupations écologistes inexistantes. En ce sens, il serait judicieux d’appliquer le même principe progressif qu’avec les impôts sur le revenu en imposant un effort supplémentaire de réduction des GES sur les gens les plus fortunés.
Oxfam publiait également un nouveau rapport ce lundi indiquant que les 2 153 milliardaires que compte la planète actuellement possèdent autant que les 4,6 milliards d’humains les moins fortunés. Autrement dit, 0,000028% de l’humanité possède autant que 60% de celle-ci. Non seulement ces milliardaires pourraient-ils renoncer à une bonne partie de leur luxe pour aider la planète, mais ils pourraient également opérer au plus vite des changements radicaux vers un avenir décarbonisé, puisqu’ils sont aux commandes de toutes les principales industries. Malheureusement pour nous, ils ne le font pas.
Ces changements au niveau des politiques industrielles pourraient ouvrir la voie à un Green New Deal, une forme de croissance économique verte. Mais ils pourraient aussi signifier des récessions à répétition, autre façon de parler de décroissance. La décroissance est un concept qui fait peur parce qu’il évoque, dans l’esprit de bien des gens, la privation généralisée, la fin de la mobilité et des loisirs. Pourtant, cette décroissance pourrait être assumée en grande partie par les plus fortunés de nos sociétés sans que la majorité de la population ne sente la différence. Aux États-Unis, le 1% le plus riche accapare maintenant environ 20% des revenus de l’ensemble de leur économie. Au Canada, c’est environ 12%. Nous pourrions connaître plusieurs années de récession sans que 99% de la population n’en souffre, si telle était notre volonté.
Les grands conflits sociaux du XXe siècle étaient orientés vers une meilleure répartition de la richesse. Les temps ont changé. Peut-être est-il venu le moment de revendiquer, en plus d’une meilleure répartition des richesses pour soulager la souffrance des plus démuni·e·s, une meilleure répartition de la responsabilité face à l’urgence climatique afin d’offrir un environnement viable à tous et à toutes.