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L’IEDM, féministe?

7 mars 2016

  • Eve-Lyne Couturier

La semaine dernière, l’IEDM a publié une (très courte) note pour souligner le 8 mars et la journée internationale des femmes. À la lire, on croirait qu’il ne reste plus vraiment grand chose pour que les femmes atteignent l’égalité au Québec. Peut-être plus de femmes au pouvoir, peut-être l’équité salariale, mais on va se le dire, c’est ailleurs que l’égalité a vraiment ses luttes. Bien qu’il soit vrai que je préfère être une femme ici qu’en Irak, il serait absurde d’arrêter pour autant de regarder notre propre situation et comment l’améliorer. Même si on se limite aux questions économiques, il reste beaucoup à faire. Les femmes sont plus nombreuses à travailler au salaire minimum, à temps partiel (ou à des salaires peu élevé), dans des emplois précaires… Cette réalité a des conséquences jusqu’à leur retraite, qui sera en moyenne moins généreuses que celles des hommes à cause de toutes ces raisons. Les femmes immigrantes sont peut-être celles qui sont les plus scolarisées, mais pas les mieux rémunérées… 

Mais jouons le jeu. Portons notre regard à l’international. Dans leur recherche d’à peine deux pages, on nous dit que la clé pour l’émancipation des femmes est la liberté économique. Pour mettre cela en évidence, les deux auteures prennent le palmarès des pays selon leur liberté économique et le compare avec les conditions de vie et les déterminants sociaux de santé. Ils nous expliquent ensuite que les pays avec le moins de liberté économique sont aussi ceux où il est le plus dur être une femme, et vice versa.

Sans surprise, une femme a plus de chance d’avoir une meilleure santé, une meilleure éducation, un meilleur emploi et une meilleure situation financière si elle vit dans un pays qui lui permet de poursuivre ses études aussi longtemps qu’elle le souhaite, de faire carrière dans le domaine de son choix et d’être couverte par des lois qui reconnaissent que son existence a la même valeur que n’importe quel autre individu. Toutefois, est-ce que les droits économiques sont vraiment un bon barème pour le droit des femmes? Même l’IEDM reconnaît que la simple « liberté économique » ne suffit pas, encore faut-il encore que celle-ci ne s’applique pas qu’aux hommes, et que la culture du pays encourage une vision égalitaire entre les sexes.

Commençons par regarder quels sont les pays les plus égalitaires en partant du Gender Inequality Index, un indicateur développé par les Nations Unies.

Pays GII
Slovénie 1
Suisse 2
Allemagne 3
Danemark 4
Autriche 5
Suède 6
Pays-Bas 7
Belgique 8
Norvège 9
Italie 10

Qu’ont-ils en commun?

Il s’agit tous de pays développés, démocratiques, avec un État fort, des institutions publiques reconnues et un haut PIB par habitant. Les comparer avec des pays en voie de développement est à la limite de la mauvaise foi. Il serait bien plus intéressant de voir comment des pays qui partagent plusieurs caractéristiques sociales et économiques (donc autres que de posséder un drapeau) se distinguent les uns des autres quant à la question du rapport entre les sexes que de prétendre que tous les États partent du même point. Nous allons donc prendre les pays de l’OCDE et les comparer à partir de divers indicateurs pour voir si la liberté économique est si importante pour l’égalité des sexes quand l’accès à des ressources et des services est moins une préoccupation de la population.

Nous comparerons donc la liberté économique, l’indice de développement humain (IDH) et le coefficient de Gini. Nous pourrons ainsi voir si les pays plus égalitaires ont de meilleures conditions de vie pour l’ensemble de la population (IDH), mais également si la distribution des revenus et le faible écart entre les riches et les pauvres (Gini) est plus importante que la liberté économique. Regardons le classement des 10 pays de l’OCDE les plus égalitaires quant au GII. Tous les pays ont été classés du meilleur (1) au pire (34). Notons que, dans le cas de l’IDH, certains pays arrivent à égalité.

Pays

Gini

Liberté économique

IDH

GII

Slovénie

1

33

20

1

Suisse

17

2

3

2

Allemagne

15

12

6

3

Danemark

2

10

4

4

Autriche

9

20

18

5

Suède

8

18

10

6

Pays-Bas

14

11

5

7

Belgique

6

25

16

8

Norvège

3

21

1

9

Italie

27

32

22

10

Déjà, on voit que la dispersion est plus grande quand on parle de liberté économique. On y trouve même deux des trois pires pays quant à la liberté économique! Dans le cas des deux autres, on retrouve six pays qui partagent leur top 10 avec le GII. Voilà qui est intéressant.

Voyons ce qu’il en est avec les meilleurs pays. 

Pays

Gini

Liberté économique

IDH

GII

Mexique

34

28

32

34

Turquie

33

31

31

33

Chili

32

5

28

32

États-Unis

31

9

8

31

Hongrie

10

27

30

30

Royaume-Uni

28

8

10

29

Slovaquie

5

26

26

28

Estonie

20

7

25

27

Nouvelle-Zélande

25

1

9

26

Grèce

19

34

24

25

Le portrait, sans trop de surprise, s’inverse alors. Cinq pays qui se trouvent au sommet du palmarès de la liberté économique (dont le meilleur!) sont parmi les pires pour l’égalité de genre. Du côté du coefficient de Gini et de l’IDH, il y a aussi des pays aux performances contradictoires, mais le niveau est loin d’être semblable.

Plaçons maintenant les pays développés sur un axe qui va des pays les plus égalitaires sur le genre aux pays les moins égalitaires. Que se passe-t-il si on regarde comment ils se positionnent quant à la liberté économique?

La tendance n’est pas tellement évidente. Les points semblent être posés aléatoirement. Il en va autrement si on compare avec le coefficient de Gini.

Si l’on compare des oranges avec des oranges, il reste encore que c’est la réduction des écarts de richesse qui semble être la direction que l’on cherche à prendre si on veut des politiques publiques qui favorisent l’égalité entre les sexes. Malheureusement, en choisissant un ensemble trop large, en croyant légitime de comparer des pays riches et démocratiques, qui ont des services publics forts, qui ne vivent pas avec la peur quotidienne d’attentats au coin de la rue avec des pays pauvres, dont certains qui sont en guerre civile, qui connaissent encore des relents de colonialisme, dont le chef est un dictateur, il est évident que l’IEDM s’arrangeait pour que les résultats penchent plus d’un côté que de l’autre. Il faut dire qu’avec un seul tableau et moins de mots que ce billet, la nuance n’était pas très possible.

Mais l’IEDM nous répondra sûrement que la réalité n’a pas besoin de faits empiriques pour la confirmer et que, de toute façon, la liberté économique règlerait aussi les conflits internationaux…

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