Lutte au racisme : 4 ans plus tard, où en est le Québec?
27 mars 2024
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En 2020, le gouvernement du Québec a décidé d’agir en termes de lutte au racisme dans la foulée du mouvement de solidarité lancé après le meurtre de George Floyd aux États-Unis. Quelques mois plus tard, la mort de Joyce Echaquan dans un hôpital de Joliette lui rappelait cruellement l’urgence d’agir. Quatre ans plus tard, quel bilan pouvons-nous tirer des initiatives lancées par le gouvernement du Québec pour contrer le racisme?
Le premier geste de l’État québécois fut la création du Groupe d’action contre le racisme (GACR) le 15 juin 2020. Le groupe fut critiqué dès le départ, qualifié de « coquille vide » travaillant en « vase clos » par plusieurs organismes communautaires. Bien qu’en contact régulier avec les populations victimes de racisme, ni les organisations communautaires ni une série d’expert·e·s travaillant sur la question de la lutte au racisme ne furent consultées.
Néanmoins, le groupe poursuivit ses travaux et déposa son rapport en décembre 2020, Le racisme au Québec : tolérance zéro. Un an plus tard, soit en décembre 2021, le gouvernement du Québec se vantait que « toutes les actions recommandées dans le rapport du Groupe d’action contre le racisme avaient déjà reçu une première réponse ». En dépit de cette affirmation, nous ferons ici l’exercice de démontrer que l’État québécois agit de manière contradictoire en confrontant les recommandations du rapport aux agissements du gouvernement.
Le rapport du GACR recommande premièrement de « mettre fin aux cas de discrimination policière ». Une avancée majeure en termes de lutte au profilage racial a récemment eu lieu grâce au jugement Yergeau qui désormais interdit l’interception sans motif d’un automobiliste. Considérée comme une « porte ouverte au profilage racial », cette pratique est appelée à disparaître en fonction de ce jugement. Or, le seul gouvernement au Canada ayant décidé de le contester fut celui de François Legault. Par ce geste, le gouvernement du Québec s’est érigé en obstacle à la lutte au profilage racial au Québec et dans tout le Canada.
Le rapport recommande ensuite de « lutter contre le racisme dans l’accès au logement ». De ce côté, des initiatives significatives se font toujours attendre. Ceci dit, alors qu’une crise du logement fait rage et qu’on voit une montée de l’itinérance – deux phénomènes dont les conséquences s’avèrent souvent plus graves pour les groupes racisés – le dernier budget provincial offre bien peu d’aide pour le secteur logement, sans parler du projet de loi 31 qui renforce le pouvoir des propriétaires en matière d’éviction et de cessions de bail.
La troisième recommandation porte sur la nécessité de « combattre le racisme dans l’accès à l’emploi ». Ici encore, l’approche du gouvernement apparaît problématique dans le sens où elle favorise, dans un premier temps, l’arrivée de travailleuses et de travailleurs étrangers temporaires, pour ensuite s’inquiéter publiquement de leur nombre et chercher à resserrer leurs critères d’admission. Alors que la discrimination et l’exploitation souvent vécues par ces travailleurs et travailleuses essentiel·le·s sont progressivement mises en lumière, le gouvernement de la CAQ essaie nous convaincre que ces gens représentent un fardeau pour la société d’accueil.
La quatrième recommandation insiste sur le fait de « mieux informer les Québécois sur la réalité du racisme ». Pour donner suite à cette recommandation, le gouvernement du Québec a lancé en 2021 une campagne de sensibilisation contre les préjugés. Dès ses débuts, cette campagne fut dénoncée par l’un de ses artisans, le réalisateur Khoa Lê, qui accuse le gouvernement d’avoir « dénaturé » le message, critiquée par des organisations anglophones et bilingues pour son refus de traduire le terme « Québécois » par « Quebecer » et raillée par une partie du public.
Alors que le rapport parle aussi de « miser sur l’éducation des jeunes pour éliminer le racisme », le gouvernement de François Legault a récemment décidé d’aller jusqu’en Cour suprême pour empêcher les enfants des demandeuses et demandeurs d’asile d’avoir accès aux garderies publiques. Par ailleurs, le conflit de cet automne entre les syndicats de l’enseignement et l’État québécois, sans parler du contexte des dernières années l’ayant rendu possible, n’a certainement pas facilité le développement d’une approche commune pour prévenir le racisme en milieu scolaire.
Le rapport parle aussi d’un « gouvernement exemplaire »… Or, sur ce plan, le gouvernement caquiste fait piètre figure. Il s’entête à ne pas reconnaître la notion de « racisme systémique » alors qu’elle s’est imposée dans la littérature académique et dans l’espace public partout en Amérique du Nord et au-delà. Il a refusé de reconnaître le « principe de Joyce » pourtant proposé par une pléthore d’intervenant·e·s sociosanitaires. Plusieurs députés et ministres caquistes ont par ailleurs tenu des propos racistes et xénophobes, la palme revenant sans contredit au ministre de l’Immigration Jean Boulet qui a déclaré en 2022 que « 80 % des immigrants s’en vont à Montréal, ne travaillent pas, ne parlent pas français ou n’adhèrent pas aux valeurs de la société québécoise ».
Bref, il y a un large fossé entre la volonté affichée du gouvernement québécois de lutter contre le racisme et ce qu’il fait en réalité. Pire, certains députés et ministres alimentent les préjugés et stéréotypes que d’autres de leurs collègues prétendent combattre. Un virage drastique s’impose, car l’approche identitaire et réactionnaire du gouvernement actuel est incompatible avec la lutte au racisme.