Icône

Aidez-nous à poursuivre notre travail de recherche indépendant

Devenez membre

Devenir québécois

16 janvier 2025

Lecture

5min

  • Julia Posca

Saviez-vous qu’on trouve à Saint-Jean-de-Matha une rue des Cèdres-du-Liban? Ce toponyme rappelle la présence de longue date de la communauté syro-libanaise au Québec, qui remonte à la fin du XIXe siècle. Comme ce fait est largement méconnu, on ne soupçonne pas que des personnalités publiques comme René Angelil, ou des entreprises comme Dollarama, qu’on considère avant tout québécoises, ont en fait des origines dans cette région du Proche-Orient.

Les étapes à franchir entre le moment où une personne s’installe dans un nouveau pays et celui où on « oublie » d’où viennent ses descendants sont nombreuses. Certains préjugés persistants à l’égard des immigrantes et des immigrants découlent d’une méconnaissance de ce processus d’intégration, comme en témoigne l’actualité récente.

Le 23 décembre dernier, la journaliste de La Presse Suzanne Colpron faisait le portrait d’une famille originaire du Liban arrivée au Canada après un événement traumatique et de leur premier Noël au Québec. Le couple évoque les défis qu’ils doivent surmonter pour subvenir à leurs besoins : apprentissage de la langue pour le mari, retour à l’école en raison de la non-reconnaissance de leurs diplômes, intégration des enfants dans un nouveau système scolaire, etc.

L’article a été abondamment partagé à cause de cette phrase prononcée par la mère de famille : « On aime Laval. C’est comme si on était au Liban ! Il y a plus d’Arabes que de Québécois ici ». La journaliste précise que l’interviewée « plaisante ». Plus loin, la Lavalloise explique que le caractère multiculturel de sa ville d’accueil est « un atout pour son mari », ce dernier « ne [maîtrisant] pas encore bien le français. »

Plusieurs ont conclu de ce récit que les politiques migratoires canadiennes étaient responsables de la disparition progressive du français et du peuple québécois. Le chroniqueur Frédéric Lacroix a avancé sur le réseau social X que « les Québécois [étaient] maintenant dilués jusqu’à l’insignifiance ». Mathieu Bock-Côté a quant à lui affirmé dans sa chronique du 7 janvier que « l’immigration massive nous [condamnait] à la disparition. » Ces déclarations incendiaires nous donnent l’occasion de rétablir certains faits au sujet de l’immigration.

Il est vrai que Laval compte une importante communauté libanaise. Or, il s’agit avant tout d’une ville multiethnique (et non d’une « ville arabe » comme l’a prétendu M. Bock-Côté). Parmi les personnes ayant le statut d’immigrant qui y vivaient en 2021, les données du recensement nous apprennent que 19,6% étaient originaires des Amériques, 21,9% de l’Europe, 23,0% de l’Afrique et 35,4% de l’Asie (un tiers de ce groupe provenant du Liban).

Malgré la centaine de pays représentés au sein de la population de la ville, 92,1% des habitants y parlaient le français en 2021. De plus, 70,7% des gens ont indiqué que le français était la langue qu’ils utilisaient le plus au travail.

Notons que la proportion de personnes issues de l’immigration résidant à Laval a effectivement augmenté dans les dernières années, passant de 20,2% de la population totale en 2006 à 31,5% en 2021. Cette hausse s’inscrit dans une tendance à la suburbanisation des populations immigrantes, un phénomène qui s’observe aussi à Toronto et Vancouver.

On présente parfois ces « enclaves ethniques » comme le symbole de l’échec de l’intégration des immigrants. Pourtant, les études sur la question montrent au contraire qu’elles contribuent généralement à ce processus. Pouvoir compter sur des personnes qui ont la même langue maternelle ou des références culturelles similaires est un atout pour tisser des liens, trouver un emploi ou un logement, être en contact avec des organismes de soutien aux nouveaux arrivants, etc.

Ainsi, une étude de Statistique Canada basée sur des données de 2013 montre que le sentiment d’appartenance des immigrants envers leur lieu de résidence (que ce soit la ville, la province ou le Canada) est supérieur au sentiment d’appartenance qu’ils ont envers leur propre pays d’origine, et ce même s’ils résident dans un lieu avec une forte concentration de personnes issues de l’immigration. L’étude montre aussi qu’ils se sentent autant appartenir à leur ville ou leur province de résidence qu’au groupe de personnes ayant la même origine ethnique ou culturelle qu’eux.

C’est mécomprendre la réalité de l’immigration et du déracinement qu’elle suppose que de penser qu’une personne va, parce qu’elle a dû se résoudre à quitter son pays, abandonner sa langue, sa culture ou ses habitudes. Mais tôt ou tard, elle s’identifiera tout autant à sa culture d’adoption. Encore faut-il pour ce faire que ces concitoyens reconnaissent que malgré les différences dans ses origines, son accent ou ses pratiques, elle est partie prenante de cette société. En jetant le doute sur la capacité des immigrants à devenir des Québécoises et des Québécois à part entière, certains commentateurs ne font que nuire à leur intégration et au vivre ensemble.

Icône

Vous aimez les analyses de l’IRIS?

Devenez membre

Icône

Restez au fait
des analyses de l’IRIS

Inscrivez-vous à notre infolettre

Abonnez-vous

Commenter la publication

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Les renseignements collectés à travers ce formulaire sont nécessaires à l’IRIS pour traiter votre demande et y donner suite. Vous disposez d’un droit d’accès et de rectification à l’égard de vos renseignements personnels et vous pouvez retirer votre consentement à tout moment. En fournissant vos renseignements dans ce formulaire, vous reconnaissez avoir consulté notre Politique de protection des renseignements personnels et politique de confidentialité.

2 comments

  1. Très bien. Il serait intéressant d’étudier le système d’analyse d’équivalence des études et de l’expérience de travail! Je crois que notre système est
    ´ridicule ´. Je vous donne un exemple. Pour être en mesure d’avoir un permis en services financiers, le gouvernement exigeait un diplôme post secondaire, et même qu’une treizième année d’études en Ontario était acceptée. Mais, Janice a une maîtrise réussie en Colombie Britannique et son diplôme n’est pas reconnu!!!

  2. On sait que la question de la laïcité de l’État divise la gauche. Il y a ceux qui appuient la Loi 21 et ceux qui la dénoncent.

    De façon générale, les premiers s’arriment à une forme ou l’autre de nationalisme (identitaire ou non) qui côtoie une certaine acception du « féminisme » et les seconds se revendiquent d’un Québec plus ouvert à la diversité, plus inclusif, prêt à intégrer les différentes conceptions du vivre-ensemble afin de les orienter dans le sens d’un projet de société qui dépasse les clivages et qui vise une plus grande justice sociale.

    L’Aut’journal appartient sans conteste au premier groupe. A été publié, dans son édition de novembre 2024, un article signé par nul autre que le Président du Mouvement Laïque Québécois (MLQ), Daniel Baril, intitulé : « L’école Bedford et les limites de la loi 21 (Interdire toute activité religieuse à l’école) ».

    On ne pourrait pas trouver de meilleur exemple d’un texte qui cumule à lui seul tous les travers de ce qu’il convient d’appeler, dans les circonstances : « Les “intégristes” de la laïcité ». À lire les propos de Daniel Baril, la religion n’est ni plus ni moins comparable à la « peste bubonique » dont il faudrait se débarrasser au plus vite tellement elle risque de contaminer tout le corps social, à commencer par nos écoles publiques, véritables pouponnières qui auraient la responsabilité de préserver nos enfants et adolescents, si purs, chastes et innocents qu’ils sont, de l’influence néfaste des convictions religieuses du corps enseignant, surtout lorsque celles-ci sont coiffées d’un foulard, signe sans équivoque d’une aliénation consentie de la part de celles qui l’arborent ostensiblement, à savoir les musulmanes voilées (pour ne pas les nommer…)

    Quand on prend connaissance de propos qui affirment sans ambages que : « Le port de signe religieux a un effet conflictuel manifeste entre les enfants d’une même communauté qui ne partagent pas le même mode de vie, les mêmes valeurs ou les mêmes convictions. »1, on se croirait directement parachuter dans l’Hexagone à une Assemblée du RN de Marine Le Pen (ou pire, de Reconquête d’Éric Zemmour) où les orateurs n’ont cesse de nous faire part de l’évidence qu’il y a incompatibilité « naturelle » entre la culture occidentale (au sens où ils l’entendent, bien évidemment) et les « Autres » cultures, entendre celles issues de la tradition arabo-musulmane, pourtant tout aussi séculaires. C’est le « Choc des Civilisations », version québécoise…

    Que ce soit l’épisode du mot en « N » à l’Université d’Ottawa, le concept « douteux » d’appropriation culturelle appliqué au théâtre de Robert Lepage ou le cas du prosélytisme religieux à l’École Bedford, tous ces déraillements, ces maladresses, ces exagérations biens « réels » sont du « petit lait » pour nos Don Quichotte de la laïcité. Ces dérapages (conséquences directes de la culture « woke » ou de l’idéologie « islamo-gauchiste » défendue par QS) sont, à leurs yeux, la preuve vivante que la loi 21 doit être renforcée parce qu’en vérité, un signe religieux laisse transparaître un état d’esprit « archaïque », pré-moderne, dont on doit à tous prix éviter le contact avec nos jeunes ouailles de l’école publique, non seulement pendant les heures de cours mais aussi en dehors du temps passé en classe ; autrement dit, presque tout le temps…

    Il va sans dire que, pour des raisons qu’elles seules connaissent, plusieurs personnes au Québec ont la religion à travers la gorge. À tel point que, et cela est particulièrement odieux de leur part, elles vont jusqu’à prendre les enfants en otage en leur mettant dans la bouche des mots dont on peut douter qu’ils saisissent véritablement le sens. Et pour ajouter du sérieux à l’entreprise, tout en discréditant un peu plus les enseignantes qui veulent exercer leur liberté de conscience au travail, on fait peser sur le corps enseignant la lourde responsabilité d’être des « Représentants de l’État » (titre « pompeux » s’il en est un), comme si sa tâche n’était pas déjà assez ardue comme elle l’est à l’heure actuelle. Pour avoir moi-même enseigné dans le réseau « public » des Universités du Québec, je ne me souviens pas d’avoir dû prêter serment devant le fleurdelisé, la main sur le cœur, jurant d’être un digne ambassadeur de la République du Québec ! Les profs ne sont pas des diplomates expédiés dans les cours d’école pour promulguer les principes de la laïcité de l’État et prêcher la Bonne Nouvelle de la nécessaire conversion à la sécularisation généralisée de la société ; ils ont d’autres chats à fouetter…

    Au fond, la « sacro-sainte » laïcité n’est qu’un prétexte pour imposer un conformisme vestimentaire, comportemental, idéologique et politique. Elle s’inscrit dans l’argumentaire identitaire de la droite populiste, apeurée par les changements « culturels » inévitables qui accompagnent les mouvements de population à l’ère de la globalisation des marchés, des échanges commerciaux à l’échelle internationale, de la mondialisation, qu’elle soit « capitaliste » ou « humaniste ». En durcissant ainsi les critères d’admissibilité et les conditions d’adaptation des nouveaux arrivants au groupe majoritaire, le Québec se prive de précieux apports venus de l’étranger, d’autant plus que le Christianisme, le Judaïsme et l’Islam ont beaucoup de choses en commun, ayant déjà cohabité à partir d’une tolérance mutuelle sans qu’il soit nécessaire à quiconque de renier ses propres convictions.
    Le « conflit » est générateur de créativité, d’innovation, de « progrès ». Il est la condition de possibilité à la constitution d’une société qui « tolère » la diversité ethnoculturelle, qui appréhende les différences de culture à l’aune d’une contribution bienfaisante pour le groupe majoritaire et non comme une menace de désintégration, de dislocation, un empêchement pour l’affirmation « identitaire » de ce dernier, ce qui ne signifie pas qu’il faille passer sous silence les difficultés « réelles » et inhérentes à cette cohabitation. Le destin du Québec ne doit pas s’inscrire dans le sens d’un repli sur nos soi-disant « valeurs » mais dans celui d’une ouverture à l’Autre pour des raisons à la fois morales, humanitaires, politiques et économiques…

    Mario Charland
    Shawinigan

    Note
    1.L’Aut’journal, novembre 2024, n° 431, p.6.