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Il n’y aura pas d’invasion de sauterelles

16 avril 2015

  • Guillaume Hébert

Pas plus que des invasions de sauterelles, il n’y aura pas de « tsunami gris » au Québec. Cette expression loufoque avait été utilisée par certains, dont un ancien président de l’Association médicale canadienne (AMC), pour laisser croire que les personnes âgées deviendraient tellement nombreuses lorsque les baby-boomers auraient terminé de prendre leur retraite, que le poids de ceux-ci sur le reste de la société serait dévastateur.

La note socio-économique publiée par l’IRIS hier ne nie pas le vieillissement de la population. Elle cherche plutôt à faire les nuances qui s’imposent lorsqu’on aborde un phénomène complexe comme le vieillissement.

Rappelons d’abord que le vieillissement n’a pas seulement lieu au Québec. Il n’a pas non plus seulement lieu dans les pays occidentaux. Un pays comme la Chine, déjà reconnu pour son gigantisme en tout, connaîtra un vieillissement d’une ampleur jamais vue dans les prochaines décennies; une conséquence notamment de la politique de l’enfant unique qui amincit le bas de la pyramide des âges dans ce pays.

Notons ensuite que le Québec connaît un vieillissement depuis… 1960! En effet, depuis cette année l’âge moyen au Québec croît. La proportion de personnes de 65 ans et plus a plus que doublé entre 1960 et 2000, passant de 6% à 13%. Le vieillissement correspond par conséquent davantage à une longue transition plus qu’à un « choc », comme certains l’avancent.

Il y a ensuite le taux de dépendance. Au moment d’évaluer la part de la population qui pourrait devoir être soutenue, donc qui pourrait s’avérer plus ou moins dépendante, il ne faut pas regarder que la proportion des plus vieux; il faut aussi considérer les plus jeunes.

C’est ce que tente de chiffrer le calcul du taux de dépendance. Plus il est élevé et plus il y a des personnes dites dépendantes vis-à-vis du reste de la population. Il est vrai que ce taux passera de 0,66 en 1981 à 0,86 en 2031. Mais il est aussi vrai que ce taux était supérieur à 1 en 1961!

Que faut-il en comprendre? Et bien l’évolution du taux de dépendance au Québec depuis la Révolution tranquille nous enseigne qu’il y avait une plus grande « population dépendante » au début des années 60 justement parce qu’à ce moment les baby-boomers étaient des enfants turbulents qui couraient partout et qu’il fallait protéger d’eux-mêmes… Plus sérieusement, il a fallu ajuster notre système pour recevoir tous ces jeunes notamment construire des écoles, embaucher des professeur.e.s, etc.

Notre publication d’hier apporte plusieurs autres nuances notamment les projections revues à la hausse par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) sur la croissance démographique. Ce changement s’explique en grande partie, pour ce qui est de la population active, par le nombre d’immigrant.e.s qui viennent s’installer au Québec.

Notre note aborde aussi les inégalités chez les personnes âgées. Plusieurs d’entre elles sont promises à la misère, mais pris globalement, les baby-boomers correspondent à une cohorte dont la santé financière est inédite.

… et dont la santé physique est aussi meilleure. C’est pourquoi une section de la note montre aussi comment le vieillissement n’est pas déterminant lorsqu’on cherche à déterminer si les dépenses de santé seront soutenables ou non dans les prochaines décennies.

Mario Dumont n’est pas revenu sur tous ces arguments lorsqu’il a répliqué à notre publication plus tôt aujourd’hui. Il s’est borné à brandir une fois de plus l’épouvantail du vieillissement. Et peut-être parce que pris tout seul il ne faisait plus assez peur, il y a ajouté l’épouvantail de la dette, que l’IRIS n’a pas cessé de déplumer (en particulier dans cet « État de la dette du Québec 2014 »).

Il est par ailleurs très dommage que Dumont écrive que notre note d’hier conclut qu’il faille protéger le statu quo. Au contraire, si le vieillissement n’est pas la catastrophe que certains annoncent et qu’il est encore moins un motif pour élargir la place du secteur privé, il rend nécessaire un ajustement collectif aux besoins d’une population vieillissante. C’est ce que nous écrivons dans la dernière section de notre publication d’hier.

Comment faire? D’abord en évitant les gaspillages actuels que constitue l’argent dilapidé pour des nouveaux médicaments dispendieux qui n’apportent rien de neuf. Des médicaments dits de niches extrêmement chers qui servent à peu de personne et n’augmentent guère la qualité de vie des malades, et qui mènent parfois à la polymédication en vertu de laquelle on donne des médicaments pour répondre aux effets secondaires de la combinaison d’autres médicaments….!

Il faudrait aussi faire une utilisation optimale des équipements de haute technologie, ce qui n’est pas le cas actuellement. Le dépistage, lorsqu’il est exagéré, transforme des biens portants en malades, comme le répète depuis plusieurs années le docteur Fernand Turcotte qui a traduit de nombreux ouvrages sur le phénomène du surdiagnostic. Le sujet a suscité suffisamment de préoccupation pour que l’Association médicale québécoise (AMQ) s’intéresse de près à cette tendance néfaste (et bien entendu, coûteuse).

Tout ça nous permettrait d’ailleurs peut-être de ramener les médecins les plus riches, les radiologistes, sur la voie de la décence. La mixité de la pratique publique et privée dans ce domaine ne favorise personne.

Enfin, sur le thème de l’hébergement, une forme d’assurance publique et universelle pourrait s’avérer salutaire pour bien des personnes âgées qui pourraient se retrouver abandonnées à elles-mêmes. Le gérontologue Réjean Hébert avait tenté de mettre de l’avant son projet d’assurance-autonomie (qui contenait néanmoins des failles majeures) lorsqu’il était ministre, mais son gouvernement, celui de Pauline Marois, avait déjà choisi de suivre celui de Charest dans la voie de l’austérité et la proposition était passée à la trappe.

Cette austérité est l’occasion de faire avancer une vision néolibérale de l’État qui abandonne une à une ses missions sociales. Notre publication d’hier propose de renverser la tendance et au contraire d’agir dans un domaine, le sort de nos parents, de nos grands-parents et de nos arrière-grands-parents, qui déterminera ultimement le niveau d’humanité dont on fait preuve, ou pas, au Québec.

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