Le 29 novembre, les Québécoises commencent à travailler gratuitement
28 novembre 2025
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Alors qu’on craint pour l’égalité entre les femmes et les hommes en raison de l’influence grandissante des idées conservatrices, on peut dire avec certitude que l’an dernier, le Québec a fait du surplace en matière d’égalité salariale. Et les attaques du gouvernement Legault contre les syndicats, notamment avec la réforme du régime syndical proposé par le ministre du Travail Jean Boulet (le projet de loi 3), pourraient carrément nous faire reculer.
Pas de progrès depuis l’an dernier en matière d’écart salarial
La rémunération horaire moyenne des femmes a atteint 32,21$ en 2024, soit 91,0% de celle des hommes qui s’est élevée à 35,38$. Cela signifie que le 29 novembre est comme l’an dernier la date à laquelle les femmes commencent symboliquement à travailler gratuitement.
L’écart est plus grand si l’on considère la rémunération hebdomadaire moyenne, celle des femmes équivalant à 82,7% de celle des hommes. Ce résultat reflète la proportion plus grande de femmes travaillant à temps partiel.
Des inégalités persistantes en raison d’une sous-valorisation des métiers à prédominance féminine
Les disparités dans la rémunération horaire ne s’expliquent pas par des différences d’âge, de niveau de scolarité, de statut d’emploi, de durée de l’emploi ou de taille d’entreprise, car les femmes sont systématiquement sous-rémunérées par rapport aux hommes lorsqu’on tient compte de chacun de ces facteurs. Pour comprendre ces écarts, il faut plutôt s’intéresser aux emplois qu’occupent les femmes.
Dans son Rapport mondial sur les salaires 2018/19, l’Organisation internationale du travail indique que les écarts salariaux entre les hommes et les femmes s’expliquent par la persistance d’iniquités salariales pour des emplois semblables et par la sous-rémunération des emplois typiquement féminins. Le fait que les travailleuses soient surreprésentées dans les professions historiquement dévalorisées liées à l’éducation et au soin (compris au sens large) se reflète dans leur rémunération moyenne. Nous avons montré dans une étude de 2019 que ce phénomène de ségrégation professionnelle genrée du marché du travail contribuait effectivement à maintenir des écarts salariaux entre les hommes et les femmes au Québec.
La syndicalisation comme facteur contribuant à l’égalité hommes-femmes
En revanche, certains facteurs favorisent la réduction des écarts entre les hommes et les femmes, dont la syndicalisation. La rémunération horaire des employées syndiquées a atteint 95,6% de celles de leurs collègues masculins syndiqués en 2024, soit près de 5 points de pourcentage de plus que pour l’ensemble des travailleuses. À l’inverse, les femmes non syndiquées ont une rémunération horaire moyenne équivalant à 87,5% de celle des hommes non syndiqués.
Ceci s’explique en partie par la mission et les valeurs qui animent les organisations syndicales telles que la solidarité, l’égalité et la justice sociale. Encouragés par les travailleuses, les syndicats ont par exemple fait pression pour l’application de l’équité salariale dans les milieux de travail. La création de comités dédiés à la condition féminine au sein de ces organisations a aussi permis une reconnaissance plus grande des enjeux touchant les femmes. C’est grâce à leur apport que les syndicats se sont faits les relais de revendications portées par les femmes comme la création de services de garde publics ou encore les congés de maternité payés – des acquis qui profitent aujourd’hui à toutes les travailleuses, syndiquées ou pas.
La contribution du syndicalisme à l’égalité entre les femmes et les hommes se ressent ainsi au-delà de ses conséquences positives pour les travailleuses syndiquées. En participant à des mouvements sociaux en faveur de l’égalité et de la justice, les syndicats font figure de contre-pouvoirs à l’échelle de la société et ont historiquement concouru à l’avancement des droits des femmes.
Par exemple, l’austérité budgétaire imposée dans les services publics est une mesure susceptible de nuire davantage aux femmes, que ce soit en tant qu’employées de ces services ou encore, dans la sphère privée, en tant que responsables du travail domestique ou proches aidantes à qui incombent davantage de tâches lorsque ces services font défaut dans le public. En luttant contre les politiques d’austérité, le mouvement syndical cherche à protéger l’égalité de fait des femmes.
C’est pour cette raison que le projet de loi 3, Loi visant à améliorer la transparence, la gouvernance et le processus démocratique de diverses associations en milieu de travail, qui priverait les syndicats des moyens financiers de mener certaines batailles politiques, risque de nuire aux femmes. Si elle entre en vigueur, cette loi priverait les organisations syndicales d’un moyen de contester des décisions gouvernementales qui portent atteinte aux droits des femmes en dehors du monde du travail ou de militer pour l’adoption de politiques favorisant l’égalité entre hommes et femmes. En vertu de la proposition d’encadrement des cotisations syndicales contenue dans le PL3, l’organisation d’une manifestation contre les mesures d’austérité comme celle prévue à Montréal le 29 novembre deviendrait par exemple beaucoup plus compliquée.
Le Québec fait du surplace en matière d’écarts salariaux et l’offensive de la CAQ contre les syndicats ne peut que faire reculer encore davantage la lente marche des femmes vers l’égalité.