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Leçons tirées de la campagne électorale au Québec

5 octobre 2022

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7min


Après 30 jours de campagne électorale, la CAQ a été réélue avec une majorité encore plus confortable qu’en 2018. Si certains résultats ont été prévus dès le déclenchement des élections (personne n’est surpris que François Legault soit encore premier ministre), la campagne ne s’est pas déroulée sans rebondissements. Plusieurs analystes ont souligné le caractère inéquitable des résultats, avec les partis de l’opposition récoltant un nombre similaire de voix, mais pas de sièges. Cette situation, d’autant plus absurde que la CAQ avait promis que les élections de 2018 seraient les dernières sans une composante proportionnelle, a été abondamment commentée. Nous nous concentrerons donc dans ce billet sur d’autres constats susceptibles d’avoir des effets durables sur la politique québécoise qui ont émergé au fil de la campagne.

L’attrait du conservatisme

La campagne électorale a confirmé à quel point la population québécoise était réceptive aux propositions politiques conservatrices. Bien que le Parti conservateur du Québec (PCQ) – s’inscrivant davantage dans un registre « libertarien » que « conservateur » – n’ait fait élire aucun député, il a obtenu une part du vote (13 %) presque équivalente à celle des autres partis d’opposition (14-15 % chacun).

De plus, et surtout, les politiques mises de l’avant par la CAQ ont beaucoup en commun avec celles des formations politiques conservatrices du reste du Canada. Qu’il s’agisse de la place du secteur privé en santé, du désintérêt face à l’environnement, du rapport à l’immigration, de la proximité avec le monde des affaires ou de la mise en compétition des écoles, la CAQ a bien montré sa parenté idéologique avec la mouvance conservatrice.

La consolidation d’un bloc conservateur marque une évolution politique majeure au Québec. Au tournant des années 2000, cette famille politique semblait avoir disparu du paysage politique québécois, tant sur la scène fédérale que provinciale. À cette époque, le courant politique principal était le néolibéralisme, c’est-à-dire un courant prônant un réalignement de l’État sur le seul horizon du développement des marchés aux dépens des outils collectifs et redistributifs et de la solidarité sociale. Les conservateurs font eux aussi la promotion de politiques néolibérales, mais sous l’égide d’une conception idéalisée d’un tout homogène (il peut s’agir de la nation, d’un groupe ethnique, d’une religion, etc.). De fait, on en exclut tous ceux et celles qui s’écartent de cette norme.

Immigration

Est-il possible de tenir un débat raisonné sur l’immigration ? Sans doute. Malheureusement, la campagne électorale qui vient de se terminer n’aura pas offert cette occasion. La question a été monopolisée par deux formations politiques qui ont, dans le cas de la CAQ, présenté à répétition l’immigration de façon péjorative ou carrément mensongère, ou, dans le cas du PQ, exigé la réduction des seuils d’immigration en vertu de raisonnements pour le moins questionnables. Cette façon de mener les débats n’est pas sans rappeler les campagnes anti-immigration qui pullulent notamment en Europe.

Ce type de discours n’a pas empêché François Legault d’ajouter six députés à son caucus, et aura même été au cœur du discours de Paul St-Pierre Plamondon qui a été fréquemment encensé de part et d’autre pour le succès de sa campagne. Sous des apparences respectables et posées, M. Plamondon ne met pas moins de l’avant des idées sur l’immigration qui sont vaseuses et qui jouent sur la peur. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant qu’il se soit vu contraint de suspendre deux candidatures en fin de campagne en raison de leurs prises de position xénophobes. Rappelons tout de même que l’immigration figure bien bas parmi les préoccupations des Québécois·es: un sondage publié pendant la campagne révélait en effet que l’immigration se trouvait au 11e rang des 11 enjeux prioritaires des Québécois·es.

Impôt sur la richesse

Souvent pour des raisons morales, les conservateurs sont hostiles aux politiques redistributives. Les propositions de Québec solidaire (QS) visant à imposer les plus riches ont provoqué un véritable tollé durant la campagne et tous ses adversaires y ont vu une prise pour attaquer la plateforme du parti.

Pourtant, les deux mesures – un impôt sur les grandes fortunes et un impôt sur les successions – permettraient de dégager suffisamment de ressources financières pour améliorer sensiblement les services publics. Même si ce nouvel impôt sur les grandes fortunes ne vise que les 5% de la population les mieux nantis, les partis d’opposition (et plusieurs analystes) se sont succédé pour présenter la mesure comme affectant de plein fouet la classe moyenne. Il faut dire que le Québec connaît sa première période d’inflation élevée depuis près de quarante ans, ce qui rend la population encore plus sensible au discours anti-impôt.

Environnement

Malgré les nombreux rapports sur l’urgence d’agir à propos du climat, les partis politiques ont habituellement tendance à assujettir les questions environnementales au développement économique. Cette élection a permis l’émergence d’un traitement distinct des enjeux environnementaux. Tous les partis représentés à l’Assemblée nationale ont proposé un plan pour lutter contre les changements climatiques et le débat à Radio-Canada a fait une large place à cette question, sans jamais l’opposer au thème de l’économie. Bien entendu, tous les partis n’affichent pas le même sentiment d’urgence face à la crise climatique, mais on peut se réjouir de constater à quel point l’ensemble des candidat·e·s doivent désormais se commettre sérieusement sur le sujet.

Malheureusement, cette prise de conscience chemine encore bien trop lentement, en particulier au sein du  gouvernement nouvellement élu. On se rappellera longtemps de l’affirmation ahurissante du candidat caquiste Bernard Drainville sur le troisième lien (« Lâchez-moi avec les GES! ») ou de l’attitude générale du gouvernement en ce qui a trait à la Fonderie Horne en Abitibi. Dans ce contexte, il faudra compter sur la vigueur de l’opposition citoyenne pour s’assurer de ne pas perdre 4 ans dans notre réponse à l’urgence climatique.

Enjeux absents

Si l’environnement a été plus présent que jamais dans les débats, d’autres enjeux ont été moins discutés. Cela dit, cette discrétion n’est pas entièrement due aux partis politiques. Par exemple, on pourrait déplorer l’absence de débats sur la culture, le logement, les Premiers peuples, les inégalités ou l’éducation, mais ces sujets se retrouvent pourtant bel et bien dans les plateformes des partis et ont même fait l’objet de sorties de presse. Cependant, certains sujets ont éclipsé un grand nombre d’engagements dont les candidat·e·s auraient pu débattre davantage, au bénéfice de l’exercice démocratique. La culture a ainsi été réduite à la persistance de la langue française et à l’impact de l’immigration sur l’identité québécoise; l’inflation a pris le pas sur l’abordabilité et la disponibilité des logements; la journée de vérité et de réconciliation ainsi que le triste anniversaire de la mort de Joyce Echaquan ont permis de parler des Autochtones sans trop s’engager; les taxes sur les plus fortunés ont occupé toute la place dans le débat sur la répartition de la richesse; et l’éducation a été réduite à la pénurie de main-d’œuvre dans les écoles.

Le Québec de la CAQ

La campagne de François Legault a repris une stratégie que l’on observe de la part d’autres politiciens de droite, soit la non-campagne. Alors que la CAQ était le parti le plus populaire au Québec et qu’il avait des candidat·e·s dans chaque circonscription, ces derniers sont ceux qui ont refusé le plus de débats. François Legault a souvent paru lassé par la joute démocratique et exaspéré de devoir partager la scène avec des représentant·e·s des autres formations politiques. Cela est préoccupant, d’autant plus que les caquistes ont assez de sièges à l’Assemblée nationale pour gouverner sans partage.

Alors qu’on pourrait parler de cynisme ou même de résignation, le score de la CAQ pourrait aussi témoigner de l’adhésion de la population à leur projet politique. Toutefois, il faudrait se demander quel est-il? Au-delà de l’appel à la nation comme concept fédérateur (et réducteur), il semble que les décisions de François Legault tiennent plutôt de l’arbitraire. Que ce soit l’immigration, la défense du français, le troisième lien, la Fonderie Horne ou la capacité de personnes non formées à enseigner, la CAQ semble faire fi des données objectives ou même de l’avis des experts. Elle gouverne par « gros bon sens », avec peu d’égard pour la complexité de la réalité.

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1 comment

  1. Le système électoral uninominal à un tour a montré clairement à quel point il n’est pas adaptable pour protéger et enrichir la démocratie.

    Un système ou un élu ne peut occuper qu’un seul poste serait déjà un gain certain. Un député ne pourrait plus être en même temps ministre!

    Un système électoral plurinominal à un tour serait nettement plus adéquat pour le bien-être du peuple.

    Il n’en demeure pas moins que le meilleur défenseur de la démocratie est le tirage au sort.

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