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Impôt sur la fortune : c’est l’heure

4 février 2021

  • Guillaume Hébert

Il y a longtemps qu’on n’avait pas vu une politique fiscale connaître autant de succès sur la scène internationale. Le mois dernier, le média spécialisé en économie et finances Bloomberg constatait que l’impôt sur la fortune est mis de l’avant par des gouvernements et des formations politiques partout à travers le monde. Ces propositions surviennent après que les données sur la croissance des inégalités aient régulièrement fait la manchette dans les dernières années. Et de fait, à moins d’être soi-même un détenteur de grande fortune, la seule chose qu’on pourrait trouver inquiétante dans la foulée de ces débats sur l’imposition du patrimoine des plus riches, c’est le fait que certains voudraient que ces mesures ne soient que temporaires.

L’Argentine est le premier pays à avoir frappé avec une taxe sur la richesse à titre de réponse à la pandémie de COVID-19. Les 12 000 personnes de ce pays dont le patrimoine est supérieur à 2,3 M$ devront verser à la collectivité 3,5 % de leurs actifs (et 5,25 % de leurs actifs détenus à l’étranger). Ce faisant, le gouvernement argentin espère engranger l’équivalent de 3 G$US qui serviront à acheter du matériel médical, appuyer les petites et moyennes entreprises et financer des mesures sociales. La loi adoptée prévoit que cet impôt est exceptionnel et qu’il ne donnera lieu qu’à un seul prélèvement.

Oxfam a salué cette mesure et a suggéré que d’autres pays s’en inspirent pour s’attaquer à ce que l’ONG a désigné comme le « virus des inégalités » à l’occasion du dernier Forum économique de Davos. Elle proposait également un impôt sur les profits excessifs en période de pandémie qui pourrait selon elle rapporter plus de 100 G$.

Mais l’Argentine n’est pas le seul pays à mettre en place de nouveaux instruments pour imposer la fortune. Le nouveau gouvernement socialiste en Bolivie a fait de même, ciblant les fortunes de plus de 4,3 M$. Aux États-Unis, la sénatrice Elizabeth Warren, qui siège au comité des finances d’un Sénat désormais à majorité démocrate, a annoncé qu’un impôt sur les fortunes de plus de 50 M$US constituait sa priorité. Rien ne garantit bien sûr que son propre parti, proche de l’élite financière, est favorable à sa proposition.

Au Royaume-Uni, une commission a proposé un prélèvement unique de 354 G$US sous forme d’impôt sur la fortune, soit environ le tiers des recettes fiscales du dernier exercice budgétaire dans ce pays. Pour y arriver, une taxe de 1 % sur les avoirs supérieurs à l’équivalent de 870 000 $CA serait nécessaire.

Des fortunes pharaoniques

L’impôt sur la fortune n’est pas difficile à vendre à des populations qui ont vu les grandes fortunes du monde gonfler pendant qu’une pandémie s’abattait sur la planète entière. Au Canada, le Centre canadien de politiques alternatives a montré qu’en six mois seulement, soit de mars à septembre 2020, la fortune des 20 milliardaires les plus riches du Canada avait grossi de 37 milliards de dollars ! Cette tendance s’est maintenue depuis et les milliardaires canadiens auraient ajouté plusieurs dizaines de milliards supplémentaires à leur capital.

Pour sa part, Bloomberg estime que la fortune des 500 personnes les plus riches dans le monde a augmenté de près de 33 % en 2020 ! En effet, ces bonnes gens ont vu leur patrimoine gonfler de 1 800 G$ en 2020, de telle sorte que leurs avoirs cumulés frôlent maintenant 8 000 000 000 000 $, soit plus de quatre fois le PIB du Canada. À côté de ces sommes, même l’étoile argentine du soccer Lionel Messi a l’air paumée avec son contrat de 673 M$US pour quatre ans avec le Barcelona FC.

Les instruments de l’État

Tout indique que les politiques d’assouplissement quantitatif appliquées avec plus de vigueur depuis le début de la pandémie par plusieurs banques centrales participent directement à ce gonflement des grandes fortunes. En effet, en injectant des liquidités dans l’économie pour éviter un effondrement économique mondiale, elles facilitent les conditions d’accès à du financement. Une politique monétaire progressiste chercherait à plutôt canaliser cet afflux de ressources vers la transition écologique dont nous avons urgemment besoin.

Chose certaine, des politiques fiscales musclées sont nécessaires pour mettre un frein à la concentration éhontée de la richesse qui s’observe depuis une quarantaine d’années. L’été dernier, un regroupement de personnalités comprenant les économistes Thomas Piketty, Joseph Stiglitz et Gabriel Zucman ont proposé cinq mesures à mettre en œuvre afin que la justice fiscale soit au cœur de la reprise économique post-COVID. Parmi ces propositions, l’instauration d’un taux effectif d’imposition des sociétés de 25 % partout dans le monde a été présentée comme un outil capable de stopper la concurrence fiscale à l’origine de l’érosion de l’assiette fiscale des États.

Piketty et les autres ciblent donc également l’impôt des entreprises, signe que les hausses d’impôt sont de retour à l’ordre du jour. Les périodes de grands bouleversements sont souvent propices à une révision des politiques fiscales. Le même Piketty, dans son dernier ouvrage qui aborde notamment l’aspect idéologique de l’attitude des peuples vis-à-vis des inégalités de richesse, rappelait que la classe politique française faisait bloc en 1914 contre un impôt sur le revenu de… 2 % seulement. Les riches n’hésitaient pas à l’époque à qualifier un tel impôt de « confiscatoire ». Or, six ans et une Guerre mondiale plus tard, un impôt de 60 % sur les grandes fortunes était adopté. Comme quoi les mentalités ne changent pas toujours rapidement, mais parfois, elles bougent réellement.

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