Transport interurbain : ce que le Québec peut apprendre du Pérou pour sortir de son marasme
27 janvier 2025
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Le réseau de transport interurbain par autocar au Québec est en crise, l’offre de transport ayant diminué de 85% dans les 40 dernières années. Cela met en évidence l’urgence de repenser le financement et les politiques publiques pour garantir une mobilité interurbaine accessible. Le Québec pourrait pour ce faire s’inspirer du Pérou, où le réseau interurbain est dense et efficace, reliant grandes villes et petites municipalités.
Le système de transport en « combi » au Pérou offre un exemple de réseau de transport public urbain et interurbain qui se distingue par sa rapidité, sa flexibilité et son coût abordable.
Les combis, généralement des fourgonnettes ou minibus pouvant transporter entre 10 et 20 passagers, suivent des itinéraires fixes, clairement indiqués sur des panneaux ou directement peints sur les véhicules. Grâce à leur petite taille, leur faible coût opérationnel et leurs itinéraires bien définis, les combis relient efficacement les quartiers, les grandes artères et les principaux centres urbains. Elles se démarquent aussi par leur capacité à atteindre des zones souvent négligées par les autobus publics ou les trains, desservant même de petites municipalités de 1 000 à 2 000 habitants et renforçant ainsi la connectivité des régions rurales et isolées. Une particularité des combis est qu’il est possible de les héler presque n’importe où le long de leur trajet, sans qu’il y ait toujours des arrêts fixes. Pour descendre, il suffit de dire « baja » ou de mentionner sa destination.
Dans chaque municipalité, les combis terminent leur trajet dans un terminal terrestre ou sur la plaza de armas (place principale), où elles attendent 5 à 20 minutes, selon la taille de la municipalité et l’heure, pour remplir le véhicule avant de repartir. Non seulement ce mode de transport est fréquent, mais il est aussi abordable : un trajet de 30 minutes entre Ollantaytambo (3 050 habitants) et Urubamba (24 000 habitants) coûte 3 soles (57 % du salaire minimum horaire péruvien) et est offert toutes les 15-20 minutes, contre un trajet similaire entre Gaspé et Rivière-au-Renard, desservi seulement une fois par jour pour 17,30 dollars (110 % du salaire minimum horaire québécois).
Ce système contribue largement au succès des transports publics au Pérou, où 78 % des habitants les utilisent pour les trajets domicile-travail, contre seulement 14 % au Québec en 2016, soit près de cinq fois moins.
Pourquoi ce transport public est-il si développé au Pérou ? Cela s’explique en partie par la faible pénétration de l’industrie automobile, qui a permis le déploiement d’un système collectif pour répondre aux besoins de mobilité. On compte 88 véhicules pour 1 000 habitants au Pérou, contre 707 au Canada, soit 8 fois plus. Avec 8 fois moins de véhicules par 1 000 habitants, le Pérou favorise ainsi un recours 5 fois plus important aux transports publics pour les déplacements domicile-travail. Le contraste est frappant : la ruralité péruvienne dépend fortement des transports publics faute de véhicules (3 pour 1 000 habitants à Huancavelica), tandis que la ruralité québécoise manque de transports publics en raison d’une surabondance de véhicules, comme en Gaspésie (850 pour 1 000 habitants en 2017).
Le système de transport péruvien repose aussi sur une sobriété fossile : sobriété, car une grande partie de la population utilise peu d’énergie en joules pour se déplacer d’un point A à un point B, mais fossile, car il dépend tout de même de la consommation de carburants fossiles. Cette sobriété fossile n’est pas un choix de société, mais résulte des contraintes liées au stade de développement économique qui caractérise le pays andin. Le coût des automobiles et le faible pouvoir d’achat des ménages limitent l’accès à la motorisation, poussant ainsi les ménages à privilégier les transports publics abordables. Le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA) est de 55 818 $ au Canada, contre 15 068 $ au Pérou, soit près de 4 fois moins. En 2023, le Pérou a vendu 164 485 véhicules légers pour 34,35 millions d’habitants, tandis que le Canada en a vendu 1 755 741 pour 40,1 millions d’habitants. Autrement dit, avec un pouvoir d’achat par ménage près de quatre fois inférieur, les ménages péruviens achètent neuf fois moins de véhicules légers par 1 000 habitants que ceux du Canada.
Pour répondre à la crise écologique et aux problèmes sociaux actuels, le défi au Québec sera de développer un réseau de transport public inspiré du modèle péruvien, malgré l’abondance de véhicules et des revenus facilitant leur acquisition. Cela nécessite de prendre conscience de ce cercle vicieux: plus le nombre de voitures augmente, plus l’offre de transport public diminue. Il est donc impératif d’inverser cette tendance de manière démocratique et délibérée.