Gestion des déchets: les limites de l’autorégulation
18 février 2025
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En janvier 2025, le gouvernement a mis en place une grande réforme de la gestion des déchets en donnant aux entreprises la responsabilité de moderniser la collecte sélective. L’objectif est de rendre ces dernières responsables des déchets qu’elles génèrent dans l’espoir qu’elles trouvent des manières moins polluantes d’emballer leurs produits ou de disposer de ces emballages. À peine deux mois après l’implantation du nouveau système, tout indique qu’on est encore très loin d’une réelle économie circulaire.
Mais avant de regarder ce qui pose problème, il est intéressant de revenir en arrière pour comprendre ce que l’on cherchait à résoudre grâce à cette réforme. L’industrie de l’emballage, qui est relativement jeune, a pris de l’ampleur avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale et le retrait des politiques de rationnement, puis suivant l’essor de la production de plastique. À l’opposé de la culture d’épargne et de réutilisation, les entreprises privées mettaient désormais de l’avant l’idéal d’une société de consommation centrée sur la facilité. En 1955, la revue Life parle (positivement) de la vie jetable (« throwaway living ») avec une photo d’une famille enthousiaste qui lance dans les airs tous leurs emballages jetables. Plus besoin de faire la vaisselle! De laver les couches! De récupérer ses bocaux! Pour les entreprises privées, ce mode de vie ouvre la possibilité de vendre beaucoup plus puisqu’il faut continuellement remplacer ce qui est jeté et que les standards de qualité sont différents quand l’objectif n’est pas de concevoir des objets durables.
Or, si cette stratégie a pu augmenter les profits des uns et faciliter la vie des autres, elle a également eu des conséquences considérables sur l’environnement et la qualité de vie des populations. Craignant que les gouvernements les forcent à prendre la responsabilité de la quantité et de la qualité de leurs emballages, des entreprises privées comme Coca-Cola et Dixie Cup se sont regroupées pour faire des campagnes insistant sur l’importance pour les individus de bien gérer leurs déchets. Cela explique, en partie, que le problème de la gestion des déchets a principalement été conçu comme devant être géré à la maison, ou par les municipalités.
Bien que cette stratégie ait été longtemps efficace pour trier puis collecter les déchets, il s’agissait surtout de pelleter le problème vers l’avant puisque les déchets continuaient de s’accumuler, loin des yeux de la majorité de la population. Le discours sur les efforts individuels à faire pour remédier à la crise climatique, les statistiques sur la quantité de matières recyclables se rendant dans les dépotoirs et la mise au jour des conséquences de l’exportation de ces mêmes matières dans des pays du Sud global a mené à une volonté accrue de responsabiliser les producteurs. La crise des déchets ne pouvait plus tenir seulement sur les épaules des consommateurs et des consommatrices. C’est dans ce contexte qu’au Québec, la CAQ a mis en place sa réforme basée sur le concept de responsabilité élargie des producteurs (REP).
Cette réforme comprend essentiellement deux volets.
D’une part, les consignes doivent être généralisées à tous les contenants de boissons (bouteille de vin, cartons de lait ou de jus, etc.). Les entreprises privées concernées se sont vu remettre la responsabilité d’organiser et de gérer la transition à travers l’Association québécoise de récupération des contenants de boissons (AQRBC). Or, comme plusieurs d’entre elles sont historiquement contre la consigne généralisée, le processus avance à pas de tortue, dans un parcours semé d’embûches. Les locaux de Consignaction, où les contenants sont censés être retournés, tardent à ouvrir, les délais administratifs s’accumulent, le processus demeure opaque et les administrateurs de l’AQRBC gèrent le tout avec animosité. La consigne généralisée qui devait commencer en mars 2025 a donc été remise à 2027 et une enquête administrative a été déclenchée par le gouvernement.
D’autre part, tous les emballages et matériels imprimés peuvent dorénavant être recyclés (s’ils ne sont pas souillés de nourriture). Plus besoin de vérifier le code de votre contenant de plastique, peu importe où vous habitez au Québec! Ce système est également conçu et financé par les entreprises concernées, cette fois à travers l’organisme Éco Entreprises Québec (ÉEQ). Si cette façon de faire a bel et bien été mise en place tel que prévu en janvier 2025, cela ne se fait pas sans accroc. À peine un mois après la mise en œuvre de la réforme, l’organisme demande déjà au gouvernement de revoir à la baisse ses cibles de récupération et de valorisation. Il est vrai que les coûts sont beaucoup plus élevés que prévu, notamment pour les entreprises qui font de l’embouteillage et qui pensaient que leurs contenants seraient consignés plutôt que recyclés. Pour de nombreuses entreprises, les coûts annoncés en amont sont sans commune mesure avec ce qui a été facturé. On reproche à l’organisme de vouloir tout faire en même temps et de ne pas étaler les coûts sur suffisamment d’années. En abaissant les cibles, ÉEQ espère donc réduire ses coûts.
Or, la crise environnementale n’attend pas. Comment se fait-il que des années de préparation n’aient pas permis de mettre sur pied un plan réaliste? S’il est juste de mettre à contribution les entreprises responsables de l’emballage dans la stratégie de réduction des déchets, cela ne doit pas se faire aux dépens de la responsabilité du gouvernement. En effet, dans le cas de la consigne comme du recyclage, il semble que le gouvernement ait tout simplement choisi de s’en laver les mains et de laisser les entreprises se gérer elles-mêmes. Or, on ne parle pas simplement de changer la compagnie qui fera la collecte résiduelle, mais de changer des habitudes dans la consommation et la production. Cela ne peut se faire sans une concertation et une planification globale qui implique tous les acteurs de la chaîne de production. Croire que la solution passe par l’autorégulation relève au mieux de l’aveuglement volontaire, car les échecs attribuables à cette stratégie sont nombreux. Considérant l’urgence d’agir, on gagnerait à sauter cette étape coûteuse et inefficace.