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La privatisation tranquille de l’électricité ou comment échouer sa transition énergétique en 4 étapes faciles (1/2)

13 janvier 2025

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Tout électrifier (ou presque). Voilà une des principales recommandations des organisations internationales pour la lutte aux changements climatiques. Mais cela implique en même temps de décarboner toute la production électrique (37,5 % des émissions de GES à l’échelle mondiale). Or, à travers le monde, si l’installation des panneaux solaires et des éoliennes connaît une croissance importante, elle masque souvent la croissance aussi importante du charbon et du gaz « naturel » dans le secteur électrique. Encore aujourd’hui, 59 % de l’électricité produite dans le monde repose sur des carburants fossiles. Pourquoi la décarbonation du secteur électrique n’a pas lieu, ou du moins pas suffisamment vite ? Dans son livre The price is wrong (Verso, 2024), l’économiste Brett Christophers nous livre des clés pour comprendre la situation internationale, mais aussi pour analyser au Québec les dangers du projet de réforme de la loi sur l’énergie (PL69).

Pas les prix, mais les profits

Le prix de production de l’électricité provenant des panneaux solaires et des éoliennes a chuté radicalement dans les dernières décennies. Selon certaines estimations (contestables), il serait même compétitif avec le prix des centrales au charbon et au gaz. Pour les économistes orthodoxes, la transition énergétique ne pouvait se passer qu’à cette condition : when the price is right (lorsque le prix serait le bon).

En réalité, comme le rappelle l’économiste Brett Christophers, dans une économie capitaliste dominée par la propriété privée, ce n’est pas les prix qui déterminent principalement les investissements dans les énergies renouvelables, mais les perspectives de profitabilité. Pour développer un projet éolien, le promoteur privé doit principalement s’appuyer sur des dettes (à plus de 70 %) plutôt que des actions, contractées auprès d’une institution financière (banque ou fonds d’investissements). Ces institutions ne prêtent que si le projet est dit « bancable », soit remboursable, avec ses intérêts, ce qui suppose une évaluation de la profitabilité. Or, sur les marchés de l’électricité dérégulés, ce profit n’est pas au rendez-vous pour les énergies renouvelables (solaire et éolienne), du moins pas suffisamment pour les investisseurs financiers.

C’est la principale raison économique pour laquelle la décarbonation du secteur électrique est si lente : les profits y sont trop bas et surtout trop imprédictibles. Résultat : les États où les énergies renouvelables ont connu une croissance rapide sont tous des États où les subventions (directes ou indirectes) ont été massives, prédictibles et suffisantes pour garantir de hauts taux de profit, comme en Allemagne ou en Chine. Lorsque ces subventions s’effondrent et que les mécanismes du marché opèrent dans le secteur électrique, les profits ne sont pas aux rendez-vous et les investissements sont ralentis, au détriment du climat.

L’échec de la transition énergétique, c’est l’échec du néolibéralisme

Si les marchés de l’électricité sont défavorables aux énergies solaires et éoliennes, c’est parce qu’ils ont subi d’importantes transformations de type néolibéral et parce que leur fonctionnement a principalement été établi sur la base de l’opération de centrales traditionnelles (aux carburants fossiles et à l’énergie nucléaire). À la fin des années 1980, au moment même où les gouvernements et notamment le GIEC réalisaient la nécessité de sortir des carburants fossiles, l’électricité, principalement sous monopole public, a été graduellement transformée en un marché privé. Ainsi, l’électricité est de moins en moins publique à mesure que se développent les énergies solaires et éoliennes.

Ces transformations se sont opérées en quatre grandes étapes interreliées : 1) le dégroupage vertical (unbundling) des entités de production, de transport et de distribution de l’électricité; 2) la dé-monopolisation de la production électrique (introduction de la compétition); 3) la privatisation des entreprises publiques de production d’électricité; 4) et la commercialisation (marketisation), soit l’introduction de mécanismes de marché pour réguler la vente d’électricité entre les divers acteurs (générateurs, fournisseurs, revendeurs, distributeurs, etc.), qui a notamment pour effets d’attirer des spéculateurs et de créer une grande volatilité des prix.

Mises ensemble, ces transformations ont créé de toutes pièces des marchés de l’électricité dérégulés et dominés par l’investissement privé. Sur ces marchés, les fournisseurs d’énergies renouvelables ne parviennent pas à dégager suffisamment de profits, surtout pas de manière prédictible, entre autres en raison du caractère intermittent de leur production et des difficultés de stockage de l’électricité. Résultat : les investisseurs ont bien moins intérêt à développer les énergies renouvelables que des centrales thermiques (charbon, gaz).

En bref, la meilleure façon de rater la décarbonation du secteur électrique est d’en privatiser l’investissement. Au moment où il faut opérer des transformations inédites de l’économie, la privatisation se révèle encore une fois la meilleure façon de perdre encore plus le contrôle démocratique de l’orientation de nos sociétés… et du climat.

Dans un prochain billet, nous verrons en quoi le projet de loi 69 engage le Québec dans cette direction, ce qui pourrait bien faire perdre le caractère « exceptionnel » de notre réseau électrique public.

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