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Péril en la demeure

7 août 2019


La jeune militante écologiste Greta Thunberg est au centre d’une bataille idéologique entre les mouvements pro et anti-transition énergétique. Pendant que les chroniqueurs de droite en font une bouc émissaire qui serait manipulée par des adultes et dont les traits autistiques lui donneraient des airs de cyborgs (ça ne s’invente pas), la planète continue de suer à grosses gouttes. Le mois de juillet 2019 fut le mois le plus chaud de l’histoire moderne. 17 des 18 années les plus chaudes depuis la fin du 19e siècle ont eu lieu depuis l’an 2000. Le cercle arctique connaît les pires feux de forêt de son histoire. Bref, la maison est en feu et certains préfèrent critiquer celle qui tire la sonnette d’alarme plutôt que de tenter d’agir et d’identifier les pyromanes.

Le plus important de ces incendiaires est évidemment l’industrie du pétrole, dont le chiffre d’affaires annuel mondial oscille autour de 2 000 milliards de dollars par année. Ce montant correspond également à la capitalisation boursière des 10 plus grandes multinationales du secteur et à environ 2 % du PIB mondial.

Procéder à une transition énergétique rapide va certainement nécessiter de s’attaquer de front à cette industrie. Les pouvoirs publics devront légiférer rapidement pour imposer des mesures draconiennes que les forces du marché sont clairement incapables d’implanter. À un certain moment, le pétrole devra rester dans le sol, même s’il est en demande et moins cher que des alternatives plus vertes. Autrement dit, un jour ou l’autre, du capital devra être détruit et des actionnaires devront essuyer des pertes.

Si on se rapporte à notre cas canadien, il est aberrant que notre gouvernement ait acheté un projet de pipeline au prix demandé dans le but de rassurer l’industrie : l’absence d’acceptabilité sociale n’allait pas nuire au projet à long terme. Cette décision doit nous amener à réfléchir au pouvoir politique immense dont jouit l’industrie pétrolière au Canada.

Alors que les conservateurs étaient au pouvoir, les mesures de stimulation de cette industrie, en augmentant la valeur de notre dollar, ont fait mal au reste de l’économie canadienne. En Alberta, où se concentre la grande majorité de la ressource et des emplois, le NPD qui était au pouvoir n’a eu d’autre choix que de se ranger derrière l’industrie. Même le parti Vert de Mme May s’est mis à promouvoir le pétrole canadien (i.e. non conventionnel, issu des sables bitumineux) face au pétrole étranger. En réalité, il est impossible pour un parti politique d’espérer remporter une élection dans l’ouest du pays avec un programme de réduction du poids de cette industrie dans notre économie.

Cette situation s’explique facilement quand on regarde les données des comptes économiques de Statistique Canada sur cette industrie. À l’échelle canadienne, au cours des vingt dernières années, l’industrie du pétrole et du gaz naturel (extraction et activités connexes) n’a représenté qu’entre 1 % et 2 % des emplois au pays. Toutefois, cette industrie paye très bien son personnel en comparaison au reste de l’économie. En effet, le salaire médian dans cette industrie était de 130 500 $ en 2015 et le salaire moyen de 152 000 $.[1] La somme des revenus gagnés par ses employés a donc représenté entre 2 % et 4,5 % sur la même période, pour se situer à 3 % aujourd’hui.

C’est quand on observe la part de l’industrie du pétrole sur l’ensemble de notre économie qu’on réalise à quel point celle-ci est devenue profitable, à quel point elle contribue à gonfler les chiffres sur la croissance. Avec moins de 2 % des emplois et environ 3 % des revenus des particuliers, cette industrie génère 9 % du PIB national.

Graphique 1 : Part du PIB, des emplois et des revenus d’emploi de l’industrie du pétrole et du gaz sur l’ensemble de l’économie canadienne, 1997-2018

 

Source : Statistique Canada, Tableaux 36-10-0489-01 et 36-10-0402-01

Si on se penche sur la situation en Alberta plus spécifiquement, il devient évident que de s’opposer à l’industrie du pétrole dans cette province est un suicide politique. Malgré la chute du prix du pétrole depuis 2015, ce secteur emploie toujours 10 % de la population, fournit 17 % des revenus des particuliers et compte pour 30 % du PIB. Pour affronter ce genre de pouvoir économique et arriver à mettre la clé sous la porte de cette industrie, nos gouvernements devront être courageux et inventifs. L’achat du pipeline Trans Mountain et la maigre taxe sur le carbone donnent l’impression de tenter d’éteindre le feu de notre maison en soufflant dessus.

Graphique 2 : Part du PIB, des emplois et des revenus d’emploi de l’industrie du pétrole et du gaz sur l’ensemble de l’économie de l’Alberta, 1997-2018

Source : Statistique Canada, Tableau 36-10-0402-01


[1] Source: Statistique Canada – Recensement du Canada de 2016. Numéro 98-400-X2016360 au catalogue.

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