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Le gouvernement doit coordonner l’arrêt de l’exploitation du pétrole des sables bitumineux

23 avril 2020

  • Bertrand Schepper

Avec la chute des prix du pétrole, des actions des entreprises pétrolières canadiennes et la nécessité d’opérer une transition énergétique, le gouvernement canadien ne peut se contenter de sortir du trou l’industrie pétrolière. Il doit prendre les devants et favoriser la mise en place d’une société d’État chargée entre autres de planifier une sortie réfléchie du pétrole des sables bitumineux.

2020 est une année difficile pour l’industrie du pétrole des sables bitumineux. Outre un déclin de la demande mondiale de pétrole en début d’année, une diminution des investissements dans l’industrie canadienne et des tensions entre l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et la Russie qui ont mené à une baisse majeure des prix du baril de pétrole, voilà que la crise sanitaire et économique causée par la pandémie de COVID-19 risque de tout simplement la rendre complètement moribonde.

À titre indicatif, lundi, le prix de référence à New York d’un baril pour la livraison nord-américaine au mois de mai (West Texas Intermediate ou WTI) était de -37,63 $. Le baril de WTI n’était jamais tombé en dessous de 10 dollars depuis la création de ce contrat en 1983.

La situation pourrait perdurer pour le Canada, alors que certaines projections prévoient une demande de 35 millions de barils par jour, soit bien en deçà du niveau de 100 millions de barils par jour qu’elle avait dépassé en 2019. Pour ces mêmes analystes, la reprise de l’industrie se fera très lentement et il est peu probable de voir un retour de la demande mondiale équivalent à 2019 cette année.

Pas de retour à la normale pour le pétrole des sables bitumineux

Cette situation exacerbe une réalité qui prévalait avant même la crise : le pétrole des sables bitumineux n’est tout simplement plus rentable sur les marchés internationaux. Ce pétrole est plus cher à extraire, plus coûteux à raffiner et plus dispendieux à transporter que le pétrole conventionnel. Ce type de pétrole doit se vendre à un prix d’au moins 30 $ US uniquement pour débuter la production, et il est difficilement rentable en bas de 65 $ US le baril. Ajoutons que les émissions de GES engendrées de l’extraction jusqu’au raffinage sont jusqu’à 70 % plus importantes pour le pétrole des sables bitumineux que pour le pétrole conventionnel (p.27).

Puisque les gros producteurs de pétrole conventionnel ont suffisamment de réserves pour maintenir les prix bas pendant quelques mois, tout porte à croire que l’offre de pétrole restera largement supérieure à la demande, qui est minée par la crise planétaire en cours.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir l’industrie pétrolière et le premier ministre de l’Alberta demander une aide supplémentaire pour soutenir l’industrie. Rappelons que ce secteur emploie toujours 10 % de la population de cette province, fournit 17 % des revenus des particuliers et compte pour 30 % du PIB.

Les sables bitumineux systématiquement financés

Mais devrait-on sauver une industrie qui a déjà bénéficié maintes fois des largesses de l’État ? Un rapport du Vérificateur général estime ces investissements et avantages fiscaux à plus de 4 G$ pour la période allant de 2006-2007 à 2011-2012, sans compter les exemptions de taxes pour frais d’exploration et d’aménagement. Entre 2015 et 2019, soit depuis l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau, cette industrie a bénéficié d’une aide fédérale d’environ 1,2 G$ par année. De plus, alors que le prix du pétrole est redescendu sous la barre des 30 $ US en 2019, le gouvernement fédéral a consenti à un autre plan d’aide de 1,6 G$. Ajoutons à cela l’achat du pipeline Trans Mountain pour la modique somme de 4,5 G$, un projet qui nécessitera un montant supplémentaire estimé à 11 G$ pour être complété.

Sans même compter les subventions, l’aide fiscale et la baisse des redevances perçues par l’Alberta, il devient absurde de songer à systématiquement  sauver cette industrie de la faillite avec l’argent des contribuables dès que le prix du baril descend, surtout que les gros joueurs de l’industrie ont accumulé d’importants profits dans les dernières années. À titre indicatif, uniquement pour 2017, les profits des 5 plus grandes pétrolières albertaines avoisinaient 46,6 G$.

Dans ces conditions, utiliser des fonds publics pour aider les grandes entreprises de ce secteur incapable de rester concurrentielles sans l’apport du gouvernement semble indécent.

Une société d’État pour gérer la transition énergétique

Il serait cependant tout aussi indécent pour un gouvernement de laisser des milliers de travailleur et de travailleuses sans emploi en Alberta. Pourquoi alors ne pas préparer un plan de transition énergétique et amorcer une nationalisation des entreprises qui exploitent du pétrole des sables bitumineux ? Une société d’État pourrait racheter les entreprises qui réclament une aide financière ou qui sont sur le bord de la faillite. L’État devrait de toute façon probablement gérer les actifs et sols contaminés qu’elles légueront.

Soyons clairs, si l’entreprise publique ne fait que soutenir l’inévitable déclin du pétrole des sables bitumineux, celle-ci ne sera pas rentable à terme. Par contre, si elle planifie ses opérations, elle peut rendre possible une lente, mais certaine diminution de la production de pétrole des sables bitumineux, permettre une accélération de la diversification énergétique au Canada et favoriser une transition juste et ordonnée pour les travailleurs et les travailleuses du secteur. Cette entreprise publique aurait le mérite de devoir rendre des comptes, de réutiliser les profits lorsqu’il y en aura pour le bien commun et de gérer correctement les déchets polluants.

Ce sera toujours mieux que de subventionner éternellement à coup de milliards de dollars une industrie appelée à disparaître en espérant qu’elle change d’elle-même.

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