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Le billet vert : le miroir aux alouettes du capitalisme vert

25 mars 2021

  • Anne Plourde

La crise climatique révèle plus clairement que jamais l’incompatibilité fondamentale qui existe entre le capitalisme et la préservation de la santé et de la vie. Confrontées aux conséquences mortifères d’un système dont elles profitent, les élites économiques et politiques de ce monde tentent désespérément de résoudre l’insolvable par le biais d’un oxymore : le capitalisme vert.

Depuis son invention, ce miroir aux alouettes se présente à nous sous de multiples formes, suscitant l’espoir irrationnel d’éviter le mur du désastre environnemental par des moyens qui consistent essentiellement à continuer de foncer à toute vitesse dans la même direction (à bord d’une grosse cylindrée, évidemment). Les promesses de l’intelligence artificielle et de la prétendue « dématérialisation » de l’économie ne sont qu’une autre manifestation de cette illusion.

Après le « développement durable », la « croissance soutenable » et la « finance écoresponsable », qui font miroiter aux plus privilégié·e·s d’entre nous la possibilité de devenir riche en sauvant la planète, c’est sous le visage des solutions technologiques aux problèmes environnementaux que se présente le capitalisme vert. Au cœur de ce discours se trouve l’idée optimiste selon laquelle les avancées technoscientifiques nous permettront d’éviter ou de réparer les multiples désastres écologiques générés par la surexploitation capitaliste de la nature, dont la catastrophe climatique imminente, mais aussi les atteintes irrémédiables à la biodiversité.

Certain·e·s sont prêt·e·s à aller très loin dans cette voie pour éviter toute remise en question de l’impératif de croissance infinie inhérent au fonctionnement de l’économie capitaliste. Dans La maison brûle, Naomi Klein dénonce les projets délirants développés par certain·e·s tenant·e·s de la géo-ingénierie qui proposent, dans un scénario dystopique digne du film La Matrice, de projeter dans la stratosphère de grandes quantités d’aérosols à base de soufre afin de bloquer une partie des rayons du soleil pour minimiser le réchauffement du climat.

Sans aller vers des « solutions » aussi extrêmes, d’autres ont placé un temps leurs espoirs dans la « dématérialisation » de l’économie permise par la révolution numérique. Après tout, une économie « immatérielle » n’est-elle pas forcément moins polluante? Plus récemment, ce sont les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle (IA), susceptible de fournir des moyens inédits pour optimiser les processus de production et minimiser leur recours aux énergies fossiles, qui stimulent les optimistes. Le (futur ex-)PDG d’Element AI, entreprise vendue récemment à une société américaine, déclarait ainsi en 2018 que « l’IA est […] l’un des seuls moyens pour […] répondre à la demande mondiale des différents marchés et des différentes industries d’abaisser leur empreinte carbone ».

La plupart des promesses du capitalisme vert ont jusqu’à maintenant donné des résultats pour le moins décevants. Plus de 30 ans de beaux discours et d’engagements sur le développement durable n’empêchent pas le Québec (comme le Canada et plusieurs autres pays) d’être très loin d’atteindre des cibles de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) conformes aux recommandations scientifiques. Quant à la fiscalité écoresponsable, un rapport publié cette semaine conclut que, malgré les intentions vertueuses des plus grandes banques commerciales du monde de réduire leurs investissements dans les industries fossiles, ceux-ci ont, dans les faits, augmenté de manière importante au cours des cinq dernières années, pour atteindre 3 800 milliards de dollars états-uniens.

Il est évidemment trop tôt pour affirmer hors de tout doute que les promesses de l’IA connaîtront le même sort. Néanmoins, on sait déjà que l’empreinte écologique de la prétendue économie dématérialisée est quant à elle loin d’être virtuelle : les métaux rares et les quantités importantes d’énergie que nécessitent la fabrication des appareils informatiques s’ajoutent aux doses massives d’électricité consommées par les centres de données qui se multiplient rapidement aux quatre coins de la planète. Ainsi, on apprenait la semaine dernière qu’à lui seul, le bitcoin consomme presque autant d’électricité que la Suède, et davantage que l’Ukraine. On sait également que dans son ensemble, le secteur numérique est responsable de 4% des émissions de GES dans le monde, et on s’attend à ce que cette proportion double d’ici 2025 ce qui, à l’échelle mondiale, ferait de ce secteur une source d’émission de GES comparable aux voitures.

Il ne s’agit pas ici de défendre une position technophobe qui conçoit le progrès technique comme étant intrinsèquement nuisible à la préservation de la nature et au bien-être de l’humanité. Le problème est plutôt que ces avancées technoscientifiques sont entre les mains d’entreprises multinationales et multimilliardaires dont l’intérêt premier se trouve dans la préservation d’un système socioéconomique lui-même profondément toxique. Que ces entreprises participent avec enthousiasme à nourrir l’illusion du capitalisme vert n’a donc rien de surprenant. Mais pour la plupart d’entre nous, il demeure crucial de ne pas se laisser leurrer par ce miroir aux alouettes.

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