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L’accord de Paris : succès ou échec?

17 décembre 2015

  • RG
    Renaud Gignac

Depuis la clôture de la 21e Conférence des Parties sur les changements climatiques (COP21), il y a maintenant près d’une semaine, les commentateurs et commentatrices d’ici et d’ailleurs y sont allé.e.s de multiples qualificatifs pour décrire l’accord de Paris : « accord historique », « prouesse diplomatique »… Dans les milieux progressistes, l’accord a été généralement bien accueilli, bien que plusieurs voix aient souligné son insuffisance et son caractère non contraignant. Doit-on parler d’un succès ou d’un échec?

Les forces de l’accord

Pour les personnes qui ont suivi de près l’évolution tortueuse des négociations internationales sur le climat depuis de nombreuses années, incluant l’échec cuisant de Copenhague en 2009, l’accord de Paris représente un progrès inespéré et un succès clair. Voici en rafale pourquoi :

  • Des cibles de réchauffement ambitieuses. L’accord exprime la volonté des parties de contenir le réchauffement « nettement en dessous de 2 °C » et, dans la mesure du possible, de le limiter à 1,5 °C ;
  • Une volonté de partager équitablement les efforts de réduction. L’accord reconnaît le principe de « responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux contextes nationaux différents » ;
  • Un engagement d’au moins 100 milliards $ par année envers les pays en développement. L’accord fixe un objectif annuel d’aide aux pays en développement d’au moins 100 milliards par an entre 2020 et 2025, ce qui correspond au consensus international ;
  • Un mécanisme de révision périodique obligatoire. Les objectifs des pays devront être mis à jour – et potentiellement améliorés – tous les cinq ans. Cet aspect de l’accord, l’un des seuls à être juridiquement contraignant, est une clé importante pour espérer combler l’écart actuel entre les objectifs de réduction nationaux et les impératifs du climat ;
  • Des stratégies à long terme. L’accord invite les pays à préparer des stratégies de réduction de GES à long terme, soit à l’horizon 2050 plutôt que seulement 2030 ;
  • L’unanimité de la communauté internationale. Fait marquant de la diplomatie internationale, les 195 pays présents à la COP21 ont adopté le texte final sans aucune opposition.

…et ses faiblesses

Maintenant, si l’on se place du strict point de vue de la science, c’est-à-dire de ce qui est impérativement nécessaire pour parvenir à stabiliser le climat, l’accord arrive quelque peu à court. Voici ses principales faiblesses :

·       Quelles réductions pour quels pays? Contrairement au protocole de Kyoto et à l’accord de Copenhague, l’accord de Paris ne contient pas d’objectifs de réduction chiffrés pays par pays ;

·       Réduire les émissions à partir de quand? Le langage de l’accord reste imprécis quant au moment où les émissions mondiales devraient cesser d’augmenter. On se contente d’espérer un plafonnement « dans les meilleurs délais » ;

·       Qui fournira l’aide aux pays en développement? L’accord ne précise pas qui payera la facture des 100 milliards $ promis aux pays en développement à compter de 2020 ;

·       Les cibles de réduction et l’aide aux pays en développement ne sont pas contraignantes. Comme l’accord ne présente pas de cibles de réduction pays par pays, forcément elles ne peuvent être contraignantes, tout comme l’engagement d’aide aux pays en développement ;

·       D’importants secteurs ignorés. Le transport aérien et le transport maritime, qui représentent environ 8 % des émissions mondiales, ne sont pas visés directement par l’accord, ce qui est une lacune ;

·       Exit l’objectif de zéro émission. Pour espérer limiter le réchauffement à 2 °C, les émissions mondiales dites « nettes » (les émissions desquelles on soustrait l’effet des puits de carbone comme le reboisement ou les hypothétiques technologies de captation et capture du carbone) doivent atteindre zéro quelque part vers 2075. Or cet objectif a été évacué de la version finale de l’accord ;

·       Pas d’admission de « responsabilité » des pays développés envers les pays en développement. Craignant que cela puisse engendrer leur responsabilité juridique, des pays comme les États-Unis et le Canada se sont opposés avec succès à l’inclusion des concepts de responsabilité et d’indemnisation ;

·       Pas de remise en question du modèle économique dominant. L’accord fait la promotion d’une innovation « au service de la croissance économique » sans apporter de nuance et sans remettre en question l’impact environnemental du commerce international. Ainsi il ne s’attaque pas à la source du problème.

Alors, succès ou échec?

Dans l’absolu, qualifier un événement de succès ou d’échec dépend des attentes que l’on a pu se forger au départ. Si l’on s’attendait à ce que la COP21 accouche non seulement de cibles ambitieuses de réchauffement, mais aussi d’objectifs de réduction nationaux équitables et contraignants, d’engagements fermes de versements monétaires des pays développés aux pays en développement, d’une Cour internationale du climat pour punir les contrevenants et pourquoi pas, d’une refonte des institutions économiques internationales pour assainir le commerce international, bien sûr l’accord de Paris est un échec. En d’autres mots, si l’on prie pour que la poule ponde des œufs d’or, n’importe quel œuf sera une amère déception.

Il est vrai que la crise climatique est à nos portes et que le temps presse pour que survienne une transformation radicale de notre économie. Toutefois, s’il faut déplorer l’inaction des gouvernements, il faut dire que celle-ci remonte à beaucoup plus loin que le seul processus ayant mené à l’accord de Paris. Au plan scientifique, le lien entre nos émissions de GES et le réchauffement du climat est bien établi depuis les années 90…

Compte tenu des nombreux jalons qu’il pose, l’accord de Paris a le mérite de remettre au centre du débat public la question climatique, du moins pour un moment. Bref, un succès malgré tout. La suite dépendra des groupes sociaux, des scientifiques et de toutes les personnes qui s’évertueront à talonner les responsables politiques, le nouvel accord en main.

Post scriptum

Il conviendrait peut-être d’ajouter que les victoires sont toujours durement acquises pour celles et ceux qui défendent le climat. À la présente époque, prendre un moment pour reconnaître un succès pour ce qu’il est, même lorsqu’il n’est pas immaculé de perfection, ne peut certainement pas nuire. Après tout, la route est encore longue.

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