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Il n’y a pas de pénurie de terres agricoles au Québec, mais…

27 janvier 2022

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5min

  • ML
    Maxime Laplante

Chacun a sans doute entendu parler de la hausse spectaculaire de la valeur des terres agricoles au courant des dernières années. Le banc des accusés a accueilli les avides investisseurs chinois ainsi que la pénurie de terres d’un Québec nordique. La vérité se trouve sans doute ailleurs.

Concernant la prétendue « invasion chinoise », un rapport du groupe de recherche CIRANO, rattaché à l’Université Laval, conclut clairement que le phénomène des investisseurs venus de Chine est extrêmement marginal – tout comme l’est d’ailleurs celui des rachats de terres par des groupes financiers comme Pangea. Le rapport révèle que les principaux spéculateurs sont les fermiers eux-mêmes, achetant des terres, certes pour les cultiver, mais également dans le but de les revendre plus cher par la suite.

Quant à une présumée pénurie de terres, il faut nuancer. Officiellement, le Québec dispose d’une superficie de deux millions d’hectares agricoles. Le territoire total de la province dépassant 1,5 million de km carrés, soit 150 millions d’hectares, on comprend que le pourcentage utile à des fins agricoles est faible, soit environ 1%. En comparaison, 54% du territoire de la France peut être utilisé pour l’agriculture, ce qui correspond à une superficie de 29 millions d’hectares.

Toutefois, le Québec dispose de beaucoup plus de surface utilisable que les 2 millions d’hectares évoqués plus haut. Jusque dans les années 1950, on recensait plus de 7 millions d’hectares occupés par des fermes et des relevés statistiques évoquent même jusqu’à 10 millions d’hectares. On peut certes contester la précision de ces données, mais on peut quand même retenir l’ordre de grandeur. Qu’on pense simplement aux 12 000 fermes qui ont été rayées du paysage, uniquement en Gaspésie, pour faire largement la place aux concessions forestières. En clair, le sol demeure présent.

En ce qui concerne l’augmentation de la valeur des terres, le tableau suivant présente les variations entre 2015 et 2019. On notera d’abord la différence entre la valeur des terres en culture et celle des terres agricoles. On entend par terre en culture les superficies cultivées sans compter les boisés ou les pâturages.

Évidemment, il y a de fortes différences de prix d'une région à l'autre, comme on peut le voir dans l’illustration ci-bas. Alors que certaines terres se vendent à près de 40 000$ l'hectare en Montérégie, il est plutôt question de 1500$ l'hectare en région périphérique. On peut certes tenir compte de différences d'ordre climatique, mais ce n'est pas l'élément essentiel. Ce n'est pas un hasard si les régions de la Montérégie et de Lanaudière sont plus coûteuses, étant donné qu'on y produit principalement les denrées qui ont été le plus subventionnées depuis des décennies, comme le porc, le maïs, le soya et les céréales. Le principal programme concerné est l'ASRA (assurance stabilisation des revenus agricoles) et il s’agit en fait plutôt d’un programme de subventions dont les revenus proviennent principalement de l'État.

Valeur régionale moyenne des terres agricoles transigées au Québec en 2019

Source: La Financière agricole du Québec.

Ces productions s'avèrent payantes en raison des subsides et créent donc une pression sur la valeur des terres. Cette situation a de lourdes répercussions sur les municipalités concernées. Celles-ci basent essentiellement leurs revenus sur la valeur foncière. Si la valeur foncière explose, le compte de taxes va nécessairement suivre la même progression. Pour l'instant, ces villages ruraux et les agriculteurs s'en tirent parce que l’État, encore une fois, subventionne le remboursement des taxes foncières des fermes, à hauteur de 70% à 85%. Il n'en demeure pas moins qu'une lourde facture est refilée au contribuable – de l’ordre de 160 millions en 2021. En somme, l'État a subventionné la spécialisation et la monoculture dans ces régions et s'estime de nouveau justifié de subventionner la hausse de valeur des terres qui en résulte.

Il n'y a donc pas de pénurie de terrains propices à l'agriculture au Québec, même si on assiste à une surenchère dans certains territoires propices au maïs et au soya.

Comment freiner cette hausse des prix?

Deux avenues se présentent à mon avis. La première consiste à diminuer, voire abolir, les subventions au volume de production pour certaines denrées. Il faut revoir en profondeur les programmes de soutien agricole pour éviter ce genre de situation. La seconde est de faire en sorte qu'il soit possible de générer un revenu intéressant en diversifiant les fermes. Au lieu de simplement livrer du maïs, du soya, des céréales ou du porc au prix du gros, on doit miser sur la plus-value à la ferme. Au lieu de devoir augmenter la superficie de la ferme, il faut pouvoir développer d'autres sources de revenus en autorisant des activités qui sont, dans l’état actuel des choses, lourdement entravées en zone verte. Plusieurs pistes sont envisageables: abattage et transformation locale ou à la ferme, agrotourisme, transformation de produits laitiers et carnés à la ferme, produits du terroir, etc. Si le Québec veut revitaliser les régions rurales et ses villages, il faut rapidement donner la possibilité à la relève d'acquérir une parcelle de terre de façon abordable. Il faudrait aussi revoir la structuration de l’ensemble de la chaîne agroalimentaire, qui favorise dans l’état actuel des choses la concentration de la production entre les mains d’une poignée de joueurs. Sans ces changements, la course à la concentration des fermes se poursuivra.

Maxime Laplante est agronome, producteur biologique et co-fondateur de l'Union paysanne.

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3 comments

  1. Bonjour,

    Il n’y a peut-être pas de pénurie de terre agricole au Québec mais, la qualité des terres diffère beaucoup d’une région à l’autre. C’est un point qui n’est jamais pris en compte pour évaluer la richesse du territoire agricole, la superficie des terres ne garantie pas la qualité, quantité de production. Les terres les plus riches sont celles de la vallée du Saint-Laurent et malheureusement c’est celles où l’on autorise le plus le dézonage pour la construction résidentielle.

  2. Il est étonnant que cet article ne fasse aucun lien entre les fermes laitières et le prix de le terre. En tout cas, le marché des quotas qui fait plus que doubler la valeur de ce type de ferme génère un sérieux problème d’endettement. Le marché des quotas contribue à hausser le prix des produits laitiers ce qui fait que ce sont les consommateurs qui subventionnent ces fermes au lieu de l’État. Les gagnants sont les banques d’autant plus que les prêts sont garantis. Il me semble qu’au bout de la ligne il y a incitation pour le fermier prospère à payer un prix pour la terre à la hauteur nécessaire pour valoriser son quota acheté cher sur ce marché.

  3. Le concept d’acheter une terre semble créer bien des soucis.
    Pourquoi ne pas déclarer que toutes les ressources naturelles appartiennent à l’état?
    Le sol, les arbres, les rivières, les lacs, l’eau, le sous-sol et les travailleurs sont tous des ressources naturelles pour lesquelles un droit d’exploitation devrait être payé à l’état.

    Encore faut-il que l’état soit au service exclusif du peuple!

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