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Gaz de schiste : d’autres alternatives de développement économique peuvent être envisagées

9 janvier 2014


Il y a quelques semaines, le premier ministre du Nouveau-Brunswick David Alward du Parti progressiste-conservateur a annoncé qu’il espérait que la compagnie SWN Resources pourrait procéder à l’exploration du gaz de schiste dans la province, et ce malgré les protestations persistantes des communautés locales et des Premières Nations. Tel que rapporté dans le Globe and Mail le 21 octobre dernier, le premier ministre a argué que la province ne pouvait pas se permettre de faire autrement, car elle avait besoin des emplois et de la prospérité que lui apporterait l’industrie du gaz de schiste.

Il est certain que, à court terme au moins, l’extraction du gaz de schiste apporterait des emplois et des revenus. Toutefois, il n’est pas du tout évident que cet apport serait substantiel à long terme pour la province, ni que son impact sur l’environnement et la santé ne soit pas à craindre. Pourquoi le gouvernement du Nouveau-Brunswick veut-il choisir l’industrie du gaz de schiste? Il existe d’autres activités que la province peut développer et dont les bénéfices pour la société seraient plus évidents et l’impact sur l’environnement moindre.

Concernant l’apport d’emplois, si l’on se fie à l’expérience des États-Unis, la réalité de l’industrie du gaz de schiste est beaucoup plus décevante que celle prétendue par les industries. En effet, un rapport publié récemment par le Multi-State Shale Research Collaborative (regroupement d’organisations indépendantes de recherche comprenant un comité d’experts universitaires) montre que dans les bassins de Marcellus et Utica, qui contiendraient l’une des plus importantes quantités de gaz de schiste au monde, seulement 3,7 emplois par puits ont été créés en moyenne entre 2005 et 2012, soit presque dix fois moins que prédit par les études financées par l’industrie.

Quant aux revenus économiques, ils ont aussi été largement exagérés par les rapports publiés. En 2011, l’économiste Kinnaman écrivait dans le journal scientifique Ecological Economics (disponible ici avec abonnement) que toutes les études de bénéfices économiques publiées jusqu’alors (et toutes financées par l’industrie et non évaluées par des chercheur.e.s indépendants) se basaient sur des prémisses non justifiées et probablement fausses. De plus, ces recherches faisaient usage de l’analyse dite entrée-sortie, qui vise seulement à calculer l’apport de revenus et d’emplois dans le court terme sans prendre en compte l’impact sur les autres activités économiques de la région et du pays, ni sur l’environnement. Une analyse plus appropriée pour connaître l’impact sur l’économie de la province dans son ensemble et à long terme serait une analyse coûts-bénéfices, qui compare les bénéfices de l’activité à ses coûts, incluant les impacts environnementaux et sur la santé. Cependant, à ma connaissance, aucune telle étude n’a encore été produite.

De plus, même si une analyse coûts-bénéfices était réalisée, elle pourrait difficilement inclure un calcul du coût de l’impact sur l’environnement et la santé puisqu’on ne connait pas encore vraiment celui-ci. En effet, dans une recherche d’articles académiques sur Google Scholar, j’ai pu trouver des dizaines d’études sur les impacts environnementaux et sur la santé, et aucune d’entre elles n’affirmait que les risques et impacts observés ou possibles des méthodes d’extraction actuelles (explosion des oléoducs, émissions toxiques dans l’air, contamination de l’eau par du méthane et des composés carcinogènes, etc.) soient déjà clairement connus. Au contraire, toutes concluaient que l’impact sur l’environnement et la santé doit être davantage enquêté, l’une d’elles disant même que, sans des études plus poussées, « la vague d’extraction du gaz qui inonde la planète restera une expérience sur la santé non contrôlée à échelle gigantesque». Contrairement à ce qu’a énoncé le ministre de l’Énergie du Nouveau-Brunswick, nous ne connaissons pas la réalité en ce qui concerne l’extraction du gaz de schiste, et c’est pourquoi la France a préféré l’empêcher en interdisant la fracturation hydraulique. Et puis, mieux connaître les impacts des techniques actuelles d’extraction n’enlèverait rien au fait qu’il s’agit encore là, au final, de relâcher des gaz à effet de serre dans l’atmosphère ; il est donc certain que l’impact environnemental ne sera pas négligeable.

Mais alors, compte tenu de toutes ces incertitudes et questionnements, comment le premier ministre du Nouveau-Brunswick peut-il affirmer que la province ne peut pas se permettre de ne pas développer le gaz de schiste? N’y a-t-il vraiment aucune autre voie de développement possible pour le Nouveau-Brunswick, dont les bénéfices sur le long terme soient plus évidents? Il est difficile de l’imaginer puisqu’une courte réflexion suggère plusieurs alternatives plus prometteuses. En effet, il semble que le développement des énergies renouvelables générerait plus d’emplois que l’industrie des énergies fossiles, selon un rapport publié en 2009 par l’Institut de recherche en économie politique de l’Université du Massachusetts à Amherst. On peut aussi penser au développement d’une agriculture durable, plutôt que de dépendre d’engrais et pesticides chimiques avec leur lourd impact environnemental, et d’importations consommatrices de pétrole (les importations de nourriture au Canada ont augmenté de 50 % depuis l’an 2000). Ou bien encore au développement d’un système public de transport en commun qui fait encore défaut au Nouveau-Brunswick.

Clairement, les idées ne manquent pas s’il s’agit de créer des emplois qui vont assurer le bien-être de la province à long terme. On peut donc douter que le bien-être et les emplois constituent la préoccupation principale du premier ministre du Nouveau-Brunswick, et non pas plutôt le statut financier des industries pétrolières. Le Nouveau-Brunswick ne peut peut-être pas se permettre de renoncer au développement économique, mais le développement économique ne doit pas forcément se faire en continuant d’accroître la consommation des ressources naturelles et la production de déchets. Il peut aussi se faire en visant plutôt l’amélioration de la qualité de vie.

L’auteure est étudiante au doctorat en économie écologique à l’Université McGill.

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