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Des clauses pour protéger les plus forts

12 mai 2015


Lorsque le Québec a imposé un moratoire sur l’exploitation du gaz de schiste, la compagnie étasunienne Lone Pine Ressources Inc.  a poursuivi le gouvernement du Canada. Pourquoi? La compagnie allègue qu’elle est brimée dans son « droit » de réaliser des profits au Québec et exige 250M$ de compensation. Pour ce faire, elle s’appuie sur l’Accord de Libre-échange Nord-américain (ALENA) et ses clauses de protection des investisseurs.

Ces clauses et les poursuites qui en découlent donnent le vertige tant elles font peu de cas des parlements et des démocraties. Elles deviennent particulièrement troublantes lorsqu’elles servent d’instrument aux puissantes entreprises du Nord qui veulent déposséder de petits pays du Sud.

Le Salvador offre un exemple éloquent. L’entreprise canado-australienne Oceana Gold poursuit actuellement l’État salvadorien pour 301 M$ (5% du PIB salvadorien) en dédommagement et perte de profits futurs. La minière reproche au gouvernement salvadorien d’avoir refusé l’octroi d’un permis d’exploitation pour le projet minier El Dorado, un gisement d’or et d’argent situé dans le département de Cabañas. Le gouvernement salvadorien avait pourtant de bonnes raisons de refuser le permis : les exigences environnementales n’avaient pas été respectées par l’entreprise.

Avant Oceana Gold, une autre minière canadienne, la Pacific Rim Mining Corp., a été propriétaire du gisement. Or, la société civile s’était mobilisée dès 2005 contre l’industrie minière après avoir observé certains des effets négatifs des activités de forage, notamment les conséquences de la surconsommation d’eau.

En 2007, les permis d’exploitation permettant de procéder à la phase d’extraction avaient été refusés à Pacific Rim, le gouvernement salvadorien ayant rejeté l’étude environnementale de l’entreprise. En outre, la forte opposition de la population locale avait mené à la suspension pure et simple des activités de forage. C’est alors que Pacific Rim a initié en 2009 une poursuite contre l’État salvadorien en vertu du chapitre 10 de l’Accord de libre-échange États-Unis-Amérique centrale (ALÉAC), soit une clause de protection des investisseurs.

Pour se prévaloir de ce recours, même si elle n’est ni enregistrée aux États-Unis ni en Amérique centrale, l’entreprise canadienne Pacific Rim a engagé les poursuites par l’entremise de l’une de ses filiales étasuniennes basée au Nevada, Pac Rim Cayman LLC. Cette filiale avait été transférée en 2007 des Îles Cayman aux Caraïbes à Reno dans le Nevada.

Cette demande est traitée par l’obscur tribunal d’arbitrage de la Banque mondiale à Washington (le Centre international de règlement des différends relatifs à l’investissement – CIRDI). Celui-ci a refusé en juin 2012 d’entendre la cause sous l’ALÉAC, mais a toutefois accepté de la traiter en vertu de la Loi sur les investissements du Salvador. La décision n’a toujours pas été rendue.

La présence de Pacific Rim au Salvador a coïncidé avec une vague de violence et de persécution dans la région. Au moins cinq militant-e-s environnementalistes ou défenseur-e-s de droits humains ont été assassinés entre 2009 et 2011. Ces crimes ont été précédés de sordides histoires de menaces de mort, d’enlèvements et de torture. Une délégation salvadorienne était d’ailleurs de passage à Montréal lundi soir pour faire connaître au public québécois les dangers de ces dispositions arbitraires.

L’érosion des pouvoirs démocratiques suite à la signature d’ententes de libre-échange est sous-estimée au Québec et au Canada où l’on fait bien peu de cas des négociations des accords de libre-échange avec l’Union européenne ou encore celles qui doivent mener à la création du Partenariat Trans-Pacifique. Les impacts quant à la souveraineté sur les ressources, les choix de développement et les droits humains sont pourtant bien réels. Tant les exemples où les parlements d’ici voient leurs lois attaquées par des entreprises étrangères que ceux où des compagnies canadiennes font la pluie et le beau temps dans les États fragiles du Sud incitent à questionner l’entièreté de ces mécanismes qui favorisent les investisseurs aux dépens des peuples.

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