Cinq questions et réponses sur Trudeau et Trans Mountain
30 mai 2018
Ce matin, le ministre des Finances Bill Morneau a annoncé que le Canada achètera le gazoduc Trans Mountain de Kinder Morgan Canada pour 4,5 G$ avec l’argent des contribuables. Le projet suscite de nombreuses questions.
Pourquoi le gouvernement achète-t-il Trans Mountain ?
Pour que le projet avance. Le projet d’oléoduc Trans Mountain vise à tripler la capacité de transport afin d’acheminer quotidiennement jusqu’à 900 000 barils de pétrole de l’Alberta jusqu’à la banlieue de Vancouver, où il pourra atteindre les eaux du Pacifique. Or, présentement, la Colombie-Britannique s’oppose à ce que ce pipeline passe par son territoire et s’adresse aux tribunaux afin de confirmer sa compétence pour retarder le projet jusqu’à ce que soient adoptées de nouvelles mesures pour empêcher un déversement. La province demande aussi de nouvelles études scientifiques pour comprendre comment gérer un déversement dans l’eau. Cela crée une certaine incertitude et Kinder Morgan considère qu’elle ne peut pas attendre. C’est pourquoi, au mois d’avril dernier, elle a annoncé qu’elle mettait un frein au projet. Notons que par le passé, Kinder Morgan ne semble pas avoir été une citoyenne corporative exemplaire, puisqu’elle n’a payé au total que 1,1 M$ en impôts dans les trois dernières années malgré des revenus nets de 360 M$.
Ottawa considère que le projet d’oléoduc Trans Mountain est bénéfique pour l’ensemble de l’économie canadienne et donc qu’il est de sa juridiction de favoriser le projet. Il va donc contester les demandes de Colombie-Britannique devant les tribunaux.
Est-ce une nationalisation ?
Non. Le gouvernement canadien achète le projet de pipeline pour s’assurer que les travaux continuent, puisque celui-ci a le pouvoir constitutionnel de construire des projets interprovinciaux. Le plan du ministre des Finances est d’acheter le pipeline, le compléter et ensuite le revendre au plus offrant. Bref, faire une forme de plan de sauvetage comme le Canada l’avait fait avec General Motors lors de la crise de 2009. À noter, l’Alberta s’engage à payer pour financer les coûts imprévus du projet.
Pourquoi le projet est-il important pour Trudeau ?
Le premier ministre prétend que leCanada perd 15 G$ annuellement en vendant son pétrole. Rappelons que, puisque les États-Unis sont les seuls clients du Canada, le pétrole canadien se vend moins cher que s’il était vendu à l’international; situation qui serait changée si le pipeline rejoignait les ports des banlieues de Vancouver. Ce faisant, le gouvernement Trudeau prétend qu’il sauve des milliers d’emplois, particulièrement en Alberta.
Est-ce démontré ?
Plus ou moins. En effet, le baril de pétrole vendu en Amérique du Nord(que l’on nomme marché du WTI) se négocie environ 10 % moins cher qu’à l’international (marché du Brent). On peut donc penser que si on multiplie par sept les quantités de pétrole exporté à l’international, il y aura un effet sur le prix du pétrole et donc une augmentation des répercussions économiques au Canada. Nous pouvons penser à une hausse du PIB, par exemple. Rappelons que pour 2017, le pétrole brut et le pétrole issu des sables bitumineux ont atteint une valeur de 63,7 G$, représentant 11,6 % de l’ensemble des exportations canadiennes. En ce sens, ce pétrole est au centre de l’économie canadienne. Tout le problème est là .
Pour les emplois, il faut rester prudent. Le projet devrait créer 2500 emplois directs pendant sa construction sur un horizon de 3 ans. Cependant, une fois mis en opération, le projet devrait créer 450 emplois directs. Pour un investissement de 4,5 G$, cela reste relativement faible.
De plus, en ajoutant massivement du pétrole sur le marché international, on peut s’attendre à ce que le prix du Brent diminue et donc qu’il se rapproche de celui du WTI. D’autre part, bien que des milliers d’emplois soient liés à l’industrie pétrolière, un seul déversement sur les rives de la Colombie-Britannique en menacerait des milliers d’autres. Puis, une hausse du prix du pétrole canadien aurait un effet à la hausse sur le prix de production des autres industries canadiennes et diminuerait leur capacité d’exportations. À terme, ce sera tout aussi nocif pour l’économie canadienne.
Trudeau a-t-il d’autres choix ?
Bien sûr, car s’il est vrai que son gouvernement a hérité de cette situation du gouvernement précédent qui n’a pas su diversifier l’économie, Trudeau est en train d’encourager une industrie du siècle dernier.
Le pétrole des sables bitumineux est l’un des plus polluants sur la planète et l’ajout de ce projet d’oléoduc équivaut à ajouter 3 millions de véhicules sur les routes. Alors que le gouvernement Trudeau est en voie de rater ses cibles environnementales, il ne serait pas étonnant que des pays et des institutions cherchent à s’éloigner du pétrole canadien.
Plutôt que de chercher des manières de soutenir une industrie, il aurait été plus prudent de voir à limiter l’importance de cette industrie dans l’économie et de faciliter une transition écologique pour l’ensemble du Canada.