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6 autres raisons de se méfier de la réforme des tarifs d’Hydro-Québec proposée par la CAQ

17 septembre 2019

  • Bertrand Schepper

Plus d’argent dans nos poches ! C’est ce que promet le gouvernement de François Legault avec son projet de loi 34 qui prétend remettre 1,5 G$ aux client·e·s d’Hydro-Québec. Mais, comme nous l’avons démontré dans notre fiche publiée en août dernier, cette promesse risque de coûter cher aux Québécois·es tout en réduisant les pouvoirs de la Régie de l’énergie, qui agit comme chien de garde dans le processus de fixation des tarifs d’électricité.

Alors que s’amorce la commission parlementaire sur le projet de loi, nous souhaitons ajouter quelques arguments afin d’expliquer en quoi cette loi n’est pas souhaitable.

1) Le gel tarifaire pour 2020 est insuffisant

Le projet de loi de la CAQ propose un gel des tarifs d’hydroélectricité en 2020 pour ensuite suivre l’inflation. Selon le gouvernement, cela représente un gain pour les consommateurs et les consommatrices. Pourtant, plusieurs facteurs permettent d’envisager que, si la Régie devait statuer pour 2020, elle accorderait en fait une baisse de tarifs. En effet, on remarque une hausse prévue à la fois de la quantité d’abonnés et du volume consommé. Cela s’explique en partie par la popularité des voitures électriques, les nouveaux tarifs pour les cryptomonnaies et la reprise de service de l’aluminerie ABI de Bécancour après un long conflit de travail.

Nous ne sommes pas les seuls à penser que le gel de tarifs ne sera pas avantageux pour la société québécoise. Une coalition de consommateurs industriels, entrepreneuriaux et résidentiels a déposé une demande devant la Régie de l’énergie pour ajuster les tarifs à la baisse de 4,91 % pour 2020.

2) Les coûts d’exploitation de la Régie de l’énergie sont marginaux

Pour justifier son projet de loi, le ministre Julien avance qu’en diminuant le nombre de causes tarifaires d’Hydro-Québec, des économies substantielles se feraient ressentir chez les usagers d’Hydro-Québec. Les coûts pour les causes entourant l’électricité, le gaz naturel et le pétrole de la Régie de l’énergie étaient de moins de 13,8 M$ en 2018. Les revenus totaux de la société d’État, quant à eux, étaient de 14,4 G$ pour la même année. Les coûts de fonctionnement de la Régie représentent donc moins de 0,1 % des revenus d’Hydro-Québec, et cela en comptant l’ensemble des causes d’Hydro-Québec, mais aussi celles d’Énergir, de Gazifère, etc. Il serait donc absurde pour les consommateurs de se départir des services de la Régie de l’énergie quatre années sur cinq pour des raisons de coûts.

3) La prévisibilité cache des hausses non nécessaires

En réponse à notre publication, le ministre Julien a défendu sa proposition en indiquant que l’ajustement des tarifs d’électricité à l’inflation permettra aux client·e·s de mieux prévoir leur budget, tout en forçant Hydro-Québec à « gérer le risque » quant à d’éventuels imprévus.

Dans les faits, cela semble être uniquement à l’avantage d’Hydro-Québec, qui peut effectivement bénéficier d’une forme de prévisibilité de sorte à maximiser ses profits et à reporter ses dépenses aux moments où elle les considérera comme plus facilement absorbables par une hausse de tarifs. En d’autres mots, les projets ambitieux seront conçus seulement une fois aux 5 ans, avec à la clé, des hausses de tarifs substantielles. À l’inverse, des causes annuelles permettent de mieux répartir ces projets et ces hausses.

Si le gouvernement est sérieux dans sa volonté d’augmenter la prévisibilité des hausses, il devrait peut-être faire un examen de conscience puisque les dernières hausses importantes découlaient de ses propres décisions (augmentation du bloc patrimonial, imposition de quotas d’énergie éolienne, etc.). Plutôt que de fixer légalement les tarifs d’Hydro-Québec, il peut simplement s’assurer de prendre des décisions qui auront moins d’impacts sur le coût de l’électricité.

4) Il y a incertitude sur l’effet dans cinq ans

Comme nous venons de le voir, Hydro-Québec pourrait utiliser la prévisibilité à son avantage, ce qui se traduirait par des hausses pour sa clientèle. En plus de coûter plus cher aux consommateurs et consommatrices d’électricité, cela rend imprévisibles les futures variations de tarifs. L’examen chaque 5 ans permet moins bien de voir venir les dépenses importantes, d’évaluer leur pertinence et de discuter de leur échéancier, ce qu’une cause annuelle permet de faire.

5) Cela limite le rôle de la Régie dans une vision de transition écologique

Une telle politique aura pour effet de favoriser la position concurrentielle du gaz naturel au Québec. En effet, Énergir a la capacité de s’approvisionner en gaz de schiste américain à peu de frais. Cela lui permet d’offrir des tarifs encore plus concurrentiels par rapport à l’hydroélectricité, qui est pourtant beaucoup plus propre. Dans ce contexte, maintenir une hausse plus importante que nécessaire des tarifs aurait pour effet de rendre l’offre de gaz plus attrayante et de retarder, à l’heure de la nécessité d’une sobriété en carbone, la transition énergétique du Québec. Avec le retrait des causes tarifaires annuelles, ce genre de considération ne peut être débattue avec l’urgence requise. Les causes tarifaires sont déjà de long processus, et elles ne portent que sur l’évaluation d’une seule année. Dans quelle mesure les considérations sociales et environnementales trouveront-elles écho lorsqu’il faudra statuer sur la justesse d’une demande qui porte sur 5 ans de demandes énergétiques ?

6) L’indexation n’est pas une remise des trop-perçus

La vérificatrice générale estime qu’entre 2005 et 2017, les Québécois·es ont payé 1,5 G$ en trop-perçu. Tout indique que le gouvernement a l’impression que sa politique permettra un tel remboursement. Or, 75 % du montant désigné par la vérificatrice générale a déjà été remis sous forme de dividendes au gouvernement. Si l’objectif du gouvernement est de rembourser ce montant, il aurait dû le faire à même ses propres fonds. En ce sens, le projet de loi 34 répond à la grogne causée par les révélations de la vérificatrice générale en façade seulement.

En somme, le projet de loi 34 ne permettra pas d’atteindre les objectifs qu’il prétend poursuivre et il serait souhaitable pour la société québécoise que la Régie continue de déterminer les tarifs d’Hydro-Québec annuellement à travers son processus réglementaire. Cela permettrait un meilleur contrôle des tarifs d’électricité, empêcherait de politiser les débats sur les tarifs d’Hydro-Québec et participerait à faciliter la transition énergétique du Québec.

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