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L’université québécoise toujours à vendre

26 août 2013

  • Eric Martin

Afin d’éviter une autre « crise importante » comme la grève étudiante du printemps 2012, et afin de préserver « la paix sociale », le ministre Duchesne « incite les directions » des CÉGEP « à organiser des « ateliers politiques » pour que les jeunes puissent exprimer leurs idées. C’est une bonne idée de favoriser l’engagement des jeunes. Cependant, il faudrait d’abord reconnaître que les étudiant.e.s n’ont pas attendu ces « ateliers » pour parler, et qu’ils et elles ont déjà exprimé un profond malaise que l’on s’empresse aujourd’hui d’oublier.

En effet, l’an dernier, nombre d’étudiant.e.s, professeur.e.s et citoyen.ne.s ont, à travers une mobilisation importante, exprimé leur rejet d’une orientation commerciale et instrumentale donnée à l’éducation par l’État québécois. Ses élu.e.s ont beau avoir porté le carré rouge au moment opportun, on constate, encore une fois, que le gouvernement du Parti Québécois persiste dans la voie de son prédécesseur libéral : celle d’une privatisation accrue de l’éducation, tant en ce qui concerne les espaces physiques que les finalités qui orientent l’enseignement et la recherche. Bref, malgré les nombreuses mises en garde, le cap est encore résolument orienté vers les mirages de « l’économie du savoir » et de la privatisation de l’éducation.

L’Université Alouette

Le 20 août 2013, le ministre de l’Éducation Pierre Duschesne annonçait qu’un pavillon « universitaire » privé, financé par une aluminerie, sera construit à Sept-Îles : « Évalué à 10 millions de dollars, l’investissement dans cette construction est entièrement assumé par Aluminerie Alouette ». Le Journal de Montréal considère qu’il est évident qu’une logique donnant-donnant doive s’installer entre l’université et le secteur privé : « Évidemment, comme la construction est financée par Alouette, on offrira une formation en transformation d’aluminium supervisée par l’Université du Québec à Chicoutimi ». « Évidemment », donc, Alouette peut se payer une université privée de l’aluminium et le concours de l’UQAC, le tout avec la bénédiction du gouvernement. Et, à l’inverse, il semble désormais que l’État, pour construire des universités, ne puisse se passer du secteur privé.

La recherche au service du privé

Le gouvernement n’arrive pas non plus à se passer du privé dans sa course pour investir au maximum dans la « recherche ». Dans une récente entrevue au Devoir, le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, explique que le Québec n’a pas atteint ses objectifs d’investissement en « recherche » et « innovation », une grande priorité pour Madame Marois, semble-t-il. Pour atteindre l’objectif de 3% du produit intérieur brut (PIB) fixé dans la Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation (SQRI), mise en place par le gouvernement Charest,« on a besoin du soutien de l’industrie. », explique le scientifique en chef, qui prépare d’ailleurs pour l’automne une nouvelle Politique nationale de la recherche et de l’innovation (PNRI) (à surveiller) :

« Le privé. Le mot effraie bien des universitaires qui y voient là une entrave à la liberté de recherche. Rémi Quirion est plutôt pragmatique : « Il ne faut pas être plus catholique que le pape, lance-t-il. Au cours de ma carrière, j’ai vu plein de contrats entre des chercheurs et les Pfizer de ce monde. Tout est négocié par l’université. Rien n’est fait en cachette. J’y ai rarement vu des problèmes. » 

Cette lecture disons « optimiste » des choses ne tient pas longtemps la route : nombre de scandales de fraude et de falsification de résultats impliquant le « Big Pharma » sont répertoriés et Pfizer ne fait pas exception. En général, la dépendance de l’université envers les fonds des pharmaceutiques vient influencer ou carrément censurer les recherches lorsque les résultats d’essais défavorables deviennent un obstacle au profit.

Comme l’a montré a de nombreuses reprises le professeur Marc-André Gagnon, le secteur pharmaceutique fait la promotion, à grand renfort de marketing, d’innovations qui ne sont souvent pas des « avancées thérapeutiques significatives ». On publie des études favorables falsifiées ou maquillées, on tait les mauvais résultats, on use même parfois d’intimidation contre les avis critiques, en allant parfois jusqu’à intimider les chercheur.e.s qui ne vont pas dans le bon sens, le tout dans le but de conquérir des parts de marché plus grandes.

Ici, on n’investit pas en recherche pour maximiser la santé; on utilise plutôt la recherche-développement comme instrument de marketing visant à maximiser le retour sur investissement (la nuance est importante…). Hélas, les populations sont facilement dupées : qui peut être contre « la recherche » dont on nous dit qu’elle va guérir nos proches et les pires maladies? Malheureusement, l’économie et la recherche ne servent pas la santé; c’est bien plutôt la santé et la recherche qui servent de tremplin à l’économie et à la valeur qui cherche à s’autovaloriser.

Vendu!

L’université, devenue partie prenante des opérations d’une entreprise, n’est plus à même de jouer son rôle de chien de garde : plutôt que de chercher la vérité, elle peut même être amenée à la taire. Les chercheur.e.s, poussés à produire au maximum, peuvent être tentés de recourir à la fraude et à la falsification :

« Increasing competition for shrinking government budgets for research and the disproportionately large rewards for publishing in the best journals have exacerbated the temptation to fudge results or ignore inconvenient data ».

Quant à l’importance que prend la recherche à visée industrielle, elle constitue une menace pour la recherche fondamentale, et pour l’enseignement, qui se réduit le plus souvent à la transmission de connaissances techniques applicables dans l’industrie ou dans la recherche aux applications industrielles. L’ancienne université s’intéressait au monde dans sa totalité; la nouvelle a réduit le monde à l’industrie. Et ce, évidemment, sans que personne ne s’interroge sur les conséquences écologiques et énergétiques de cette course infinie à la croissance et à l’innovation, laquelle prend de plus en plus les allures d’un disque rayé qui saute en distillant sa rengaine. Si on écoute bien, on entend Félix Leclerc, dans L’Encan :

Approchez messieurs dames
Une belle p’tite université française à vendre
Six étages d’instruction, latin et grec compris
Avec fermes expérimentales, laboratoires, bibliothèques
L’article rêvé pour les fils d’immigrants qui veulent parler français au Canada
Laissons pas aller ça nous autres
L’américain : I’ll take it!
Vendu…

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