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Les plus bas en Amérique du Nord?

9 Décembre 2011

  • Eric Martin

Au Québec, « nous avons les frais de scolarité les plus bas en Amérique du Nord ».  Cette affirmation sentencieuse, répétée ad nauseam dans les médias et par les politiciens, prétend clore le débat sur la hausse des frais de scolarité. Si nos frais sont moins hauts que ceux du Canada anglais, n’est-il pas temps de « rejoindre la moyenne canadienne ». Il m’a semblé devoir régler une fois pour toute le sort de cette déclaration-zombie qui refait périodiquement surface sans être mise en examen.

Disons d’emblée que la question de la hausse des frais de scolarité suppose une réforme en profondeur du financement et de la mission des universités pour les brancher sur les intérêts du secteur privé et du capital de risque, comme nous l’avons montré ailleurs. Notons également qu’une telle réforme ne saurait se faire en profondeur sur le fond des choses : est-ce souhaitable ? Néfaste ? Y’a-t-il des conséquences adverses à ce genre de réforme ? Or, le principal argument offert est un argument purement quantitatif et conformiste.

Nous avons aussi montré ailleurs que hausser les « droits » de scolarité allait entraîner des hausses de l’endettement, des baisses de fréquentation, des inégalités de classe, une hausse du travail étudiant, en plus de servir de mécanisme de privatisation de l’université pour servir les intérêts du grand capital corporatif.

Il semble que le seul argument « plus bas en Amérique du Nord » serve à lui seul de contrepoids à toute ces catastrophes. Une petite leçon de statistique est donc à l’ordre du jour.

1-Notre premier graphique, issu du dernier budget du Québec, montre les droits de scolarité au Canada. On voit bien qu’après la prochaine hausse, les frais seront plus élevés qu’à Terre-Neuve/Labrador et au Manitoba.

 

2-Le graphique qui suit, réalisé à partir des pays pour lesquels les données sont disponibles, indique les droits de scolarité moyens dans les pays de l’OCDE ($US).  D’abord, le Québec, avant même d’avoir procédé à la prochaine hausse des frais, a des frais plus élevés que la moyenne des pays de l’OCDE, se rapprochant de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie, du Japon, de la Corée et des États-Unis.   À l’opposé du spectre, 14 pays ont des frais de scolarité inférieurs, et 7 ont instauré la gratuité scolaire. Ces 14 pays sont bien sûr des cancres : Finlande, Suède, France, Danemark, Italie, Mexique, et cie, tous des pays qu’on imagine peuplés d’ignares ! Notons la présence du Mexique, pays d’Amérique du Nord, qui avec des frais nuls a donc des frais de scolarité plus bas que le Québec.

 

3-Le graphique suivant, tiré de Regards sur l’éducation 2011 de l’OCDE, montre bien qui est le pays qui « tire » les autres vers le haut. Il s’agit bien sûr des États-Unis, qui poussent depuis l’après-guerre en faveur d’une américanisation de tous les systèmes d’éducation nationaux de la planète. Ce projet est en train de fonctionner. En effet, comme l’explique l’OCDE, « Depuis 1995, 14 des 25 pays dont les données sont disponibles ont réformé leur système de frais de scolarité. La plupart de ces réformes ont donné lieu à un accroissement des frais de scolarité moyens dans les établissements d’enseignement tertiaire ».

Un peu plus d’honnêteté sur les chiffres internationaux et les tendances globales nous obligerait à dire : « nous avons des frais de scolarité plus bas que les États-Unis, mais nous espérons bientôt recopier leur modèle ici ». Il est bien sûr exclu de s’inspirer des « ignorants » scandinaves et européens : « think big ! », comme dirait l’autre. Mais il ne faut pas ici prendre l’arbre pour la forêt : le modèle d’éducation américain n’est pas mauvais parce qu’il est américain : il est mauvais, parce qu’en plus d’être inégalitaire, il détruit l’indépendance de l’université et la soumet au intérêts de l’argent. Le problème n’est donc pas le modèle « américain », mais le modèle utilitaire-commercial d’université, lequel, hélas, semble en voie de se répandre partout grâce aux sophismes conformistes du genre de celui que nous avons déconstruit aujourd’hui.

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