La Consultation sur les frais scolaires : premier pas vers la légalisation des frais illégaux?
24 janvier 2019
Depuis le 7 janvier dernier, le ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur tient en ligne une Consultation sur les frais scolaires qui se terminera cette semaine. Visant à « dégager un consensus social » et à établir des « balises claires concernant les frais assumés par les parents d’élèves du préscolaire, du primaire et du secondaire », cette consultation interroge le public sur les principes devant guider l’encadrement des frais scolaires. Force est de constater qu’un principe important a toutefois été « oublié » par le nouveau ministre Jean-François Roberge : celui de la gratuité, pourtant au fondement de la Loi sur l’instruction publique.
Ainsi, pour chacun des énoncés du questionnaire — portant sur les frais pour l’inscription et l’admission, les sorties scolaires ou parascolaires, le matériel de base ou spécialisé, les cours d’été, le transport, la surveillance des élèves, etc. —, sept principes sont offerts en choix de réponse. Or, entre « Le coût doit être le moins élevé possible et correspondre aux frais réels » et « Ce service ou ce bien pourrait occasionner certains frais », il n’est possible nulle part de se prononcer en faveur de la gratuité, sauf en ce qui concerne les frais administratifs.
Il semble donc assez clair que le « consensus social » que le ministre tente de faire émerger est en fait un consensus autour de l’existence des frais scolaires. Autrement dit, lorsque M. Roberge parle de « baliser » et d’« encadrer » ces frais, il faudrait plutôt entendre « légitimer » et « légaliser ». Et s’il espère dégager un consensus qui permettra de légaliser ces frais, c’est bien parce qu’ils sont présentement illégaux.
En effet, l’article 40 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et l’article 3 de la Loi sur l’instruction publique stipulent clairement que l’instruction publique gratuite est un droit pour les enfants des niveaux préscolaire, primaire et secondaire. En ce qui concerne plus précisément le matériel scolaire, l’article 7 de cette même loi affirme également le « droit à la gratuité des manuels scolaires et du matériel didactique requis pour l’enseignement des programmes d’études », à l’exception des crayons, papiers et autres « documents dans lesquels l’élève écrit, dessine ou découpe. »
En 2013, un recours collectif de 300 millions de dollars contre 68 des 72 commissions scolaires du Québec est venu brutalement rappeler ce principe fondamental du système d’éducation québécois. Cette poursuite, intentée par des parents qui estimaient avoir payé des frais chargés illégalement, s’est conclue récemment par une entente à l’amiable qui coûtera finalement 153,5 millions aux commissions scolaires concernées.
Ces développements s’inscrivent dans le contexte d’une hausse marquée des frais scolaires chargés aux parents, comme le constatait déjà en 2007 la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec. Pour l’année 2004, la Commission estimait alors, « de façon très conservatrice, à 358 $, minimum et à 496 $, maximum, pour un élève du primaire, les dépenses de matériel scolaire et de transport ou de surveillance du midi. » À cela s’ajoutent les frais pour les sorties éducatives, pour les activités parascolaires, pour les programmes particuliers, etc.
Mentionnons également que, dans un contexte où le taux d’activité des femmes ayant des enfants de moins de 12 ans a explosé durant les dernières décennies (atteignant en 2016 près de 90% selon l’âge du plus jeune enfant), une proportion importante de parents doit également assumer des frais considérables pour l’accès aux services de garde en milieu scolaire : environ 1 500$ par année par enfant, sans compter les frais supplémentaires exigés pour les journées pédagogiques qui, dans certaines écoles, se chiffrent à 550$ annuellement.
Évidemment, les coupures de plus de 1 milliard de dollars subies par le réseau de l’éducation sous la gouverne libérale permettent de comprendre que les commissions scolaires aient été de plus en plus tentées de contourner la Loi sur l’instruction publique et d’exploiter ses exceptions et ses brèches pour aller chercher une part croissante de leur financement directement dans les poches des parents, mais aussi des enseignant·e·s, dont certain·e·s déboursent jusqu’à 1 000$ pour équiper leur classe en mouchoirs, crayons et autre matériel essentiel.
Durant la campagne électorale et depuis son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement caquiste s’est pour sa part posé en champion de l’éducation, affirmant faire de cette mission de l’État une priorité et promettant un financement stable exempt de compressions. Assurer aux commissions scolaires des fonds suffisants pour permettre une réelle gratuité de l’instruction publique serait un bon début, plutôt que d’envisager la normalisation des frais scolaires illégaux.