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Des repas gratuits pour tous les élèves, une utopie?

23 mai 2019


On apprenait récemment qu’à Montréal des milliers d’élèves provenant de milieux défavorisés étaient menacés d’être privés de collations gratuites ou de repas à prix modique en raison de l’embourgeoisement de leur quartier. Or, de nombreuses voix s’élèvent depuis quelque temps pour dénoncer les limites de ces « mesures alimentaires » destinées aux enfants les plus démunis et pour réclamer un véritable programme de repas universels gratuits dans l’ensemble des écoles publiques du Québec. Utopie? De nombreux pays ont pourtant implanté de tels programmes.

La perte soudaine de cette aide alimentaire précieuse est évidemment dramatique pour tous ces enfants qui ne sont pas certains de pouvoir continuer à apprendre le ventre plein à partir de la prochaine année scolaire. Le choc tarifaire brutal (environ 1 300 $ par enfant par année, selon certains organismes) imposé aux parents touchés a toutefois le mérite de mettre en lumière l’absurdité des règles administratives régissant les mesures de soutien alimentaire et de relancer le débat sur les solutions alternatives.

Actuellement, seules les écoles situées dans les quartiers les plus défavorisés obtiennent du financement pour offrir un soutien alimentaire à leurs élèves les plus démunis. Autrement dit, les enfants qui vivent dans une situation de pauvreté mais qui fréquentent une école située dans un quartier relativement aisé ne peuvent pas bénéficier de cette aide. C’est pourquoi la gentrification de certains quartiers montréalais a pour conséquence de priver d’aide alimentaire des enfants qui en ont pourtant cruellement besoin.

Sous la pression des mobilisations citoyennes qui se sont rapidement organisées dans les quartiers concernés, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, s’est toutefois engagé à maintenir le financement de ces mesures pour la prochaine année scolaire. S’il s’agit là d’une bonne nouvelle, elle n’apporte cependant qu’une solution transitoire qui laisse le problème entier pour les années suivantes. De plus, elle ne fait rien pour atténuer la stigmatisation typiquement associée aux mesures d’aide réservées aux « pauvres » : dans certaines écoles, les élèves qui reçoivent des dîners à prix modique doivent manger dans un local à l’écart des autres élèves.

C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la Commission scolaire de Montréal (CSDM) a adopté à l’unanimité l’année dernière une résolution réclamant des dîners gratuits pour l’ensemble des élèves du primaire et du secondaire de la province. Cette revendication est aussi portée par plusieurs comités de citoyen.ne.s et organismes communautaires et une pétition circule sur le site de l’Assemblée nationale pour la défendre auprès des élus provinciaux.

Si une telle revendication peut sembler radicale et irréaliste, il faut savoir que des programmes universels de repas gratuits dans les écoles sont déjà appliqués avec succès dans plusieurs pays. C’est le cas au Brésil, où les 45 millions d’enfants qui fréquentent l’école publique reçoivent gratuitement depuis 2009 non pas un mais bien deux repas gratuits par jour. En 2017, New York s’est inspirée du Brésil pour offrir les repas du matin et du midi à l’ensemble des élèves des écoles publiques.

La Finlande a été une des pionnières de ce type de mesure, puisqu’un programme universel de repas gratuits pour tous les élèves existe dans ce pays depuis 1948. En Angleterre, les élèves de 5 à 7 ans ont tous droit à un repas gratuit à l’école depuis 2014. Et cette liste n’est pas exhaustive : à l’échelle mondiale, ce sont environ 20% des enfants qui reçoivent au moins un repas gratuit par jour à l’école.

Mais qu’en est-il des coûts de ces mesures? Est-il financièrement réaliste d’envisager un programme de repas universel gratuits pour tous les élèves des écoles primaires et secondaires au Québec? La CSDM estime qu’il en coûterait environ 57 M$ par année pour fournir le dîner aux 74 000 élèves de cette commission scolaire. Selon les chiffres les plus récents de l’Institut de la statistique du Québec, un peu plus d’un million d’enfants fréquentent les écoles primaires et secondaires du Québec. On peut donc évaluer le coût d’une universalisation des repas gratuits dans les écoles à environ 800 M$ par année.

Ce chiffre peut sembler considérable, mais il représente à peine plus de 4% du budget du ministère de l’Éducation du Québec, alors que la Finlande consacre 8% de son budget dédié à l’éducation au financement des repas gratuits dans les écoles. En proportion du PIB, les 800 M$ que coûteraient un tel programme au Québec sont comparables au 2,5 milliards que le Brésil y investit chaque année (respectivement 0,18 et 0,12 % de leur PIB).

La faisabilité et la pertinence d’investir les 800 M$ annuels nécessaires pour assurer au moins un repas décent par jour à l’ensemble des enfants du Québec peuvent aussi être évaluées à l’aune de certains choix récents faits par le ministre de l’Éducation du Québec. Dans un contexte où 30 à 40% des élèves de la CSDM vivent sous le seuil de la pauvreté et où plusieurs d’entre eux n’ont même pas accès aux mesures d’aide alimentaire destinés aux plus démunis, on peut en effet se demander si le virage numérique que M. Roberge souhaite imposer aux écoles au coût de 1,2 milliards de dollars sur cinq ans est véritablement une priorité.

De même, le ministre persiste à vouloir implanter un programme de maternelles 4 ans décrié par la plupart des intervenant.e.s du milieu, et ce, malgré l’explosion des coûts anticipés pour leur déploiement : alors qu’en campagne électorale la CAQ chiffrait cette promesse à 153 M$ pour l’ensemble des enfants, on prévoit maintenant qu’il en coûtera 900 M$ pour la moitié des enfants seulement.

On le constate, la capacité du Québec à offrir à tous ses élèves des repas gratuits est donc avant tout une question de choix politique. En plus de faciliter le quotidien des familles et d’offrir à tous les enfants des conditions de base essentielles à l’apprentissage et à la réussite scolaire, un tel programme leur donne accès à des repas sains et est susceptible de favoriser de bonnes habitudes alimentaires. L’exemple du Brésil montre qu’il peut aussi être utilisé comme outil de développement économique : dans ce pays, les écoles doivent s’approvisionner à 30% auprès de petites fermes locales.

Le gouvernement caquiste a fait de l’économie, de l’éducation et de la santé ses trois grandes priorités, promettant au passage d’être le gouvernement des familles. Un programme universel de repas gratuits dans les écoles s’inscrit tout à fait dans ces orientations.

Photo: Annik MH de Carufel Le Devoir

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