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Trop d’impôt tue l’impôt?

6 septembre 2018

  • Julia Posca

Dans le cadre de son émission matinale sur les ondes du 98,5 FM à Montréal, l’animateur Paul Arcand commentait la semaine dernière la proposition de Québec solidaire d’augmenter le taux d’imposition sur les hauts revenus afin de dégager des revenus supplémentaires pour l’État. Son propos était le suivant : « (…) sur le taux d’imposition des gens qui ont des revenus plus élevés, Justin Trudeau vient d’avoir sa leçon, parce que le fédéral avait augmenté, et cette semaine on a eu les chiffres : y a augmenté l’impôt de la classe supérieure, pis les revenus ont baissé de 5 milliards. Fait que des fois, t’as l’effet inverse de ce que tu recherches. »

Cette affirmation a retenu mon attention, puisque c’est une nouvelle qui m’avait échappé. Et pour cause, aucun média francophone ne semble en avoir parlé. Il fallait lire l’édition du 27 août du Globe and Mail (ou consulter le site web de CBC le 28 août) pour prendre connaissance d’une analyse de l’Agence du revenu du Canada montrant que les revenus fédéraux ont connu une baisse de 4,6 milliards de dollars en 2017. Et, si l’on se fie aux propos de M. Arcand, cette perte de revenus aurait été causée par l’augmentation du taux d’imposition des revenus de 200 000$ et plus, qui est passé en 2016 de 29% à 33%.

Ces données confirmeraient ainsi la thèse selon laquelle une hausse trop importante de l’impôt décourage le travail et se solde par une diminution des revenus fiscaux d’un gouvernement, au lieu de les augmenter. Autrement dit, « trop d’impôt tue l’impôt ». Cette maxime est brandie par les idéologues de droite chaque fois qu’est évoquée l’idée d’augmenter l’impôt des plus riches. En 2012, le Parti québécois n’a eu d’autre choix que d’atténuer sa réforme fiscale en réponse à la grogne des milieux d’affaires et des lobbys patronaux qui prédisaient l’apocalypse si le taux d’imposition des hauts revenus était relevé.

Les pourfendeurs de l’impôt ne devraient pourtant pas se réjouir aussi vite. D’abord, il faut se rappeler que la hausse de l’impôt des plus riches, une promesse phare des libéraux de Justin Trudeau lors de la campagne électorale de 2015, est allée de pair avec la diminution du taux d’imposition des revenus compris entre 45 000$ et 89 000$, qui est passé de 22,5% à 20%. L’objectif de cette mesure n’était donc pas d’augmenter les revenus fiscaux du gouvernement, mais de soulager la classe moyenne en demandant un effort fiscal plus grand aux contribuables formant le 1 %. Les libéraux prévoyaient, de fait, que ces ajustements fiscaux ne causeraient ni gains ni pertes, et se feraient donc à coût nul pour le Trésor fiscal.

En décembre 2015, soit peu de temps après leur arrivée au pouvoir, le ministère des Finances, sur la base de nouvelles estimations, avait cependant établi que la mesure générerait un manque à gagner de 1,2 milliard de dollars par année. En effet, la baisse de l’impôt sur les revenus moyens allait creuser un trou plus grand (-3,4 milliards) que les sommes qui allaient être récupérées avec la hausse de l’impôt des revenus les plus élevés (+2,0 milliards). À 4,6 milliards, la perte avérée est encore plus grande que prévu.

Or, l’article du Globe and Mail nous apprend aussi que plus de 90 % de cette perte est attribuable aux contribuables à revenus élevés d’une seule province, soit l’Alberta. Si l’impôt tuait l’impôt, c’est la contribution fiscale de tous les riches Canadiens qu’il ruinerait, n’est-ce pas ? À moins bien sûr que ce ne soit pas l’impôt qui soit en cause ici. Une hypothèse des plus plausibles veut plutôt que ce soit le ralentissement économique qu’a connu la province de l’Ouest en 2015 et 2016 qui est à l’origine de la diminution des salaires et donc de la contribution fiscale des particuliers les plus aisés. Depuis, l’économie albertaine s’est redressée. Un porte-parole du ministère des Finances a d’ailleurs affirmé au Globe and Mail que l’on pouvait s’attendre à voir les revenus fiscaux provenant des plus riches bondir en 2017.

Il faudra un peu de patience et des analyses plus poussées avant de pouvoir mesurer l’effet de la réforme fiscale de Bill Morneau sur les revenus du gouvernement canadien. Il serait dans tous les cas plus raisonnable de ne pas se baser sur des mythes économiques pour juger de l’efficacité des politiques publiques. Surtout, il ne faut jamais perdre de vue, comme le soulignait ce lundi mon collègue Guillaume Hébert dans les pages de La Presse+, que les choix budgétaires ne sont pas des décisions purement comptables, mais toujours des choix de nature politique qui répondent à la question : dans quel type de société voulons-nous vivre ?

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