Petite gouvernance entre amis
27 novembre 2015
Si je vous dis « élite économique québécoise », à qui pensez-vous? PKP? La famille Desmarais? Peut-être Michael Sabia? Les noms de Robert Chevrier, d’André Bérard ou de Michel Labonté n’ont probablement jamais traversé votre esprit. Normal : vous ne les connaissez pas.
Pourtant ce sont des personnes très influentes au Québec. Leur travail se fait cependant plus dans l’ombre, à travers leur fonction d’administrateur d’entreprises cotées en bourse. À l’IRIS, nous avons essayé dans notre dernière publication de tracer les contours d’un réseau tissé serré où l’on retrouve souvent les mêmes personnes. Alors… Qui sont les grands administrateurs du Québec?
Pour arriver à nos conclusions, nous avons commencé par prendre les 30 plus importantes entreprises cotées en Bourse. Nous avons ensuite recensé le nom de tous les administrateurs et administratrices et essayé de voir comment ces personnes étaient connectées entre elles et entre les entreprises. Cela nous a permis de dresser une liste de 37 personnes qui se distinguaient par leur influence. En moyenne, celles-ci siègent actuellement sur trois CA d’entreprises cotées en bourse en plus de trois autres non cotées en bourse.
Communauté d’intérêts et boys’ club
Cette liste de noms permet de dégager certains constats. Tout d’abord, les personnes influentes sont étonnement similaires. À la surprise générale (…), il s’agit en grande majorité d’hommes blancs dont la moyenne d’âge est de 65 ans. On y retrouve une forte concentration de comptables et d’avocats. La diversité n’est pas à l’ordre du jour.
Leurs parcours comportent également des similitudes. Près de la moitié ont déjà occupé des fonctions dans le public, que ce soit à titre de haut-fonctionnaire, de membre de comité consultatif ou d’élu. Le phénomène des portes tournantes s’observe aussi lorsqu’on examine les autres entreprises où ces individus ont siégé. Dans leur carrière, cela peut aller jusqu’à 13. Il va sans dire qu’ils ne se sont pas limités à un seul secteur d’activité.
Prenons Robert Chevrier, la personne la plus influente selon notre palmarès. Celui-ci a participé aux CA de Rona, de Richelieu, de CGI, de la Banque de Montréal et de Transcontinental, pour n’en nommer que cinq. Bien qu’il s’agisse de domaines bien différents, selon lui, « une banque c’est une “business” de distribution et [une épicerie] aussi. » Bref, on peut gérer tout et n’importe quoi de la même manière puisque, au final, tout peut se réduire à de la distribution ou de l’allocation de ressources. Nourrir des gens? Prêter de l’argent? Créer du contenu journalistique? Pareil. On voit la même chose au public, où les administrateurs et administratrices viennent de plus en plus du privé ou circulent d’une institution à l’autre comme si le CHUM, Hydro-Québec et l’Orchestre symphonique de Montréal étaient du pareil au même.
Mais je digresse. Revenons à nos CA d’entreprises cotées en bourse. Comment choisit-on les bonnes personnes pour siéger au CA? Déjà, le fait de participer au réseau aide. Ensuite, tout dépend de ce dont l’entreprise en question a besoin. Souhaite-t-elle faire des acquisitions? A-t-elle besoin de liquidités ou de crédit? Une personne provenant d’une banque pourrait être un atout. Veut-on élargir son marché, pouvoir vendre ses produits à d’autres entreprises? On ira alors chercher de nouveaux membres dans chez celles-ci afin d’optimiser l’intégration du marché. A-t-on besoin de faire du lobbying auprès du gouvernement? Un ancien haut fonctionnaire ou une élue seraient tout indiqués.
Comme on peut le voir, bien gérer une entreprise revient à bien choisir ses amis. Et comme le dit si bien Michel Nadeau lui-même, directeur général de l’Institut sur la gouvernance : « Un C. A., c’est un groupe de 15 personnes qui se disent les vraies affaires, qui se parlent franchement entre amis, sachant qu’on va prendre des décisions. »
Rien à ajouter.