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Les coopératives peuvent-elles renverser le capitalisme?

17 octobre 2019

  • Guillaume Hébert

 

Le libéralisme économique ne convainc plus. Cette vieille idée selon laquelle il faut laisser le « marché », les entreprises et quelques poignées de capitalistes décider « librement » comment produire et distribuer les ressources sur cette planète n’a plus la cote. Que ce soit sous l’angle des inégalités de revenus et de patrimoine ou désormais sous celui de la crise climatique, les populations ont largement perdu confiance envers les institutions publiques et privées pour leur incapacité à agir en fonction du bien commun. Une partie de l’intelligentsia l’a bien compris et a ressenti l’urgence de redorer le blason du capitalisme, notamment en favorisant la « responsabilité sociale des entreprises ». Dans ce contexte, il est pourtant bien plus utile de considérer de possibles alternatives économiques. L’IRIS publie aujourd’hui une brochure qui aborde le cas de la coopérative.

En 1970, l’économiste Milton Friedman publie dans le New York Times un article qui fera pour ainsi dire école : « The Social Responsability of Business is to Increase its Profits ». Le célèbre économiste monétariste répliquait à tous ceux et celles qui souhaitaient que l’entreprise entretienne une certaine responsabilité sociale. Friedman avait indéniablement le mérite d’être clair : la responsabilité sociale de l’entreprise n’est pas de sauver le monde, mais plutôt de s’en tenir à son rôle et utiliser tous les moyens à sa portée pour accroître ses profits.

En août dernier, la Business Roundtable publiait une déclaration qui a fait couler beaucoup d’encre. Selon cette organisation qui regroupe les PDG des plus grandes firmes du capitalisme étasunien, les entreprises doivent désormais élargir leurs œillères. Ainsi, elles devraient maintenant prendre en considération non seulement leur portefeuille, mais également les intérêts de leurs employé·e·s, de leurs client·e·s, de leurs fournisseurs et même de l’environnement.

Comme l’expliquait récemment mon collègue François Desrochers, l’initiative de la Business Roundtable a rencontré beaucoup de scepticisme, comme le prouvent les agissements socialement régressifs de plusieurs des entreprises signataires à l’égard du salaire minimum, des conditions de travail, de la dangerosité de certains produits, ou du caractère destructeur de certaines industries dont elles sont issues, comme celles du pétrole ou de l’armement.

Un professeur de droit des sociétés comme Stephen Bainbridge de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) n’est pas davantage impressionné par la déclaration de la Business Roundtable. Il affirmait en entrevue à The Economist que la déclaration est « inoffensive » (innocuous) puisque ce n’est pas un groupe de « lobbyistes » qui a le pouvoir de changer la finalité des activités des sociétés aux États-Unis ou ailleurs, mais bien la loi.

Or, ajoute-t-il, en droit des sociétés, c’est la loi du Delaware qui compte actuellement. Le Delaware est l’État où sont enregistrées la majorité des entreprises aux États-Unis. Non seulement la loi en question ne prévoit rien pour la « responsabilité sociale des entreprises », mais, qui plus est, a été extrêmement claire sur la finalité de l’entreprise : générer de la valeur pour les actionnaires. Presque aussi clair que Milton Friedman, en somme.

Ainsi, si l’on considère comme Friedman, Bainbridge et les juges du Delaware que la raison d’être de l’entreprise conventionnelle est d’accroître ses profits, peut-être est-ce en faisant appel à un autre type d’entreprise que l’on parviendra à atteindre certains des objectifs que disent vouloir atteindre les PDG du Business Roundtable. C’est ici que la coopérative entre en jeu.

*****

La coopérative est un type d’entreprise trop peu connue. Elle compte pourtant une longue et riche histoire et elle est présente aux quatre coins du monde. Elle s’est développée dans des communautés où il existait une vaste tradition de coopération et a servi au développement économique de régions marginalisées. Certaines grandes entreprises se revendiquent aujourd’hui, à tort ou à raison, du coopératisme et plusieurs jeunes entreprises s’organisent selon ce modèle d’affaires. On les retrouve dans pratiquement tous les domaines : l’achat de biens et services, l’habitation, la finance, l’agriculture, les plateformes numériques, les groupes de professionnels, etc.

Fait méconnu : des enquêtes ont montré que les coops ont une plus grande résilience que l’entreprise conventionnelle. Après 10 ans, leur taux de survie est à 44 % alors qu’il n’est qu’à 20 % chez les autres types d’entreprises.

Mais surtout, l’entreprise coopérative est fondée sur un socle juridique différent de celui qui contraint l’entreprise conventionnelle à soumettre l’ensemble de ses opérations au seul intérêt financier de ses actionnaires. La coopérative est créée pour répondre à un besoin social : cette responsabilité est inscrite dans ses statuts.

Elle répond par ailleurs aux exigences de ses membres en vertu de la logique « un membre = un vote » et non pas en fonction du nombre d’actions détenues. Les coopératives à but non lucratif rendent par ailleurs la réserve de l’entreprise (l’argent accumulé par la coopérative) indivisible, ce qui fait qu’il est beaucoup plus difficile d’en faire une entité permettant le seul enrichissement personnel.

D’un point de vue juridique, c’est un changement majeur.

D’un point de vue socioéconomique, ce peut l’être aussi. Non seulement une organisation plus démocratique est davantage susceptible de respecter ses travailleurs et ses travailleuses et se montre plus respectueuse de la communauté dans laquelle elle opère, mais elle pourrait également aider à rendre l’économie dans son ensemble plus démocratique. Par ses politiques, le gouvernement pourrait choisir de favoriser le développement de coopératives. La loi existe déjà. La population semble intéressée à reprendre du pouvoir sur son labeur. Il ne manque plus que la volonté politique d’en faire un modèle courant plutôt que marginal.

Est-ce que la coopérative à elle seule nous promet un monde plus juste? Bien sûr que non. Les cas de coopératives qui ont connu de graves dérives et qui se sont éloignées de leur mission sociale d’origine existent en grand nombre. Un changement de culture plus profond devra donc également accompagner cette transition vers une économie plus juste. Comme toute organisation démocratique, la vigueur de l’entité dépend largement de la prégnance des valeurs démocratiques en son sein. Ces valeurs se cultivent à la fois dans les organisations et dans l’environnement où elle évolue.

Les coopératives n’ont pas toutes les réponses aux enjeux de société. Il n’en demeure pas moins que chaque fois qu’une organisation démocratique remplace une entreprise autoritaire, c’est une parcelle du monde qu’on soigne du capitalisme.

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