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Le point sur l’inflation et la politique monétaire

9 mai 2022

Lecture

8min

  • PB
    Pierre Beaulne

En mars 2022, le taux d’inflation a atteint 8,5 % aux États-Unis et 6,7 % au Canada, un sommet depuis 1991. Un peu partout ailleurs, c’est comparable sinon pire. Que se passe-t-il ? Que font les autorités ?

Pressions internationales et domestiques sur les prix

À travers les vicissitudes de la pandémie de COVID-19, l’inflation a commencé à s’accélérer au printemps 2021 en raison des nœuds apparus dans les chaînes d’approvisionnement (trafic maritime par conteneurs, puces électroniques) et alors que la consommation refoulée reprenait du tonus avec la levée des restrictions sanitaires. Cela reflétait les difficultés à remettre en marche un appareil productif largement mondialisé fondé sur le modèle « just in time », le tout sur toile de fond de pénuries de main-d’œuvre croissantes.

À cela sont venus s’ajouter divers chocs de prix liés à des facteurs d’ordre climatique ou géopolitiques, amplifiés par des réactions en chaîne, tels que :

  • Le refus de l’OPEP d’augmenter la production de brut à l’automne 2021, conjugué au boycottage par les États-Unis de grands pays producteurs comme l’Iran et le Venezuela, et accentué par les coupures réelles ou appréhendées d’exportations russes de gaz et de pétrole, dans le sillage de la guerre en Ukraine.
  • La flambée des prix alimentaires en raison des perturbations climatiques, des coûts à la hausse des intrants et du transport ainsi que des problèmes de main-d’œuvre. Ces difficultés sont aggravées par la réduction de l’offre de céréales et d’engrais sur le marché mondial en provenance des pays belligérants.
  • L’envol des prix de l’aluminium suite au coup d’État en Guinée à l’automne 2021, premier exportateur mondial de bauxite.
  • L’envol des prix des métaux industriels en lien avec l’accélération de la transition énergétique, par exemple le nickel qui entre dans la fabrication de certaines batteries (et aussi de beaucoup d’équipements militaires).
  • La flambée des prix immobiliers et des loyers découlant de l’insuffisance de l’offre de logements, du crédit bon marché et de la spéculation.
  • Les entreprises qui mettent les bouchées doubles pour récupérer les pertes encaissées pendant la pandémie en haussant les marges bénéficiaires. Celles-ci ont bondi à 16 % en 2021, comparativement à une moyenne de 9 % de 2000 à 2019 selon un rapport des Canadiens pour une fiscalité équitable paru en avril 2022. Exemple : la hausse injustifiée des marges bénéficiaires par les détaillants d’essence.

Selon les données de Statistique Canada, depuis la veille de la pandémie (T1 2020) jusqu’à la fin de 2021, le PIB nominal canadien s’est apprécié de 14,3 %. Mais alors que la masse salariale augmentait de 10 %, les excédents d’exploitation nets des entreprises (profits) progressaient de 46,3 %. Comme le PIB en volume n’a augmenté que de 2,7 % au cours de cette période, le gros de la croissance nominale reflète des hausses de prix, dont les grands bénéficiaires sont les entreprises.

Le contexte a également évolué. La demande intérieure commence à excéder les capacités de production, stimulée ici comme ailleurs par le crédit bon marché et l’épargne accumulée au creux de la pandémie par les plus fortunés. En outre, le drainage croissant de ressources par les États pour soutenir leurs efforts de guerre (dépenses militaires mondiales record de 2,700 milliards $USD en 2021) commence à se faire sentir.

En somme, la flambée actuelle des prix découle d’une conjugaison de phénomènes « cost-push » (inflation par les coûts) et « demand pull » (inflation causée par la demande), surtout d’origine internationale, mais également domestique.

La politique monétaire à la rescousse

L’État détient trois leviers pour gérer l’économie : la politique fiscale et budgétaire ainsi que la politique monétaire. Pour calmer l’inflation, l’État peut toujours augmenter les impôts ou comprimer les dépenses afin de modérer la demande. Présentement, le climat social ne se prête guère à des politiques restrictives, alors que le pouvoir d’achat populaire fond à vue d’œil. Au contraire, des mesures de soutien ciblées sont indiquées. Il reste la politique monétaire.

La Banque centrale s’applique en permanence à contrôler l’inflation en manipulant les taux d’intérêt pour garder le cap sur un taux d’inflation dans une fourchette de 1,0 % à 3,0 %, idéalement 2,0 %. Elle agit par l’intermédiaire de son taux directeur qui fixe un taux cible pour les prêts interbancaires au jour le jour, c’est-à-dire le taux auquel les banques commerciales se prêtent entre elles pour couvrir leurs découverts réciproques à la fin de la journée. En soi, cela n’a pas grand impact économique. Mais une hausse du taux directeur se répercute sur toute la structure des taux d’intérêt à court et à long terme en fonction de calculs sophistiqués des institutions financières quant aux coûts qu’elles assument pour se procurer des fonds et la solvabilité des emprunteurs. Cela déclenche des réactions complexes dans l’économie qui touchent d’abord les prix sur les marchés financiers, puis les dépenses, la production, l’emploi et finalement l’inflation. C’est ce qu’on appelle le mécanisme de transmission de la politique monétaire.

C’est une façon indirecte et détournée de modérer l’inflation, au détriment de l’emploi, comme l’illustre la célèbre courbe de Phillips. Une hausse des taux d’intérêt se traduira d’abord par une hausse des coûts de financement (obligations, hypothèques, marges de crédit, cartes de crédit, etc.), qui freinera ensuite les dépenses d’investissement et de consommation, et, éventuellement, affectera négativement la production et l’emploi. Tout cela ne s’opère pas instantanément, mais peut s’étaler sur un ou deux ans.

Lors de l’éclatement de la pandémie, en mars 2020, la Banque du Canada s’est empressée d’abaisser son taux directeur de 1,75 % à 0,25 %. À compter de mars 2022, soit deux ans après, le taux directeur a commencé à être relevé. Il se situe présentement à 1,0 %. D’autres hausses en cascade sont prévues à brève échéance, ici comme aux États-Unis. Inutile de se leurrer, cette orientation annonce des temps plus difficiles pour la population.

La Banque du Canada utilise aussi d’autres outils, comme le taux officiel d’escompte, c’est-à-dire le taux auquel la Banque du Canada prête aux banques. On a aussi eu recours ces dernières années à des outils non conventionnels comme l’assouplissement quantitatif. Cela consiste pour une banque centrale à acheter des obligations des gouvernements et des entreprises, fournissant de ce fait des liquidités dans le système tout en exerçant des pressions à la baisse sur les taux d’intérêt. Ainsi, de mars 2020 à décembre 2021, la Banque du Canada a procuré 360 milliards de dollars au gouvernement fédéral par l’intermédiaire de l’achat d’obligations. Dans son communiqué du 13 avril 2022, la Banque du Canada annonçait, en plus des majorations de ses taux d’intérêt, qu’elle amorcerait le resserrement quantitatif (moins de crédit dans l’économie), notamment en cessant de remplacer les obligations du gouvernement du Canada qui arrivent à échéance. Le gouvernement ne sera plus obligé d’émettre de nouvelles obligations pour remplacer celles qui arrivent à échéance, modérant du coup sa dette. On ne peut que s’en réjouir.

La crainte du « désancrage » des anticipations inflationnistes

Une des notions auxquelles les banques centrales accordent beaucoup d’importance est celle des anticipations inflationnistes. Comme on le sait, l’inflation incite les gens à devancer leurs achats pour éviter d’avoir à payer davantage plus tard, ce qui alimente la tendance. Si les agents économiques s’attendent à voir l’inflation persister à des niveaux élevés, une spirale prix-salaires autoréalisatrice risque de se mettre en branle alors que chacun s’appliquera à se protéger, qui par des augmentations de prix, qui par des augmentations de salaire. En quelque sorte, l’inflation s’autonomisera. Il deviendrait alors à peu près impossible de réduire l’inflation à moins d’une récession profonde et prolongée, comme dans les années 1980 et 1990. D’où l’importance de garder les anticipations inflationnistes « ancrées » ou « enracinées » dans la cible de 2-3 %, selon le jargon. Pour le moment, les autorités monétaires états-uniennes et canadiennes considèrent que les anticipations inflationnistes demeurent enracinées, parce que les gens s’attendent à une atténuation de l’inflation à moyen terme. Les dérèglements du commerce international et autres chocs de prix finiront par se régler et se résorber, croient-elles. L’inflation reviendra sur la tendance. Entre-temps, des hausses de taux d’intérêt doivent être calibrées pour contenir la surchauffe de l’économie, tout en évitant de pousser à la récession. Exercice délicat, s’il en est.

Depuis le crack de 2008, les banques centrales ont beaucoup innové, et avec succès, en procurant du crédit à gogo dans des contextes récessionnistes. Mais le renversement de la politique connaîtra-t-il le même succès dans le contexte actuel particulier ? Rien n’est moins certain.

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3 comments

  1. Qui se souvient de 1974?
    Bâle?
    L’entente suivant laquelle nos gouvernements ne peuvent plus emprunter à la Banque du Canada?

    Merci Pierre Éliott Trudeau!

    Il existe deux solutions pour éliminer l’inflation:
    1- La nationalisation des banques privées;
    2- La destruction à tout jamais du pouvoir de créer et d’utiliser l’argent-dette des banques.

    Nous avons actuellement une masse monétaire à 95%-97% qui est de l’argent-dette.
    Cela signifie que nous payons un “loyer” sur quasiment tout l’argent que nous sommes forcés d’utiliser.
    Voila la source la plus importante de l’inflation!

    Il est plus que temps de mettre fin aux accords de Bâle qui n’auraient jamais dû voir le jour!

  2. Finalement Le point sur l’inflation et la politique monétaire, vous auriez pu titrer cet article : “On a aucune idée quel bord ça va prendre”.

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